La légende, M. Eddy Mitchell

On continue le Projet 30 Ans de Taratata avec un des deux articles pour lesquels j’ai conçu tout le projet. D’habitude, j’intitule ces articles de même façon que le Tour des Départements, mais ce titre est lié à l’expérience de le découvrir. Revenons sur le plateau de Taratata ce soir-là :

©️France TV/Air Productions

Écoutez les introductions des 4 chanteurs. Les trois premiers sont les bienvenus, mais l’approbation de la foule dès qu’elle reconnaît Eddy Mitchell est tout autre chose. En général, si 40 000 Français se montrent enthousiastes pour quelque chose, je fais attention. (Il y a des limites. Si Jul remplissait le Stade de France, je secouerais la tête.) Mais les 8 minutes qui ont suivi, elles étaient magiques, et j’ai eu des larmes aux yeux durant toute la représentation.

©️France TV/Air Productions

Ce que j’ai vu ce soir-là a dépassé l’interprétation de deux chansons. Il faut vraiment écouter M. Mitchell quand il présente les solistes. Il a du charisme. À Hollywood, on parle d’une certaine qualité de présence sur scène qui commande l’attention au public, « it » (ça, mais non pas le clown de M. Stephen King). Le magazine Cosmopolitan l’a défini comme ça :

That quality possessed by some which draws all others with its magnetic force.

Cette qualité possédée par certains qui attire tous les autres avec sa force magnétique. (Ma traduction)

It, Wikipedia en anglais

Seulement 3-4 personnes m’ont frappé avec « it » dans toute ma vie. Nicola Sirkis, absolument ; Geddy Lee, le chanteur de Rush ; l’actrice américaine Miki Yamashita, peut-être. Puis, Eddy Mitchell.

Passons à la musique. Eddy Mitchell, de son vrai nom Claude Moine, est né en 1942 à Paris. Jeune, il travaillait pour une agence de Crédit Lyonnais près du célèbre club Golf-Drouot (mentionné dans Les 7 Jours de Pékin). C’est là où il lance sa carrière de chanteur, avec un groupe dit Les Chaussettes noires. Il adopte son nom de scène d’après l’acteur Eddie Constantine, et l’idée que Mitchell sonne plus américain que Moine (quoi, il n’a jamais entendu parler de la capitale de l’Iowa ?) Et pourquoi avait-il besoin d’un tel nom ? Parce qu’à l’époque, en 1961, il chantait du rock américain traduit en français, tel qu’Eddy sois bon, traduction hyper-littérale de Johnny B. Goode par Chuck Berry :

Il serait impossible de passer par chacun de ses 39 albums de studio, peu importe ses 16 albums en live. J’ai essayé de sélectionner des chansons représentantes, mais à vous de me corriger.

Ses premières années en tant que soliste, 1961-64, voient la sortie de 3 albums de reprises de la musique d’artistes américains, les Gene Vincent et les Elvis du monde. Même avec son 4e album, Toute la ville en parle…Eddy est formidable, où il y a enfin plusieurs de ses propres textes, son plus grand tube est une reprise de Burt Bacharach :

En 1966, il sort enfin un album qui est largement de sa propre musique. Perspective 66. Voici un de ses singles de l’album, écrit par Eddy lui-même. En tant qu’anglophone qui a grandi avec les versions originales de ses albums précédents en boucle grâce à deux parents qui ne connaissaient que la radio nostalgique, je me sens quand même tout à l’aise avec celle-ci — il comprend très bien le style et n’a plus besoin de copier :

Fin 1966, Eddy Mitchell sort un des plus grands tubes de sa carrière, J’ai oublié de l’oublier. La représentation ici est de 2000, et montre exactement pourquoi je suis tombé amoureux de lui aussi vite — il n’a pas la voix la plus spectaculaire, mais il a de l’autorité :

Au début des années 70, on le retrouve pleinement dans le style de l’époque ; C’est facile, son tube de 1971 sonne comme une centaine d’autres choses, Soulful Strut avec des paroles. Je regrette de vous dire que « Le coup de foudre » ne m’en a pas donné un. Mais le meilleur est à venir.

En 1974, il sort Rocking in Nashville, selon Rolling Stone le 59e meilleur album de rock français, même si c’est largement des reprises de Chuck Berry. 1976 voit Sur la route de Memphis, ce que Rolling Stone met à la 18e place. Avec de telles chansons que Je suis parti de rien, celle du titre, et Je me fais mon Western, il adopte pleinement le style du genre country.

Je dois vous dire, cet album est en français, mais c’est peut-être la chose la plus américaine que j’aie entendu. Je n’ai pas parfaitement compris les paroles — j’ai toujours besoin de l’aide pour ça, même en anglais — mais je ne les ai pas cherchées. Pas besoin. Eddy, où étiez-vous toute ma vie ?

En 1977, il sort son plus grand tube, La dernière séance, ce qui deviendra le générique d’une émission à la télé pendant 17 ans. J’aime bien la version originale. Mais avec sa voix âgée, accompagnée par Personne, Bauer et Dutronc, cette chanson frappe avec le son de l’expérience, de la vraie nostalgie — et j’ai été fixé pendant le tout. Voici un extrait, ou vous pouvez tout regarder sur le site de Taratata à partir de 27:25.

Après son tour vers la télé, il continuait d’enregistrer de nouvelle musique. Happy Birthday Rock’n’Roll, de 1981, me rappelle énormément Old Time Rock & Roll de Bob Seger, Mais ce n’est pas du tout une reprise. Et je l’adore autant que son équivalent américain :

On va sauter par le reste pour conclure avec quelque chose d’extraordinaire, La même tribu, sorti en 2017. 17 artistes, dont Johnny, Laurent Voulzy, Pascal Obispo, les Dutronc, et Alain Souchon, l’ont rejoint pour une chanson qui est un résumé de sa carrière, et même de la chanson française pendant les 50 dernières années. Très peu de monde auraient pu attirer la participation de ce groupe de légendes.

Je vous ai dit avant qu’il y avait deux chemins que j’aurais pu suivi, celui des bilingues, la France qui est tellement influencée par le monde anglophone, ou un autre — j’hésite à dire plus pur — inaccessible aux étrangers sans se donner corps et âme au projet. Sur le premier chemin, on trouve Paris, Pierre Hermé, La classe américaine, et Johnny. Sur le deuxième, on trouve la Lozère, Maïté, Ni vu ni connu, et Georges Brassens. Eddy Mitchell est le symbole ultime du premier chemin — la langue est différente, mais j’y reconnais mon passé plus que nulle part ailleurs. Pourtant, quand il ne copie pas, sa musique escalade les hauteurs, et il commande tout le respect dû à une légende.

Ma note : JE PRENDS L’AVION ! (Au moins, je l’aurais fait s’il n’avait pas déjà pris sa retraite.)

14 réflexions au sujet de « La légende, M. Eddy Mitchell »

  1. vanadze17

    Un grand Monsieur que j’apprécie depuis ses débuts avec les Chaussettes noires.
    Son charisme impressionnant en impose.
    Dans les années 60, tout (ou presque) était l’influencé par les States dans le domaine musical. C’est pour cela que plusieurs chanteurs, chanteuses ou groupes ont pris des noms anglophones.
    Merci de lui rendre hommage depuis ton pays.

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  2. les2olibrius

    Bien que je ne partage pas ton enthousiasme du fait de cette diction qui lui est particulière et parce que je lui préfère d’autres signatures vocales, je reconnais qu’il mérite largement ton hommage, en tant que dinosaure d’une époque plaisante dont la nostalgie me frappe régulièrement. Bon voyage!

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  3. Maman lyonnaise

    Vous rendez un bien bel hommage à Mr Eddy, Justin. Merci !
    Ma préférence va pour sa chanson « Les tuniques bleues et les indiens » tant pour sa musicalité que pour ses paroles. Et que dire de ses performance d’acteur ? Un film que je vous conseille si vous ne l’avez pas déjà vu : « Le bonheur est dans le pré ».

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