Je pense parfois à ouvrir une pâtisserie, et de la nommer « J’ai torte ». Le problème, au-delà des limites de mon dos, qui ne supporterait pas rester debout autant, c’est que les clients anglophones ne comprendraient pas le « j’ai » et les francophones, le « torte ». En ce cas, torte est un mot qui veut dire un gâteau en anglais ainsi qu’en allemand. Une forêt-noire, par exemple, est nommé Schwarzwälder Kirschtorte en allemand ; la tarte Sacher s’appelle Sachertorte. Vous comprenez sûrement.
Mais c’est le « j’ai » qui provoque notre réflexion du jour. Quand je dis que les anglophones ne comprendraient « j’ai », c’est simplement que c’est dans une langue étrangère à eux. Mais il y a aussi un sens plus profond, parce que ça exprime un sens différent de sa traduction en anglais.
Avoir veut dire que son objet appartient au sujet ; la traduction habituelle en anglais est « havé ». Mais ce n’est pas le mot que l’on utilise en anglais pour exprimer beaucoup des mêmes idées. Pour un torte, un gâteau, on dirait en français « J’ai un torte », mais évidemment je voulais faire un calembour avec « j’ai tort ». Et pour ça, on dirait plutôt « be », traduit habituellement en français comme « être ». Comme l’anglais doit être déroutant à première rencontre — « I am hungry/hot/cold/wrong » — « Je suis faim/chaud/froid/tort/etc. ». ([Ne vous inquiétez pas. Vous aurez tort pour toujours chez moi. — Mon ex])
C’est exactement ici où l’espagnol m’a permis de sauter par-dessus de cette expérience. L’espagnol fait la même distinction que le français. Sauf que. (Phrase entière, comme dit notre ami Jours d’humeur.) Sauf qu’en espagnol, qui est trop riche en verbes — ayant ser et estar pour des sens différents d’être — c’est plutôt « tener » pour tous ces sens d’avoir, et tener veut vraiment dire « tenir ». Avoir, surtout en tant qu’auxiliaire, l’espagnol a « haber » pour ça.
J’étais récemment curieux sur les vœux de mariage en français. Oui, oui, je sais, on va à la mairie, il n’y a plus de mariage religieux en France, mais il y a toujours des églises, n’est-ce pas ? Et non, la question n’a aucun intérêt personnel ; en juillet, je « fêterai » un anniversaire honteux sur ce sujet, et non pas quant au divorce. Ce que je voulais savoir vraiment, c’était comment on traduisait « to have and to hold », littéralement « d’avoir et de tenir », mais peut-être tout autre chose vu la discussion en haut.
Aux églises américaines, également catholiques que protestantes, cette formule est plutôt archaïque, et n’est plus souvent utilisée.
(Name), do you take (name) for your lawful wife, to have and to hold, from this day forward, for better, for worse, for richer, for poorer, in sickness and in health, until death do you part?
Mais il reste une option chez les catholiques et les anglicans aussi. En français, cette paragraphe du « Livre de la prière commune » se rend littéralement :
(Nom), est-ce que vous prenez (nom) pour être votre femme légitime, d’avoir et de tenir à partir de ce jour, pour le meilleur et pour le pire, dans la richesse, dans la pauvreté, dans la maladie et dans la santé, jusqu’à ce que la mort vous sépare ?
(Adopté de ma part de la source la plus proche que j’ai pu trouver.)
La traduction officielle moderne des anglicanes remplace l’expression tout simplement par « garder » (pp. 388-391). Pour leur part, selon La Croix, l’expression est tout disparue chez les catholiques avec « l’aimer fidèlement » en préférence. Je remarque que la maladie et la santé sont également disparues ! Mais je ne suis pas expert. Si vous en savez plus, renseignez-moi dans les commentaires, s’il vous plait.
J’ai trouvé des preuves que l’expression ancienne est connue, mais rien pour dire qu’elle est courante.
Curieusement, on ne dit pas « Je suis envie » en anglais pour « J’ai envie ». Le motif a ses limites, et « envy » veut quand même dire tout autre chose, beaucoup plus proche de « j’envie ». C’est une autre histoire.
Langue de Molière se mettra en pause jusqu’après mes vacances, parce que je vais essayer d’avancer plus vite dans le Tour des Départements, comm je vous ai dit.