Avant de me lancer dans Langue de Molière pour cette semaine, je veux attirer votre attention vers un concours chez Les Dédexpressions, duquel cette colonne en a beaucoup tiré.
Le français a quelques mots qui ne le sont vraiment pas. Le « t » qui prend sa place entre des verbes et des pronoms au cas où le verbe terminerait par une voyelle : parle-t-on, par exemple. Ou le « l » qui se met avant « on » pour ne pas avoir l’air qu’on. Ces mots n’ont aucun sens, et sont là juste pour la sonorité.
Mais il y a quelque chose que le français exige que je trouve également sans sens, et on en parle maintenant. C’est « en », dans son sens pour compter.
En anglais, je peux dire soit « I’ll have one burger » (Je prendrai un burger) soit « I’ll have one » (J’en prendrai un) sans le nom « burger » — mais sans ajouter n’importe quel autre mot, comme « en ».
En espagnol, je peux dire « Tomaré una hamburguesa » ou « Tomaré uno ». Le genre est masculin quand on ne mentionne pas le nom, mais il n’y a pas d’autre mot non plus.
En japonais on dirait « Hambaagaa o itadakimasu » ou « Hittotsu o motte imasu ». C’est tout autre monde là-bas, mais l’explication simple, c’est qu’il faut utiliser des mots dits « compteurs » ; « hittotsu » est un de plusieurs compteurs pour 1. Si je veux dire que j’aimerais deux hamburgers, il faut dire « Hambaagaa o hutatsu itadakimasu ». On peut omettre le compteur pour un seul exemple, mais deux ou plus exige le bon compteur.
On peut donc facilement voir que de mes trois autres langues rien ne sert au but d’« en » dans « J’en prendrai un ». Et ici, avec un peu de linguistique, on peut voir pourquoi « en » me dérange.
Chez les linguistes, on parle d’une « paire minimale », deux phrases qui ne sont différentes que d’un son, une lettre, ou un mot. Ce test nous permet de distinguer des significations. Par exemple, si on dit — à haute voix :
Je suis une fille.
Je suis une fée.
on peut facilement voir que la dernière voyelle distingue les deux sens. (Essayez d’ignorer l’écriture ; à haute voix, seulement cette voyelle-là est différente.) D’autre part, si on dit :
Je suis bête.
J’suis bête.
le son est différent, mais la signification est la même. On appelle ça un allophone – un changement de son qui n’a pas sa propre signification.
Alors, si je dis :
J’en veux un.
Je veux un.
vous allez tous me dire que la première phrase est du bon français, et l’autre est du bon n’importe quoi. Ce n’est pas une paire minimale car il n’y a rien à quoi la première contraste. Mais c’est exactement ça ma plainte ! Il n’y a aucun risque de confondre la signification de la phrase sans « en » avec une autre signification — et dans toutes mes autres langues, dont une latine, il n’y a pas de tel mot ! « En » ne sert même pas à réussir un but de sonorité comme « l » et « t » dans nos exemples en haut.
Et avec ça, Langue de Molière en prendra cinq. (On dit « take five » pour une brève pause en anglais.) On se reverra la semaine prochaine pour parler de ce que l’on apprend en français quasiment gratuit.