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Le mot inutile

Avant de me lancer dans Langue de Molière pour cette semaine, je veux attirer votre attention vers un concours chez Les Dédexpressions, duquel cette colonne en a beaucoup tiré.

Le français a quelques mots qui ne le sont vraiment pas. Le « t » qui prend sa place entre des verbes et des pronoms au cas où le verbe terminerait par une voyelle : parle-t-on, par exemple. Ou le « l » qui se met avant « on » pour ne pas avoir l’air qu’on. Ces mots n’ont aucun sens, et sont là juste pour la sonorité.

Mais il y a quelque chose que le français exige que je trouve également sans sens, et on en parle maintenant. C’est « en », dans son sens pour compter.

En anglais, je peux dire soit « I’ll have one burger » (Je prendrai un burger) soit « I’ll have one » (J’en prendrai un) sans le nom « burger » — mais sans ajouter n’importe quel autre mot, comme « en ».

En espagnol, je peux dire « Tomaré una hamburguesa » ou « Tomaré uno ». Le genre est masculin quand on ne mentionne pas le nom, mais il n’y a pas d’autre mot non plus.

En japonais on dirait « Hambaagaa o itadakimasu » ou « Hittotsu o motte imasu ». C’est tout autre monde là-bas, mais l’explication simple, c’est qu’il faut utiliser des mots dits « compteurs » ; « hittotsu » est un de plusieurs compteurs pour 1. Si je veux dire que j’aimerais deux hamburgers, il faut dire « Hambaagaa o hutatsu itadakimasu ». On peut omettre le compteur pour un seul exemple, mais deux ou plus exige le bon compteur.

On peut donc facilement voir que de mes trois autres langues rien ne sert au but d’« en » dans « J’en prendrai un ». Et ici, avec un peu de linguistique, on peut voir pourquoi « en » me dérange.

Chez les linguistes, on parle d’une « paire minimale », deux phrases qui ne sont différentes que d’un son, une lettre, ou un mot. Ce test nous permet de distinguer des significations. Par exemple, si on dit — à haute voix :

Je suis une fille.

Je suis une fée.

on peut facilement voir que la dernière voyelle distingue les deux sens. (Essayez d’ignorer l’écriture ; à haute voix, seulement cette voyelle-là est différente.) D’autre part, si on dit :

Je suis bête.

J’suis bête.

le son est différent, mais la signification est la même. On appelle ça un allophone – un changement de son qui n’a pas sa propre signification.

Alors, si je dis :

J’en veux un.

Je veux un.

vous allez tous me dire que la première phrase est du bon français, et l’autre est du bon n’importe quoi. Ce n’est pas une paire minimale car il n’y a rien à quoi la première contraste. Mais c’est exactement ça ma plainte ! Il n’y a aucun risque de confondre la signification de la phrase sans « en » avec une autre signification — et dans toutes mes autres langues, dont une latine, il n’y a pas de tel mot ! « En » ne sert même pas à réussir un but de sonorité comme « l » et « t » dans nos exemples en haut.

Et avec ça, Langue de Molière en prendra cinq. (On dit « take five » pour une brève pause en anglais.) On se reverra la semaine prochaine pour parler de ce que l’on apprend en français quasiment gratuit.

Je fris, ils refroidissent

Langue de Molière paraît un jour à l’avance cette semaine. L’explication arrivera avec la prochaine balado.

Il y a deux semaines, Mme Aurore Ponsonnet est arrivée à bouleverser mon monde :

Ce n’était pas une nouvelle qu’il y a des verbes « défectifs ». Il s’agit du genre de chose qu’il faut savoir pour écrire cette phrase. Mais « s’agir » et « falloir » sont « impersonnels » ; je ne sais même pas ce qui voudrait dire « je… faus ? » ou « tu t’agis ». On est censé être capable de s’exprimer en plusieurs formes aux plus hauts niveaux, mais même en anglais, je ne pourrais pas construire une expression pour le premier. Le deuxième, dans un certain contexte, si — mais c’est Langue de Molière ici, pas Shakespeare, et ce qui me vient dans l’esprit est compliqué.

([Moi, je dis « il faute » en parlant de Justin, mais c’est juste pour dire que tout ce qu’il fait a tort. — Mon ex])

Naturellement, j’ai dû vérifier mon Bescherelle, qui m’a fait exploser la tête :

C’est à dire vraiment que vous comprenez ce qui arrive dans une poêle s’il y a de l’huile et un poisson, mais deux, c’est juste hors compréhension ? Il m’a absolument fallu poser la question, et Mme Moutet, très pratique comme d’habitude, m’a répondu :

Elle a raison, bien sûr, mais elle s’habitue à écrire pour des journaux, où les rédacteurs comptent les mots et les dates limites arrivent vites. On fait ce que la langue permet, et ne se soucie plus de telles bêtises. Mais moi, je reste obsédé par l’esprit derrière cette affaire. Il ne suffit pas de dire « la forme a disparu car personne ne l’utilisait plus ». Dans le désert du Sahara, peut-être que vous arriverez à me convaincre que personne ne parle jamais de faire frire deux poissons en même temps, mais sur les bords de la Loire ? J’imagine une conversation entre un chef qui écrit un livre de recettes et son éditeur :

Chef : Je veux dire aux lecteurs de mettre tous les poissons dans la poêle en même temps.

Éditeur : Vous savez très bien que l’Académie française l’interdit depuis l’accident en cuisine du Duc de Vuznetz-pas-Sérieux* en 1720. (*Ancienne commune près de Metz, Yutz, et Contz-les-Bains.)

Chef : Alors, je peux dire « Quand les poissons auront frit ».

Éditeur : Bien sûr.

Chef : Et « au cas où les poissons friraient ».

Éditeur : Ça marche.

Chef : Pas de problème si je dis « Si les poissons avaient frit avant que vous ne soyez prêt à les poivrer… ».

Éditeur : C’est du français le plus pur.

Chef : Alors, « Pendant que les poissons fritent ».

Éditeur : Espèce de con ! La malédiction revient ! Vous nous avez tous condamné !

Puis une Tarasque vient et les mange tous les deux.

Mais vous n’êtes même pas d’accord sur quels verbes sont défectifs ! Le site où Mme Ponsonnet écrit vous dira que « braire », faire le son d’un âne, ne se conjugue qu’à la 3e personne. Il brait, ils braient. Les autres entrées sont toutes vides. Le Bescherelle est d’accord. Mais les dictionnaires du Robert et de l’Académie française donnent des conjugaisons pour toutes les personnes.

J’ai une théorie pour ça. Aux fermes, c’est bien évident qu’il n’y a pas besoin d’utiliser les autres personnes. L’âne brait, les ânes braient. On ne s’adresse pas directement aux ânes. Mais l’Institut de France est à quelques pas du Palais Bourbon. Ils entendent probablement des choses.

(Nous disons exactement ça de nos hommes politiques aux États-Unis : version Républicaine, version Démocrate. Cherchez « braying ».)

Et avec ça, Langue de Molière arrêtera de braire jusqu’à la semaine prochaine. On parlera plus des Tarasques début avril. La semaine prochaine, Langue de Molière vous reverra avec le mot dont vous n’avez pas besoin.

Le bon ordre

Il était une fois, j’avais assez de peur que j’ai vérifié tous mes articles sur Google Traduction. ([Maintenant, vous publiez juste n’importe quoi. C’est pas mieux. — M. Descarottes]) M. Descarottes a un peu raison — je n’utilise plus Google de cette façon. Mais il y a quelque chose que je vérifie tous les jours, l’ordre des adjectifs et leurs noms. Revenons en 2020 pour la leçon trompeuse.

Chez les anglophones, il y a un mnémonique que l’on apprend aux élèves de français : BAGS. C’est-à-dire « Beauty, Age, Goodness, Size », ou dans une langue plus compréhensible, Beauté, Âge, Bonté, Taille. Mais il faut avouer que BABT ne veut rien dire. Pourquoi un mot qui signifie « sacs » réussit ce but, je n’arrive pas à l’expliquer. De toute façon, les adjectifs « BAGS » sont censés être tous ceux qui vont avant un nom. Mettre à côté la règle sur les adjectifs de plus de deux syllabes ; celle-ci a déjà tort.

Clairement, c’est pas complètement fou. On dit « la petite ordure », pas « l’ordure petite », et « le joli gâteau », pas « le gâteau joli ». J’ai donc du mal à comprendre comment vous supportez tous Angelina Jolie, dont son nom doit vous faire mal aux oreilles, mais c’est votre affaire. (Perso, je serais plus dérangé par son côté vampirique.)

Pourtant, cette règle de BAGS nous triche. Il y a des adjectifs qui ne vont que dans la mauvaise place, si l’on la prend au sérieux. On dit « un arbre géant », mais jamais « un géant arbre ». « Un arbre énorme » aussi, malgré le fait que ces deux traitent de tailles.

Et vous ne vous contentez pas seulement de jouer des tours avec l’ordre des mots. Non, il y a plein d’adjectifs qui changent de sens selon leur place. Mon « ancien ami » est le gars auquel je ne parle plus, mais mon « ami ancien » reste en contact avec moi, il a juste besoin de son déambulateur. Ma chère amie m’est vraiment importante, mais mon amie chère…([C’est un blog familial. Ne finissez pas cette pensée. — M. Descarottes])… ma voiture chère m’a coûté beaucoup d’argent.

Même la négation change de sens selon l’ordre ! Si j’écris « J’ai toujours pas fini mon dessert», c’est à dire que je suis toujours en train de faire quelque chose et il vous faudra attendre si vous avez faim. Mais si j’écris « J’ai pas toujours fini mon dessert », c’est à dire plutôt « J’ai mangé assez de desserts pour énerver mon docteur ; parfois j’ai tout mangé, et parfois j’ai laissé quelques miettes sur l’assiette ». C’est vraiment similaire quant à vraiment : « M. Descarottes n’est vraiment pas content de moi ! » veut dire qu’il est 21h01, pourtant il n’a toujours pas reçu les carottes qu’il m’a demandé à 21h. D’autre part, « M. Descarottes n’est pas vraiment content de moi » veut dire plutôt qu’il est 19h, alors il n’a reçu aucune carotte, mais il n’est toujours pas en colère contre moi.

Au fait, bien qu’il soit vrai qu’il demande toujours des carottes à 21h, j’entends « 21h » dans la voix de Catherine Ringer.

Penser au fait qu’un cobaye et une fille de 12 ans peuvent m’ordonner par ici et par là me frite vraiment, comme on dit en anglais. Heureusement, il n’y a que moi uniquement qui frite, car le français interdit deux choses de faire frire en même temps. C’est ça le sujet du prochain Langue de Molière.

Les faux amis, 3e partie

Ça fait deux mois depuis notre dernier séjour au pays des faux amis, et je me sens un peu coupable pour y revenir, car c’est le cadeau qui continue à donner. Je soupçonne que le total se compte à des milliers.

On commence cette fois à partir du dauphin effrayant, Flipper :

Affiche du film Flipper par Reynold Brown, Domaine public

En français argotique de nos jours, « flipper » veut dire « être perturbé », selon mon dictionnaire Oxford. Mais en anglais, au-delà du nom du dauphin, c’est juste un nom pour les nageoires pectorales, ainsi que pour les trucs que l’on contrôle dans un jeu de…euh… flipper :

Jeu de flipper, Photo par Wayne Patrick Finn, Domaine public

Mais quant au participe présent, « flippant », on va encore plus loin. En anglais, un commentaire « flippant » n’est qu’ironique — aucune question de faire peur ! ([Moi, j’aime être flippant dans les deux sens. — M. Descarottes])

En lisant Prospérine Virgule-Point, j’ai croisé le mot « bribe » plusieurs fois, comme celle-ci :

C’est bien évident du contexte que ça ne veut dire rien d’autre qu’un morceau, un bout de quelque chose, ici une image. Mais en anglais, « bribe » veut dire « pot-de-vin ». Encore une fois, vu le contexte, c’est plus déroutant que perplexe. Mais oh là là, j’ai des questions sur le nom de famille de l’ancienne star de hockey canadienne, Félix Potvin !

Je crois que j’ai mal utilisé achever au passé ici. Ça ressemble tellement au verbe « achieve, » qui veut dire « réaliser » ou encore « réussir ». Mais en fait, si je dis que j’ai achevé mon dîner pas-de-calaisien, ça veut dire seulement que c’est terminé. Et quant au dessert, c’est peut-être exactement ce que je veux dire moi-même. Vous jugerez pour moi.

Au fait, j’ai presque achevé ma lecture du troisième tome des Chroniques Occultes de Guy-Roger Duvert, et il me rend fou avec « se douter », ce qu’il utilise beaucoup dans ce livre. Sans le pronom réflexif, douter veut dire exactement la même chose que « doubt » en anglais. Mais « se douter » veut dire presque l’opposé ! « Je doute que je gagne la loterie » veut dire que je ne sais pas que ce propos est faux, mais je ne le crois pas. « Je me doute que je gagne la loterie » veut dire plutôt « Je ne le sais pas, mais je crois que c’est au moins possible. » Non, je ne vous raconte pas des nouvelles — j’ai gagné juste 4 $ la dernière fois où j’ai acheté un billet.

Et en parlant de trucs qui me rendent fou, Langue de Molière vous reverra la semaine prochaine pour se plaindre de son plus ancien problème. Ou est-ce son problème le plus ancien ? C’est ça le problème.

J’invente

L’une de mes choses préférées sur la langue française, c’est que d’habitude, je peux m’exprimer d’exactement la façon dont j’ai envie. Au moins, c’est le cas quant à la grammaire. Mais il y a des fois où je suis frustré car le français réutilise le même mot où j’en ai plusieurs dans la tête. Ici, je dirais « spectrum » pour les couleurs, et « spectre » pour la fantôme :

Et il y a d’autres fois où je n’arrive pas à trouver le bon mot et dois l’inventer, dans le cadre des règles bien connues. Par exemple, quand j’ai écrit ma recette de Saint-Honoré, j’ai dit sur la crème pâtissière « verser les œufs enlaités (j’invente un mot) dans la casserole ». C’était pas un mot existant, mais il a bien suivi les règles de l’orthographe ; évidemment, c’est-à-dire « mélangé avec du lait ». J’ai fait la même chose en disant « les têtes empoêlées » pour certains qui ont été frappés à la tête avec une poêle.

J’invente des noms français pour la géographie autour de chez moi ; j’ai déjà partagé certains. Ma ville d’Irvine est devenu « Elbe-en-Irvine » d’après l’île d’Elbe, mais en plus, il ne me dérange pas de mentionner Irvine. C’est comment notre terrain de mini-golf est aussi devenu Boomers-sur-Irvine. Celle de mon ex est Anguille-sous-Roche pour cacher la vérité en lui rendant hommage. Mais il y a d’autres : l’école de ma fille est Saint-Sérieusement, d’après Saint-Cyr, et les habitants de Newport Coast, où les maisons se vendent à partir de 3 millions vivent sur la Côte-de-Beaucoup-d’Or. Un jour, je vous offrirai une carte plus complète, mais je vous déconseillerai de lui faire confiance. Je fête aussi de faux jours fériés comme le Jour de la Catastrophe, anciennement mon anniversaire de mariage.

Mais de plus en plus, sur ma quête à éviter les anglicismes, je joue avec des nouveautés dans la tête. Par exemple, en écrivant cette recette en haut, je pensais à écrire « vider la poubelle de votre cuisine avant de commencer parce qu’il y aura beaucoup de déchets ». En anglais, on dit « a ton » (une tonne) pour une grosse quantité, et quand on voudrait souligner à quel point c’est prodigieux, on dit plutôt « une tonne métrique » (ça pèse plus qu’une tonne impériale). Mais quand j’ai remarqué à la fin que ma poubelle vient d’être remplie, il m’est arrivé dans l’esprit de l’appeler « une poubelletaine de déchets ». Voilà, vous le comprenez déjà, j’en suis sûr. Et si je vous disais qu’une autre a donné « une demi-poubelletaine » ? Je trouve ça complètement naturel, et qu’il « s’intègre au système linguistique du français.» comme disent nos amis québécois.

Je suis sûr que vous avez quelque chose d’informel comme ça, mais je ne suis jamais arrivé à le trouver. De tout façon, dans la même veine, je n’aime pas que le français ne distingue pas entre deux situations familiales : 1) on se marie, et les parents de son époux deviennent ses « beaux-parents » et 2) son père se remarie, et la nouvelle femme devient donc sa « belle-mère ». En anglais, on appelle la première situation les « parents-in-law », et la deuxième les « step-parents ». J’ai pas de dent contre ces derniers, mais la première situation est souvent insupportable. Et j’ai franchement pas envie d’appeler les parents de mon ex « beau » ou « belle ». Je dis donc qu’ils sont mes anciens « cauche-parents » à partir de ma première idée, que la mère était ma « cauche-mère », d’après « cauchemar », bien sûr. Je travaille dur juste pour inventer mon propre vocabulaire sans anglicismes !

Langue de Molière vous reverra la semaine prochaine pour parler de plus de faux amis.

Les expressions Saint-Valentin

D’abord, je dois vous dire que je suis toujours grincheux en février. Alors si Langue de Molière vous semble moins « feel-good »* que d’hab, c’est parce que l’autre choix est que je me taise pendant tout le mois.

*([Je vous ai enfin ! Un anglicisme ! Sale impérialiste linguistique ! — M. Descarottes Mais je ne connais pas le bon mot ! — Moi])

Il n’y a aucun jour que je déteste plus que la Saint-Valentin. Ce n’est pas assez qu’il faut fêter les couples, avec des décorations partout pour rappeler les célibataires leur statut inférieur (attendez, je vous parlerai plus tard d’un sacré insulte que cette culture fait contre ses célibataires). Non, ici, il faut commencer avec tout ça l’avant-hier de Noël. Ne me croyez pas sur parole, voici une photo que j’ai partagé sur Facebook. J’étais chez Walmart pour chercher des ingrédients pour ma bûche de Noël (pénurie de maïzena et de crème liquide !) :

J’ai pensé à écrire cette colonne pour la semaine prochaine, mais à moins qu’il y ait un désastre (comme l’année dernière), j’aurai une recette pour vous ce jour-là. Alors continuons avec des expressions pour la Saint-Valentin.

L’une des plus vieilles dans mon fichier est « tenir la chandelle ». En anglais, on dirait « third wheel » (« troisième roue ») pour exprimer cette idée, de quelqu’un qui est seul en compagnie d’un couple. En version anglaise, il y a une signification de plus, que la personne seule est un peu trop proche au couple. Les Dédexpressions me donne l’impression que c’est aussi le cas pour ceux qui tiennent la chandelle. Son explication m’a coupé le souffle :

Du temps où les lampes de chevet n’existaient pas, les valets et les soubrettes devaient tenir le chandelier à leurs maîtres durant leurs ébats, en leur tournant le dos.

Tenir la chandelle, Les Dédexpressions

NOPENOPENOPE, je ne ferais jamais ça pour personne. Mais quand je pense aux activités de mon colocataire pendant ma première année à la fac… beurk.

Il y a une expression en anglais très proche de la signification littérale de « tenir la chandelle », mais qui veut dire tout autre chose. « Carry a torch » (tenir la torche) veut dire de l’amour sans retour. Mon dictionnaire Oxford donne « avoir un faible pour quelqu’un » pour cette expression. Selon une source (lien en anglais), ça vient d’une coutume romaine, où quelqu’un portait une torche allumé dans le four de la maison familiale d’une nouvelle mariée jusqu’au seuil de sa nouvelle maison, pour qu’elle allume le four là-bas. Mais il n’y a rien pour dire que la personne qui portait la torche avait un intérêt romantique.

Il y a une autre expression, très controversée chez moi, de « poser un cobaye » à quelqu’un. ([C’est lapin, et vous le savez bien ! — M. Descarottes]) Ça veut dire prendre un rendez-vous avec quelqu’un, puis ne pas y assister. En anglais, on dirait « stand up someone » (faire rester debout). Je n’ai pas d’exemples personnels liés à cette expression, je voulais juste taquiner le lapin. ([Cobaye !])

Puis il y a une expression que j’ai trouvé sur un panneau à côté d’une fontaine d’eau à l’aéroport à Paris, « vivre d’amour et d’eau fraîche ».

Si vous lisez le lien en haut, sur le panneau, vous verrez que j’étais pas trop heureux d’être rappelé de l’amour en arrivant et en quittant le pays. Je pense souvent à cette fontaine, et souhaite toujours que je lui aïe dit « Fontaine, je ne boirai pas de ton eau ! » Il aurait été amusant de découvrir ce qui passerait après.

Mais quant à l’expression elle-même, Les Dédexpressions dit « On a tendance à utiliser cette expression pour qualifier les personnes qui perdent l’appétit au début d’une relation amoureuse. ». Je dois avouer, je n’ai absolument aucune idée de quoi elle parle. J’ai certainement perdu l’appétit à la fin — j’ai perdu 14 kg en 3 mois en 1996 de cette façon — mais au début ? Pas compris, sincèrement.

Mais ne vous inquiétez pas. Pour ceux comme moi qui ont hâte de voir la fin de Saint-Valentin, mon supermarché est déjà prêt :

Ouaip. Ils ont déjà commencé à vendre des trucs pour Pâques.

Langue de Molière vous reverra la semaine prochaine pour parler du Système D — quand on ne trouve pas les bons mots en français, il faut les inventer.

Les impondérables

Quand j’apprenais l’espagnol au lycée, ma chère prof Señora Mouser avait un dicton. Les élèves se plaindraient d’un point de grammaire, puis elle leur répondait « Qu’est-ce que tu en penses ? Qu’il y a 500 ans, un comité de vieux se sont assis autour d’une table en se disant « Que peut-on faire pour embêter Raul ? » C’est ça ? » (N’oubliez pas que nous avions dû adopter des prénoms espagnols ; moi, je tourne toujours la tête si on dit « Diego ».)

Elle voulait être ironique, bien sûr, mais je me demande parfois si c’était seulement parce que la Real Academia Española n’a été fondée que jusqu’en 1713. C’est parce que de plus en plus, je me demande si l’Académie française existe pour exactement cette raison.

Tout ça a été provoqué quand je me suis rendu compte d’une erreur stupide dans ma critique de Prospérine Virgule-Point. Vous êtes apparemment tous trop gentils pour me parler d’une telle chose :

Une monnaie appelée « livre » n’est pas « le », mais plutôt « la ». Tout ce que je peux dire pour me défendre, c’est qu’il n’y a aucun article qui apparaît avec le mot dans le livre :

Toutes les mentions sont des quantités comme ici. Ce qui m’a enfin rendu au courant, c’était un article sur Quora qui a mentionné des exemples de mots qui ont des significations différentes selon leur genre, dont celles-ci. Je connaissais déjà la différence entre un manche :

et une manche :

Mais il y en a beaucoup plus : la politique est ce qui se passe à l’Assemblée Nationale, alors que le politique est la personne qui veut y être. La règle est soit un truc qu’on utilise pour mesurer la longueur des choses soit ce qui est produit par la politique. Cependant, j’ai peur de décrire l’état d’affaires où ce tas de trucs m’appartient :

Des règles et d’autres choses, Photo par Kmtextor, CC BY-SA 4.0

C’est curieux, cette façon d’interdire d’avoir plus qu’une règle à la fois au moyen d’un sale tour linguistique.

Au fait, ce sera le sujet de la prochaine blague de la semaine.

Mais j’ai une autre plainte sur ce thème. Ça concerne les noms de nos états en français. D’abord, je trouve vos habitudes en ce qui concerne les noms étrangers incompréhensibles. Parfois vous insistez pour traduire les noms propres de leurs langues maternelles, au moins de leurs formes en anglais. Par exemple, Kuwait est la version anglaise du nom arabe kuwayt ; en français, on écrit plutôt le Koweït. Par contre, on écrit le Costa Rica bien qu’il y ait une traduction exacte de l’espagnol, la Côte Riche.

Alors on trouve qu’aux États-Unis, New Mexico devient le Nouveau-Mexique et Hawaii devient Hawaï (sans article). Mais le New York n’est pas « Nouveau-York », le New Jersey n’est pas « Nouveau-Jersey », et Massachusetts est juste le Massachusetts bien que ça doive faire mal à la langue pour vous tous. Et croyez-moi, c’est franchement pas facile pour nous non plus ! C’est impossible de comprendre pourquoi vous traduisez certains, mais pas d’autres.

Encore pire, vous faites des exceptions aux règles ! Habituellement, si je vous dis que je suis dans ma ville, je dis « Je suis à Elbe-en-Irvine ». Dans mon comté, « dans le comté d’Orange ». Dans un état, ça suit les règles pour des départements selon le féminin ou le masculin : « en Californie », « dans le New Jersey ». Mais il y a deux exceptions : « au Texas » et « au Nouveau-Mexique ». Personne ne m’a jamais dit la raison, mais peut-être que ça a quelque chose à voir avec les deux ayant les noms d’autres pays. Après tout, il y avait une République de Texas avant qu’elle ne fasse partie des États-Unis. Pourtant, le Nouveau-Mexique n’était jamais son propre pays. Mais plus important :

Pourquoi est-ce que vous avez des avis forts sur ce sujet ?

Et franchement, je soupçonne depuis longtemps que l’on dit « au Québec » au lieu de « dans le Québec » pour être un peu coquin. Mon explication pour le Texas et le Nouveau-Mexique ne s’applique pas au Québec, parce qu’il était toujours soit une colonie soit une province, jamais un pays indépendant.

Tout ça, c’est-à-dire que dans une langue souvent très logique, quand vous faites des exceptions, elles ne sont jamais petites. Elles confondent. Mais peut-être que c’est pour s’assurer que les élèves font attention. Cela, ce serait l’explication la plus française de toutes !

Not faire

En anglais, « fair » (en tant qu’adjectif) veut dire « juste ». On le prononce d’exactement la même façon que « faire ». Alors comme notre ami Calimero, qui se plaignait tout le temps que c’était vraiment trop injuste, les enfants anglophones se plaignent que « it’s not fair. » Mais moi, j’ai une autre plainte sur faire.

On l’utilise beaucoup trop.

Je suis aussi coupable que n’importe qui. On a la même mauvaise attitude paresseuse en anglais. Et les japonais, eux aussi. Nous disons tous « faire » ou « do » ou «する» (suru) comme s’il n’y a aucun autre verbe dans les langues. On fait les courses, les valises, le parcours, les magasins, un tour — il n’y a presque rien que faire n’arrive pas à… euh… faire. En anglais, ma mère a un coup de faire assez grave qu’elle dit « do the candles » (faire les bougies) pour dire « allumer les chandelles sur un gâteau ». Chez les japonais, c’est assez grave qu’ils disent « ai shimasu » pour « je t’aime » — c’est à dire qu’ils font l’action d’aimer quelqu’un.

Il s’avère que je suis très loin d’être le seul à se plaindre de ce problème. J’ai cherché « verbes au lieu de faire » avec le but de trouver ceux qui en avaient marre de faire, autant que moi. J’étais pas déçu.

Par exemple, j’ai trouvé un épisode d’un podcast qui parle d’une belle dizaine de synonymes pour faire, et je ne savais même pas qu’on pourrait utiliser faire dans certains de ces cas !

Il mentionne dire « Ça fait combien ? » et le remplacer faire par coûter. Mais moi, j’ai seulement appris coûter pour ceci ! Je ne suis pas sûr que j’aurais compris le sens s’il ne l’avait pas donné !

Autre exemple : Il donne deux phrases, « Je ne m’y fais pas. Je ne m’y habitue pas. » Encore une fois, je connaissais seulement « s’habituer » pour cette utilisation ! Peut-être que le hibou vert n’était pas aussi idiote que l’on en pense.

J’ai trouvé aussi cette leçon d’un lycée rouennais. Ils font la polémique contre plusieurs verbes, non pas seulement faire — et contre « chose » aussi ! Au lieu d’avoir, ils suggèrent « comporter », « éprouver », « poursuivre », etc. Mais il faut… euh… fabriquer attention : ces mots veulent dire des… hein, comment dire selon eux… ustensiles très particuliers. On « éprouve » des sentiments, on n’éprouve pas un stylo dans sa trousse. C’est peut-être pas si facile de tout simplement remplacer faire, ni avoir non plus. Voyons.

Le tour est quand même fait joué. Je ressens ai envie de faire composer des phrases presque aussi compliqués que dans mes livres. Je tombe suis toujours pas fini avec Prospérine Virgule-Point et la phrase sans fin (80 %), mais je remarque que dans ce roman, personne ne « dit » jamais rien. Ils bafouillent, ils marmonnent, ils grondent, mais disent ? Jamais. (11 fois dans les 100 premières pages, mais presque toujours dans les paroles d’un personnage.) Je peux confectionner faire ça, je vous gronde dis !

Langue de Molière vous reverra la semaine prochaine mais encore une fois, je ne sais toujours pas quel sera le sujet.

Vous vous appelez QUOI ?

Langue de Molière est bien au courant du fait que certains ne s’amusent pas en lisant qu’il pense à « jamais » et à « colère » en voyant Nevers et Angers sur une carte. Mais il n’est rien que juste, alors aujourd’hui, on parle de noms en anglais pour vous faire rire.

On commence avec notre plus grande chaîne de théâtres. Franchement, après toutes les fusions, acquisitions et faillites des deux dernières décennies, elle est la seule chaîne de théâtres, au moins dans l’ouest. Anciennement, on trouverait des théâtres ici avec des noms bien français — Bijou, Savoy (comment on écrit Savoie), Vogue. Maintenant, les théâtres sont tous :

Regal Cinéma, Photo par WhisperToMe, Domaine public

En anglais, « Regal » sans l’accent est synonyme de « royal » (qui veut dire la même chose dans les deux langues). Vu que l’on y paye 7 $ pour les mêmes bonbons vendus pour 1 $ aux supermarchés, c’est pas exactement un régal pour le porte-feuille.

Vous connaissez sûrement McDo, mais je vais vous choquer avec l’exemple suivant. Des années 70s jusqu’en 2004, le clown Ronald McDonald avait une bande de potes (dont de nombreux criminels — Hamburglar et les Fry Guys, liens en anglais), qui vivaient tous dans le pays imaginaire de McDonaldland. Mais le meilleur ami de Ronald, réapparu juste cette année dernière dans leurs courriels ?

Ouaip, son nom est en fait « Grimace ». Mais le mot n’est pas si différent entre les deux langues — et c’est pire en anglais, où c’est une expression plutôt douloureuse que comique ! Il a fait son début pendant les années 70s en tant que méchant, mais le temps que j’aie commencé à avoir des souvenirs, il était déjà devenu gentil. Qu’il ait gardé ce nom, c’était bizarre !

Peut-être que si vous avez des parents ici et les pères embauchent des tuteurs pour leurs enfants, vous entendrez parler qu’ils font tous de la publicité avec des annonces qu’ils seront en retard. Une chaîne appelée Mathnasium met ces promesses dans leur logo !

Logo de Mathnasium, Domaine public

Qu’es-ce qui arrive ? Aux États-Unis, les notes aux écoles sont sur une échelle de F à A, avec des symboles moins et plus, plutôt que de 0 à 20. A+ est la meilleure note possible. Rien à voir avec le SMS pour « à plus tard ».

Finalement, je me demande pourquoi personne ne m’invite plus aux fêtes depuis que j’ai commencé avec le français. Plutôt, ils m’envoient des invitations bizarres avec des avertissements partout :

Evite ne veut vraiment pas dire « évite ». C’est plutôt un reste des années 90s, où des entreprises en ligne ont choisi leurs noms em ajoutant « e » pour « électronique » aux noms de leurs produits. Un vendeur de jouets (toys) était eToys, un vendeur de cartes (cards) de vœux était eCards, alors un vendeur de cartes d’invitation est devenu e + invite -> evite.

Pour la première fois, Langue de Molière n’a aucune idée de ce qui arrivera dans cette colonne la semaine prochaine.

Du coup

Je vous ai déjà dit que les deux mots les plus difficiles pour moi en français sont « à » et « de ». Mais il n’y a peut-être aucun mot qui m’est plus difficile à donner une signification que « coup ».

Le premier coup dont j’ai fait la connaissance, c’était « coup d’état » car nous les anglophones l’avons emprunté au français. Mais pendant des décennies, le mot « coup » n’avait pas la moindre signification pour moi, sauf qu’on dit souvent juste « coup » pour « coup d’état ».

Puis j’ai commencé avec Duolingo, et il y avait des coups de pied et des coups de poing partout. Pas difficile à comprendre, mais tout à…euh…coup, « coup d’état » me faisait mal à la tête. C’est un pied ou un poing qui livre leurs coups. Un « coup d’état » n’est pas quelque chose fait par l’état, mais au contraire, quelque chose qui arrive à l’état.

C’est mon amie F. qui m’a donné l’expression à laquelle je pense tous les jours, le Coup de Foudre. Heureusement, le sens de « coup » ici est exactement celui des poings et des pieds. La perplexité n’augmente pas. D’autre part, j’aurais pensé qu’un « coup de cœur » serait une crise cardiaque, pourtant c’est beaucoup plus proche au sens d’un coup de foudre. Je remarque avec tristesse que 16 moins après avoir écrit sur la Haute-Garonne, Mme Émilie Mazoyer ne s’est toujours pas rendue compte que je l’ai appelée mon coup de cœur. Chérie, si vous vous fâchez contre moi à cause de cet autre article, n’oubliez pas que j’ai barré l’autre instance ! (Je sais. Je sais.)

Mais que devrait-on penser de « sur un coup de tête »? J’en fait plein, bien sûr, mais c’est pas la tête qui fait les bêtises à suivre ! (C’est peut-être le problème.) La tête ne frappe rien, de toute façon. C’est également heureusement le cas qu’aucun œil ne vole nulle part quand on jette un coup d’œil.

Il y a longtemps, j’ai vu cette liste sur Quora, mais j’ai oublié d’enregistrer le lien :

Honnêtement, au-delà des amis auxquels je l’ai partagé ce jour-là, je ne me souviens de même pas une fois où j’ai entendu « du coup ». Du coup, il me semble que j’ai toujours très peu d’idée de ce qui veulent dire ces coups.

Je me regarde dans la photo en haute ici, et il me semble qu’un « coup de peigne » doit être quelque chose de cruel, ce qui est en fait le cas. Pourtant, personne ne m’a pas attaqué avec un peigne ; les cheveux ont fui de leur propre volonté, et je ne les pardonnerai jamais. Qu’est-ce qu’un coiffeur avait dû faire pour être immortalisé de cette façon ?

Puis il y avait une série télévisée, Les 400 Coups de Virginie. Si coup voulait toujours dire qu’on frappe quelque chose, ce serait insensée, à moins qu’elle ait commis des crimes ! Mais en fait, « faire les 400 coups » parle d’une bataille où Louis XIII a attaqué la ville de Montauban. Les 400 coups de canon étaient censés détruire la ville, mais de nos jours, ça veut dire quelqu’un qui vit une vie désordonnée, comme s’il a reçu les 400 coups. Si on ne connaissait pas l’histoire — bonjour, moi voilà ! — cette expression aurait l’air fou.

Il y a des centaines d’autres coups. Un « coup de vieux » arrive quand quelque chose n’est plus à la mode ; plutôt un coup de vieillesse, je penserais. Un « coup de Trafalgar » arrive avec « une manœuvre inattendue, et souvent décisive » ; personne ne s’attendait à ce qui ait fait l’amiral Nelson. Je suis franchement étonné que celui-ci fait partie du vocabulaire. Mais maintenant, ma coupe est pleine ; ce coup de coups me fait mal à la tête.

Langue de Molière vous reverra la semaine prochaine avec des noms pour vous faire rire.