Archives pour la catégorie Langue de Molière

Aire de perplexité

Langue de Molière paraît avec un jour d’avance cette semaine afin de ne pas avoir de conflit avec le 1er. C’est-à-dire aussi que mon dîner vendéen n’est toujours pas prêt.

J’ai récemment trouvé un article qui m’a donné une crise de confiance en ce qui concerne mon écriture, une crise que je ne savais même pas que j’étais censé avoir. Il vient du site Projet Voltaire et parle de l’accord dans l’expression « avoir l’air ».

Honnêtement, je croyais que c’était plutôt évident. « l’air » est l’objet d’avoir ; quel que le suive modifie « air », qui est masculin, et devrait donc être aussi masculin, n’est-ce pas ?

HAHAHAHA, non.

Il s’avère que pendant 4 ans, je suis arrivé à réussir quelque chose d’extraordinaire — éviter exactement le seul cas qui rend cette règle fausse. La plupart du temps, je veux juste dire « ça a l’air bon » en tant que compliment pour telle ou telle délice vue sur Instagram. Mais c’est juste par hasard que c’est correct, parce que selon Projet Voltaire, quand le sujet est inanimé, l’accord doit être avec le sujet.

D’autres fois, je veux parler à une personne sur leur état, mais c’est souvent juste dans la tête car je suis entouré par des anglophones. Alors, supposons que je dis à mon ex, « Ah, Tatie Danielle, t’as l’air sulfureux aujourd’hui ». C’est aussi correct, parce que quand le sujet est une personne, l’accord peut être soit avec le sujet soit avec « l’air ». Évidemment, avec un homme, on utiliserait toujours la forme masculine, alors impossible d’en tirer une leçon.

(Son prénom n’est pas Danielle, bien sûr. Je choisis des noms par hasard pour garder la confidentialité, vous comprenez.)

L’accord avec « l’air » est obligatoire, selon Projet Voltaire, si l’adjectif a un complément Leur exemple est « Elle a l’air sérieux comme un pape. » Si j’ai bien compris, ça veut dire que l’on dirait « Elle a l’air bavard comme une pie » et non pas « Elle a l’air bavarde comme une pie » malgré le fait qu’une pie est féminine. Mais mon dictionnaire Oxford complique l’affaire :

Est-ce que l’on utilise toujours la forme masculine avec des expressions de la forme « comme un/une X » ? Je ne sais pas.

Alors, la seule fois où on utilise la féminine avec « l’air » serait dans une phrase telle que « Ces pâtisseries ont l’air bonnes ». Et en quelque sorte, je suis arrivé à éviter écrire exactement ça pendant 4 ans. Si je m’étais trompé, en écrivant « ont l’air bons », on m’aurait corrigé, j’en suis sûr. Mais je l’ai évité comment ?

Avec ça, mon fichier d’idées pour Langue de Molière a l’air épuisé, alors la colonne prendra ses vacances en mai afin de retourner en juin.

Le tuvoiement

Langue de Molière est de retour avec une observation sur l’usage plutôt différent que d’habitude.

Je chante les louanges du vouvoiement ici presque depuis le début. Je vous dis souvent que je traduis chaque cas de « you » en anglais par « tu » car nous sommes beaucoup trop proches de tout le monde. Et en général, vous trouverez que mes concitoyens ont une certaine peur d’être « usted » en espagnol ou « vous » en français. Mais. Mais il y a une chose où je vous dirai que les américains n’ont pas complètement tort dans leur attitude.

Je trouve qu’à travers les cultures, personne n’utilise jamais les deuxième prénoms d’autres personnes à moins qu’ils soient en colère. Vous savez juste en les lisant qu’il y a une grosse différence entre « Justin, arrête ça » et « Justin Eliot Busch, arrête ça tout de suite ! ». Dit autrement, personne n’a jamais utilisé « Eliot » autour de moi sauf pour mes parents quand j’étais jeune et les gens aux labos qui doivent vérifier les noms avant une prise de sang.

Alors, de notre point de vue, le vouvoiement est un peu comme utiliser le deuxième prénom. Si on utilise « vous » avec nous, nous imaginons que c’est-à-dire que nous avons bel et bien f’d up. (Je me suis récemment surpris à utiliser « j’ai » pour former le passé dans une conversation qui se déroulait autrement en anglais.)

Et vous savez qui fait leur tout pour renforcer cette impression ? Les expatriés. Je ne peux rien citer directement, mais je remarque certaines tendances. Par exemple, avec certains qui étaient anciennement mes profs chez l’Alliance française mais sont maintenant mes collègues en tant que responsables de l’OCA ? Après plusieurs années de vouvoiement par Zoom ou même en personne, nous nous tutoyons tout à coup, sans jamais avoir eu « la conversation ». J’ai rencontré plusieurs inconnus pour la première fois ce week-end ; je me suis présenté avec « vous », puis ils ont vu une certaine tarte et tout à coup, nous nous tutoyons aussi sans « la conversation ». (Quand je le dis comme ça, il me semble que je parle « des oiseaux et des abeilles », comme on dit en anglais. Mais c’est juste de la politesse, je le jure !)

Cependant, d’autres sautent entre les deux sans montrer aucun signe de se souvenir d’où nous étions la dernière fois. J’ai tout un tas de courriels à ce point où les mêmes personnes sont vous une première fois, tu une deuxième fois, puis vous encore et ainsi de suite. C’est un effet déroutant, mais en plus ça tend de suggérer que les limites sont en fait plutôt floues. J’appelle ce comportement le « tuvoiement », car on ne sait jamais quelle est la bonne chose à dire. Il faut espérer que l’autre personne vous donnera un indice avant que vous n’ouvriez la bouche.

Et bien sûr, il était aussi la fameuse « boulette » que je ne cesse jamais de mentionner. Cette fois-là, on est passé du tutoiement au vouvoiement en une phrase. Si on voulait signaler que le vouvoiement signifiât être en colère, je ne peux pas imaginer un meilleur exemple.

Tout ça, c’est-à-dire qu’il nous semble que la vraie distinction est que tout le monde se tutoie à moins qu’il y ait une grande différence d’âge ou rang ou que l’on soit en colère. En fait, on m’a expliqué pourquoi cette situation est arrivée il y a longtemps — « quand nous (les expatriés) sommes ensemble pour un événement, nous sommes tous des amis et il serait compliqué s’il y avait juste un ou deux personnes qui se vouvoyait ». J’ai répété ça à un ami belge, et j’ai cru qu’il allait faire une crise cardiaque ! Cet avis est loin d’être universel.

Je n’ai pas de bonne réponse au tuvoiement. J’ai toujours du mal à corriger des gens quand ils m’appellent « Julien », ce qui arrive de plus en plus, car je ne veux offenser personne. (Quand les anglophones m’appellent « Jason », je ne suis pas timide. Il m’étonne que « Justin » soit si difficile en chaque langue que je parle !) Si je ne vais pas corriger mon propre prénom, je ne vais pas corriger un pronom non plus. Honnêtement, je m’en fiche. Juste choisissez-en-un et je l’utilise, d’accord ?

Langue de Molière vous reverra la semaine prochaine pour traîner dans les airs.

Langue de Starsky

J’ai eu trop de conflits dans l’horaire la semaine dernière — le 1er avril, C’est le 1er, le désir de ne plus être en retard avec la Vendée — au point où j’ai complètement oublié que j’avais reporté Langue de Molière. Celle de cette semaine est courte, une note sur quelque chose qui m’a rendu perplexe il y a trois ans, et ses suites.

Je dois avouer quelque chose. La plupart d’entre vous connaissent mieux que moi la télé américaine. Et non pas seulement récemment, je veux dire la télé de mon enfance. Sauf pour les Transforners et G.I. Joe, mais laissez tomber. J’étais certainement fan de Supercopter et Les Craquantes, mais vu les conversations que j’ai eues, le Français lambda connaît La Petite Maison dans la prairie et Dallas alors que je ne les ai jamais vus. Il y a des émissions dont je n’ai jamais entendu parler sauf à la part des Français, comme Manimal et Tonnerre mécanique.

Mais parfois, même quand je sais de quoi vous parlez, je reste tout perplexe. C’était le cas quand j’ai entendu parler de la VF de Starsky et Hutch. Il y a un personnage dans la distribution, connu en anglais sous le nom « Huggy Bear ». « Huggy » est plutôt difficile à traduire, étant un adjectif formé du mot « hug », qui veut dire un câlin. Non, pas un câlin genre les VDM « épicées », Mon dictionnaire Oxford préfère « étreinte » ; plutôt coquin de Duolingo de n’apprendre que « câlin » pour ça, non ? De toute façon, c’est « hug ». Mais « Bear » est tout simplement « ours ». Alors, on aurait pensé que « Étreinte L’Ours » aurait été logique, si horriblement littéral. « Colin L’Ours », ça va ?

Mais non. En quelque sorte il est devenu « Huggy les bons tuyaux ». Et en même temps, j’ai appris que ce sont des tuyaux :

Super Mario Bros. 3, ©️Nintendo, Source

« Tuyau » se traduit en anglais par « pipe » ou « tube ». Et quelle est l’autre signification de « tube » en français ?

Classement de tops albums de la semaine, ©️SNEP

Franchement, je ne savais pas que Huggy avait de si mauvais goût. Beyoncé ? Quoi, Alain Weill n’est pas disponible ? Mais tout ça n’était pas très instructif sur mon ancienne question : pourquoi était-il « les bons tuyaux » ?

J’ai enfin trouvé deux articles pour éclaircir la situation. Le premier était une interview de son interprète, Antonio Fargas, sur France Bleu :

Le nom français « Huggy les bons tuyaux » est plus approprié car dans la série, Huggy est un vrai partenaire de Starsky et Hutch. Il leur donne de vrais bon tuyaux. [Caractères gras dans l’original]

France Bleu

Mais quel est ce tuyau ? Voilà, la fin de l’affaire :

Pourquoi Huggy les bons tuyaux ?

Parce qu’un bon tuyau, c’est une info qui peut mener le journaliste au scoop…

Parce qu’en théorie de la com, le tuyau est le moyen de transport par lequel transite l’info.

Blog de Laurent Decloitre

J’ai deux plaintes : 1) C’était donc quoi le problème avec « L’Ours » ? On ne dit pas « Huggy the good tips » en anglais ! et plus important, 2 ) Pourquoi est-ce que vous ne regardiez pas plutôt Simon et Simon qui avait lieu à San Diego au lieu de LA ? Bande d’obsédés des grandes villes !

Langue de Molière vous reverra en deux semaines, car la semaine prochaine ne sera pas du tout comme les autres !

Le capitaine Évident

Il y a deux insultes en anglais que je voulais récemment chercher en français. Ni l’un ni l’autre est trop sévère pour ce blog ; c’était juste une recherche de la part de M. Descarottes pour assurer qu’il n’épuiserait pas son stock. Il s’agissait de deux façons de dire que quelqu’un vient de remarquer l’évident. ([Vous voyez déjà d’où mon intérêt. — M. Descarottes])

Appeler quelqu’un « Captain Obvious » (le capitaine Évident, mais certains le traduisent Évidence, ce qui comprend mal que « obvious », c’est un adjectif, pas un nom), c’est à dire qu’il dit des choses non pas seulement évidents, mais que tout le monde sait bien déjà. Il y a un site de voyage aux États-Unis qui a une série de pubs autour d’un tel personnage. Un exemple vous donnerez le goût de l’affaire :

L’autre expression, « master of the obvious », se traduit (à mes yeux, mais je n’ai pas trouvé d’exemples) par « maître de l’évident ». C’est très similaire à « capitaine Évident », mais peut-être un peu moins agressif, parce qu’il n’y a pas de titre, alors pas d’aller aux injures personnelles.

Mais ce que j’ai découvert en faisant ces recherches, c’est que la traduction d’évident est…moins qu’évident. ([BRAVO, mon capitaine ! — M. Descarottes]) Certains choses sont aussi simples qu’attendu ; en ce qui suit, je suis largement mon dictionnaire Oxford.

Dire que quelque chose est évident est « il est évident », bien sûr. Mais dire la chose en question, c’est « enfoncer les portes ouvertes ». On dit ça en anglais — « push on an open door » — mais ça veut dire que quelque chose est facile ! Et le fait d’avoir dit la chose évidente, c’est une « lapalissade » Au moins là, j’ai une excuse pour ne pas le connaître — ça vient d’un Jacques de Chabannes, seigneur de La Palice au XVe siècle, qui avait l’habitude de dire des choses comme « s’il n’était pas mort, il serait encore en vie ». Ne me croyez pas sur parole, il y a une chanson qui l’a rendu immortel :

Quand une grimace rend ses sentiments évidents, on dit qu’ils sont « écrits sur son visage ». On utilise exactement cette expression en anglais (« written on one’s face« ), mais nous disons aussi que ça « se voit dans ses yeux » (« seen in one’s eyes »).

Pourtant, quand un choix est évident, on ne dit pas qu’il est évident ni écrit quelque part, mais plutôt qu’il « s’impose ». Ou pire, que l’on n’utilise même pas un mot pour ça — mon dictionnaire Oxford dit que la chose qui s’impose est simplement « la chose à faire », ce qu’il donne également pour « the thing to do » et « the obvious thing to do ». Il n’y a donc pas de mot pour évident dans ce contexte. ([Oui, mon Seigneur de La Palice, car c’est évident. — M. Descarottes])

Un dernier exemple ? Un comportement qui rend ses intentions évidentes, c’est soit « manquer de finesse » soit « le voir venir avec ses gros sabots ». J’aurais pensé que l’on entend quelqu’un venir avec ses gros sabots, car comme note Wiktionnaire, les sabots (des chaussures en bois) sont connus pour être bruyants. Le choix de verbe n’est pas… ([NE FINISSEZ PAS CETTE PHRASE ! — M. Descarottes])… évident.

Langue de Molière vous reverra la semaine prochaine pour remonter le temps jusqu’aux années 70 et des chaussures à semelles compensées au lieu de sabots.

O(e)uf

Ça fait longtemps depuis la dernière fois où Langue de Molière a été consacrée à une collection d’expressions autour de tel ou tel thème. Mais j’ai trouvé un magnifique article sur des expressions autour des œufs, sur le site Cuisine AZ, et c’est d’où part notre colonne aujourd’hui.

Œufs, Photo par Ravi Dwivedi, CC BY-SA 4.0

L’article commence avec la bien connue « marcher sur des œufs » ; c’est-à-dire être dans une affaire sensible. L’idée est que si on ne marche pas très délicatement, on finira par casser les œufs. Pourtant, je ne connais pas l’œuf qui pourrait supporter le poids d’un être humain, peu importe ses efforts. Il serait mieux de dire « marcher sur des Legos », car tout adulte avec des enfants peut vous expliquer à quel point c’est dangereux. Et même si on fait attention, on va SOUFFRIR en marchant sur un Lego. Quant à la brique ? Tout passe crème.

Au fait, en anglais, on dit plutôt « walk on eggshells » ; c’est-à-dire, marcher sur des coquilles d’œufs. Quoi, comme si on vide les œufs avant d’y marcher ?

(N’oubliez pas de consulter Les Dédexpressions sur ce sujet.)

On dit « tuer dans l’œuf » pour un projet qui est annulé avant d’avancer. Mais comment fait-on ça sans casser l’œuf ? On reconnaît que c’est difficile de faire ça en disant « on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs ». Peut-être que c’est pour ça que les anglophones disent plutôt « étrangler dans le berceau » (« strangle in the crib ») ou chez les britanniques, « étrangler au moment de naissance » (« strangle at birth« ). On aime nos enfants entiers avant de les tuer !

Cuisine AZ offre une signification curieuse de « Mettre tous les œufs dans le même panier ». Ils disent que c’est « engager plusieurs personnes/choses dans la même situation ». Par contre, Wiktionnaire donne exactement la même signification que l’on trouve en anglais pour cette expression, « Placer tous ses fonds dans une même affaire, dans un seul genre d’industrie ou dans une seule créance ».

« Chercher un poil sur un œuf », belle description des commentaires de M. Descarottes dans mes articles, m’est aussi mystérieux. Qui a eu l’idée de faire une telle chose pour commencer ? Cette fois, je n’ai pas réussi à trouver le bon équivalent en anglais moi-même, car je me concentrais sur l’œuf. Wiktionnaire m’a sauvé –nous disons « splitting hairs », déchirer ou peut-être fendre, des poils (pensez à les couper dans le sens de la longueur). C’est absolument ça. En cherchant cette expression, j’ai aussi trouvé « tondre un œuf », une action inutile, car impossible. Ben, j’avais assez de mal à tondre un tout petit gazon quand mon ex et moi avons acheté une maison ensemble. Je comprends pourquoi « tondre » veut dire impossible. Pourtant, pas trop à voir avec les œufs.

Une dernière œufisme français ? Chez Les Dédexpressions, on trouve aussi « Aller se faire cuire un œuf », pour dire à quelqu’un « allez-vous-en ». Audrey donne un équivalent anglais plutôt fort, « go to Hell » (allez en Enfer), mais en fait, nous avons aussi une expression aux œufs pour ça — « aller sucer un œuf » (« go suck an egg »). Je suppose que les nôtres sont crus, car nous n’avons pas les CAP pour apprendre les bonne règles autour de la santé.

Il y a une autre expression anglaise sur les œufs dont je ne trouve pas un équivalent français. On utilise œuf en tant que verbe, « egg on », pousser ou provoquer quelqu’un de faire quelque chose de lamentable.

Et juste car vous êtes sages, une pub des années 1980 quand la réputation des œufs a changé en ce qui concerne la santé cardiaque :

Ayant vous œufé avec cet anglicisme du dernier moment, Langue de Molière vous reverra la semaine prochaine pour parler de l’évident.

Pluri-quel

Langue de Molière apparaît tôt cette semaine, car j’ai dû aller à un événement au collège de ma fille ce soir. Il y a un risque que je m’en plaindrai plus tard, car il s’agissait du lycée pour l’année prochaine, et je n’étais pas complètement content. Mais pour l’instant, j’ai fait une erreur ici récemment ([Beaucoup ne s’écrit pas « u-n-e » — M. Descarottes]), et la recherche suivante a provoqué d’autres questions.

D’abord, l’erreur. Il y a des mots que je n’utilise presque jamais, mais je suis trop paresseux pour les vérifier tous. Parmi eux, il y a deux semaines dans cette même colonne, j’ai écrit :

C’est dinde

« Grandes-mères » est faux. C’est « grands-mères ». Je note que personne n’a rien dit, peut-être car vous êtes tous trop gentils pour me corriger à chaque fois. ([Nan, c’est que « Corriger Justin » prend autant de temps que « Métro, boulot, dodo » tous confondus ! — M. Descarottes]) J’aurais juré qu’il y avait un accord entre « grand » et « mère ». Mais non. Le Figaro nous éclaire avec un article sur presque exactement ce sujet, comment pluraliser « grand-mère ». Il n’y a pas de« e », mais que faire avec les « s » ?

La parodie du Gorafi commence par nous dire :

Ainsi que nous le rappelle l’Académie française dans sa rubrique Dire/ Ne pas dire, le mot «grand» est issu du nominatif singulier latin grandis. Il est un adjectif épicène, cela signifie qu’il a la même forme au masculin et au féminin. 


Grand(s)-mère(s) : ne faites plus la faute !

Mais selon eux, l’Académie n’a rien dit sur le « s ». En revanche, les grands dictionnaires ne sont pas d’accord non plus. Le Bob Robert dit que c’est « grands-mères ». Le Trésor, par contre, ne termine pas « grand » avec un « s», choisissant plutôt « grand-mères ». Et le Larousse dit faites comme vous voulez pour grand-mère, mais grands-pères est la seule bonne forme au masculin.

Autrement dit, personne ne sait que faire. Et s’ils ne sont pas d’accord, les uns avec les autres, un pauvre élève étranger, que devrait-il faire ?

Juste après m’être posé cette question, Instagram m’a donné une autre situation problématique. Voilà :

Un jour, il me faudra rendre compte de mes comportements, et on va m’accuser en disant « Il regardait des femmes en ligne tous les jours ! » Et les anges vont le trouver ridicule quand je répondrai « Ouais, mais c’était juste pour en savoir plus sur la grammaire française ! » Honnêtement, je ne peux jamais gagner.

Pourtant, c’est une bonne question. « Sans faute » ou « Sans fautes » ? Sa réponse est de suivre ce qui est typique pour le nom. Il est rare de trouver juste une faute. On dit, selon cette théorie, « un pull sans manches », et non pas « un pull sans manche », parce qu’un pull a habituellement deux manches. Et celui du Docteur Octopus, donc ? Elle continue en disant « sans gants » parce que la plupart des gens ont deux mains, mais « sans bonnet », parce qu’il est souvent le cas que l’on n’a qu’une tête pour porter un bonnet. Comme si elle n’a jamais lu Le Guide du voyageur galactique ! Zaphod Beeblebrox a combien de têtes, madame ?!?

Il me semble que tout ça, c’est à dire que les pluriels français sont comme le code des pirates dans les Pirates des Caraïbes — ce sont plutôt « une sorte de guide » qu’un véritable règlement.

Langue de Molière vous reverra la semaine prochaine pour casser des œufs.

Pas faux

Cette semaine, Langue de Molière vous raconte des mensonges. Mais d’abord, on commence avec une histoire vraie. Cette photo vient de quelque part sur Facebook en 2021 — je ne sais plus où : j’avais pris une capture d’écran de la conversation et l’a mélangée avec le menu duquel on parlait.

Le menu mentionne un « faux-filet ». Moi, habitant dans un état où tout le monde se vante de manger de fausses viandes « à base de plantes », je croyais que « faux-filet » devait appartenir à ce genre d’escroc. C’est mon amie à Lyon, celle qui m’a envoyé le livre de recettes pour mon dîner rhodanien, qui m’a expliqué qu’en fait, « faux-filet » est de vraie viande, ce que l’on appelle en anglais « sirloin ». Oups.

Le Trésor de la Langue française ajoute un peu de contexte. « faux-filet » n’apparaît que sous l’entrée pour « filet » :

BOUCH.  Pièce de viande particulièrement tendre, qui est située dans la région lombaire, chez les animaux de boucherie…

Contre-filet, faux-filet. Morceau situé le long de l’épine dorsale (contre le filet), et qui est un peu moins apprécié. 

Filet

Étant expert en manger, mais pas en boucher, je ne peux pas vous montrer les bonnes parties d’une vache, mais je fais confiance que les rédacteurs du Trésor savent de quoi ils parlent.

Pourtant, cet usage de « faux » veut dire « un peu moins apprécié » et non pas un escroc, n’est-ce pas ? Que penser donc du faux dans « faux-cul », ce qui n’apparaît pas dans le Trésor en soi ? Selon Larousse :

Source

Franchement, le deuxième sens ne me parle pas du tout. Mais le premier implique qu’un faux-cul est moins apprécié qu’un vrai cul, qui ne serait pas un hypocrite, non ? D’autre part, le Trésor donne 4 sens de « cul » pour parler d’une personne, et aucun n’est très sympa. (« cul-bas » me semble neutre, mais les autres : immobilité physique, symbole d’inintelligence, mendiant). Au fait, la traduction hyper-littérale de « faux-cul » en anglais, « fake-ass« , est de l’argot des personnes noires aux États-Unis, mais veut dire aussi hypocrite.

Parfois le faux veut en fait dire « pas vraiment (quel que ce soit) ». Il y a les faux bourdons, les mâles de l’abeille. À ne pas confondre avec les bourdons, tout autre espèce, pour laquelle le nom bourdon comprend les mâles et les femelles.

Mais il y a des fois où le « faux » ne me semble rien ajouter. Un « faux-fuyant » est un effort d’éviter quelque chose :

Moyen détourné par lequel on se tire d’une situation embarrassante, on évite de s’engager.

Faux-fuyant

Cependant, « fuyant » sans le « faux » est grosso modo la forme adjective :

Qui donne l’impression de s’éloigner, de disparaître.

Fuyant

On dirait que c’est plutôt un faux « faux ».

Et avec ça on met une vraie fin à ce billet. Langue de Molière vous reverra la semaine prochaine pour demander quels sont les bons pluriels.

C’est dinde

J’ai récemment vu un clip de Loïc Suberville qui m’a fait plier de rire, comme d’hab chez lui :

Puisque presque tout est en anglais, je l’expliquerai. Son personnage « Langue universelle » dit à son personnage « Langue française », « Alors, vous découvrez l’Amérique, mais vous vous croyez en Inde, alors vous appelez les habitants les Indiens. Assez logique. Et vous voyez un certain oiseau inconnu, et vous dites, c’est de l’Inde, donc dinde. »

C’est ici où, bouche bée, j’ai dû mettre la vidéo en pause pour consulter le Trésor de la Langue française. Et c’est apparemment vrai !

Issu des syntagmes poulle d’Inde (désignant très probablement la dinde ds RABELAIS, Gargantua, éd. 1542, Marty-Laveaux, XXXVII, p. 140), cocq, poulle, poullet d’Inde « dindon, dinde, dindonneau » (ID., Quart Livre, éd. 1552, R. Marichal, LX, p. 240…termes servant primitivement à désigner la pintade… Inde désignant l’Abyssinie où la pintade vivait à l’état sauvage. Lorsque les Espagnols, ayant conquis le Mexique (1er quart XVIe s.), introduisirent le dindon en Europe et en France, les termes coq, poule d’Inde servirent à désigner cet oiseau)

Dinde

On penserait que ce n’était pas toute l’histoire, « dindon » ne contenant pas « Inde ». Mais il s’avère que c’est assez proche. Quant à dindon, le Trésor nous dit que c’est :

Dér. de dinde*; suff. -on*. O. de Serres désignait les dindons par le mot d’Indart (op. cit., V, 3 ds HUG.).

Dindon

Et c’est quoi -on ? Un « suffixe à valeur diminutive », ce qui est surprenant, car les mâles de l’espèce pèsent 6,8-11 kg alors que les femelles ne pèsent qu’environ 3,6-5,4 kg. Et c’est juste leur taille dans la nature. À la ferme, les mâles pèsent plutôt 19-20 kg, et les femelles 7-8 kg, au moins aux États-Unis. Alors, comment est-il arrivé que la forme diminutive s’applique aux mâles ?

Cependant, l’oiseau n’est qu’un sens des deux mots. Le Trésor nous dit aussi qu’un dindon est :

B. P. anal., péj. [En parlant de pers., p. réf. au caractère batailleur, avantageux, lourd et stupide attribué à l’oiseau]

Au cas où ce ne serait pas clair, il précise que c’est un homme stupide, une dupe :

Être le dindon de la farce. Être la victime dans une affaire en même temps que l’objet de la risée publique.

Et cerise sur le gâteau :

Cocu. Un mari dindon est un mari trompé par sa femme (LARCHEY, Excentr. lang., 1862, p. 126).

Les dindes ne font pas mieux que les dindons :

P. anal., fam., péj. [En parlant de pers. du sexe féminin, et p. réf. au caractère lourd et stupide attribué au gallinacé] Femme, fille, prétentieuse et sotte.

C’est ici où je fais une pause pour vous dire que l’on croit partout aux États-Unis que Benjamin Franklin lui-même, ancien client du Procope, a proposé la dinde en tant que symbole national des États-Unis. Mais avant que vous ne couriez par ici et par là en criant, « Les états-uniens se prennent pour des dindes ! Je l’ai d’un américain ! », sachez qu’il s’agit d’un mythe (lien en anglais). Ce qui s’est passé, c’était que Franklin a écrit une lettre à sa fille où il a exprimé son avis que l’aigle n’était pas le bon choix, étant paresseux (il le croyait un charognard, ce qui est en partie vraie). Il a dit que par rapport à l’aigle, même la dinde serait mieux en tant que symbole.

M. Suberville continue et se moque des anglophones, car nous nous sommes aussi trompés d’être en Inde — pourtant nous appelons les dindes « turkey », ce qui est littéralement « Turquie ». Oups.

Armé de ce renseignement, vous pouvez vraiment apprécier l’humour de l’erreur sur cette étiquette :

Fabriqué en Dinde, Photo par Céréales Killer, CC BY-SA 4.0

Au fait, « turkey » a aussi un sens péjoratif très commun en anglais. Un film dit « a turkey » est un navet. On peut aussi dire qu’une personne est « a turkey« , la même chose qu’en français, mais attention — vous aurez l’air ringard. C’est un mot à mes grandes-mères !

Langue de Molière vous reverra la semaine prochaine pour vous raconter des mensonges.

Payez le loyer

En lisant PluriElles, je me suis retrouvé face à une expression qui m’a rendu perplexe, « Dieu soit loué ! ». ([Aussi « ça va » et tout autre chose qui disent les êtres humains. — M. Descarottes]). J’aurais juré que « loué » était quelque chose que l’on faisait avec une voiture en vacances, ou un appartement. Après tout, je facture La Fille pour sa chambre. NON, PAS VRAIMENT. Mais ça m’a rendu curieux ; qu’est-ce qui veut dire « louer » tel qu’il comprend ce sens ?

Comme a écrit Shakespeare, « Une fois de plus sur la brèche, chers amis. », sauf que la brèche est le Trésor de la langue française. Désolé, il est bien connu qu’il faut vraiment lire Shakespeare dans son Klingon original. (Blague tirée de Star Trek 6 : Terre inconnue. Je ne peux plus vous citer autant que deux choses de ce film, mais je dis ça tout le temps.)

Le « louer » auquel je pensais a trois sens en gros. Le premier est grosso modo tout ce que l’on apprend de Duolingo ; le Trésor développe ça un peu plus pour distinguer entre les biens immobiliers et les vélos, mais à notre niveau, c’est toute la même chose.

Louer

Le deuxième est pour une personne et est grosso modo synonyme d’embaucher ; il me semble que ça parle largement des boulots genre CDI, à court terme. Je viens d’apprendre quelque chose.

Louer

En ce qui concerne le troisième sens, je ne l’aurais jamais deviné. Je pense à acheter un billet, mais c’est afin de louer une place, vu autrement :

Louer

Il y a une autre entrée avec un sens seulement, et c’est ici où on trouve le sens qui a lancé mon enquête. Mais vous remarquerez que j’ai triché en écrivant tout en haut :

Louer

Ce « louer » est en fait la première entrée du Trésor, indiqué par le numéro 1 en exposant ! Cependant, il s’avère que la relation que je cherchais n’existe vraiment pas. Le louer des louanges vient du mot latin « laudare », ce que l’on trouve dans la Messe latine, « Laudámus te », dans la prière dite Gloria. (Quant à louanges, c’est l’action de louer de même manière que « mélange » est l’action de mêler.) Le louer des voitures, par contre vient du mot « locare  », d’où nous avons aussi locataire — un colocataire étant donc celui avec qui on va locare — et location. Ce dernier est un peu un soulagement car « location » en anglais veut dire plutôt « endroit », et je dois vous dire — ça fait maintenant presque 4 ans où j’entends « location de voiture » et suis vraiment perplexe. Pourtant, il s’avère — et je ne le savais pas du tout — que le mot « location » en anglais vient aussi de locare, et avait cette signification au passé.

Langue de Molière vous reverra la semaine prochaine avec l’histoire horrifiante des dindes.

En quête

Je me plains souvent ([Arretez là ; tout est dit. — M. Descarottes]) de certains mots en français avec plusieurs significations qui n’ont rien à voir les unes avec les autres (voilà et voilà). Mais je peux parfois au moins me raconter une histoire qui les relient. Ça c’est une poêle :

Et ça c’est un poêle :

Poêle à bois, Photo par Nemracc, CC BY-SA 4.0

Je peux me convaincre qu’une poêle s’utilise au-dessus d’un poêle, et que les deux fassent une paire, c’est logique. Bien sûr, ce truc gâche l’affaire :

Poêle sur un cercueil, Photo par Keawe Woodmore, CC BY 2.0

Mais même là, on pourrait dire que quelqu’une aimerait me mettre sous un poêle afin de me mettre dans un poêle. Et en fait, ce dernier poêle est le seul qui est proche de sa traduction en anglais, « pall ». Le féminin, c’est « pan », et l’autre masculin, c’est « stove ».

Cependant, tout cela est loin de la distance entre deux significations pour le même mot que j’ai découvertes il y a deux semaines. Sauf pour moi, tout le monde connaît Kaamelott et la quête du bocal d’anchois Graal. Ce genre de quête est un périple à la recherche de quelque chose. Si on se souvient du fait que l’accent circonflexe n’est qu’une pierre tombale pour des « s » regrettés (et parfois d’autres lettres, je le sais), cette quête est exactement la même chose que « quest » en anglais. Pourtant, ce jeu vidéo ne se traduit pas par « Dragon Quête » :

©️Square Enix

(Par contre, le château de Tantegel se traduit par Radatome en VF. J’étais perplexe, mais il s’est avéré que ça vient du japonais original, « Radatōmu », mais en anglais ils ont choisi le nom d’un château réel en Angleterre, lié au roi Arthur.)

C’est la même chose quant à « enquête », un genre de recherche systématique, peut-être judiciaire, peut-être administrative, comme nous dit le Trésor de la langue française. Encore une fois, l’anglais est pareil, « inquest ».

Mais il y a un autre sens de quête qui n’a absolument rien à voir avec la recherche d’un objet ou des infos. Je laisse ma place au Trésor pour l’expliquer :

Quête

Je n’arrive pas du tout à comprendre le lien entre les deux. Le Trésor indique que quête dans toutes ses formes vient du latin « quaerere », d’où aussi le verbe « quérir », lui-même lié au sens de partir à la recherche de quelque chose. Mais la collection de fonds me semble fonctionner dans le sens inverse. Plutôt que partir à la recherche des fonds, les donateurs viennent pour les verser dans l’assiette.

Demain, je rentrerai tard de mon projet mystérieux. Je veux garder la séquence de jours de suite avec une publication (596 avec ce post !), alors peut-être que je préparerai quelque chose avant de partir pour LA.

Langue de Molière vous reverra la semaine prochaine juste à temps pour payer le loyer.