Le melon de Molière

Langue de Molière est de retour avec une histoire hilarante ainsi que quelques autres remarques sur le français à la sauce québécoise, mais pour une raison qui deviendra rapidement claire, je me sens obligé de vous rappeler qu’il y a une raison derrière les règles de 5 Minutes Avec — je suis un homme américain, donc hyper-sensible à la moindre possibilité d’un malentendu que l’on perçoit comme harcèlement.

Au cours de 2022, j’ai appris l’expression « avoir le melon ». Selon Wiktionary, c’est un synonyme de « avoir la grosse tête ». Je crois que l’ai appris d’un lecteur ici qui l’avait mentionné dans les commentaires, et avait dit « gros melon », car je l’utilise toujours avec gros, comment je me souviens de l’avoir entendu. Mais je n’arrive à trouver aucune preuve, ni avec Google ni avec le moteur de recherche de WordPress. En anglais, on dit « have a big head », identique à « grosse tête », et je suis sûr que ça m’influence aussi.

La première fois où elle a apparu sur le blog était en décembre de cette année, où j’ai dit que ma première apparition dans un journal français allait « pousser le gros melon ». Je l’ai utilisé deux fois en 2023 (première, deuxième), avec avoir au lieu de pousser, et il me semble que tout le monde l’a compris comme référence à un égo bien gonflé. Alors, la conversation :

Anne-Marie et moi étions au resto, et la conversation est tournée en direction La Fille, comme d’hab chez moi. Avec ça, on a aussi parlé de ma relation avec sa mère, et j’ai dit qu’elle avait le gros melon.

Anne-Marie est pliée de rire, et moi, j’étais tout perplexe !

Il s’avère qu’au Québec, ils sont influencés par l’anglais à cet égard. En anglais, si on dit d’une femme qu’elle a de gros melons (au pluriel !), ça parle des seins. L’expression hexagonale, par contre, n’est pas connue. Dans le contexte de la conversation, il aurait été bizarre pour moi d’avoir remarqué sur son corps quand on parlait de son caractère, mais aux États-Unis, personne ne serait soucié de ce détail. Heureusement pour moi, on a vite compris la différence.

Ça nous a mené de parler de Denyzee, une youtubeuse française qui habite au Québec et parle parfois des significations différentes pour les mêmes mots. Voici un exemple que j’ai vu très tôt dans mes études :

Elle dit, par exemple, qu’en France « graine » veut dire un genre de légume, mais au Québec, c’est plutôt l’organe mâle ! En France, une culotte est un sous-vêtement ; au Québec, c’est un pantalon. Croyez-moi, quand j’ai appris la version hexagonale, j’ai eu tout à coup tout genre de questions sur mon cours d’histoire européenne en 2e, où on parlait des « sans-culottes » ! Mais bien sûr, c’est les Québécois qui ont gardé le sens du mot au temps de la Révolution.

Vous voyez pourquoi il m’est important d’être la sorte de personne où s’il y a un malentendu, on blâme d’abord la langue.

On me demande depuis mon retour si j’avais du mal avec l’accent québécois. La réponse sarcastique, c’est « ben non, comment ça, leur anglais sonne juste comme le vôtre ! ». Mais en fait, Anne-Marie et moi avions discuté exactement ça aussi. À mes oreilles, son accent est plutôt comme le nord-est des États-Unis. J’ai eu du mal quand elle disait « quinze », car ça me sonnait exactement comme le nom de famille de l’économiste John Maynard Keynes, prononcé par un britannique. C’est très différent de la prononciation hexagonale. Pour sa part, elle m’a trouvé plutôt hexagonal, la seule fois où j’entendrai une telle chose, j’en suis sûr.

Au fait, je connaissais une québécoise au lycée, qui était là pour un séjour linguistique. (Elle a fini par se marier avec un de mes copains de classe, mais ils n’étaient pas ensemble à l’époque.) Elle avait la prononciation la plus charmante au monde entier pour le mot anglais pour onze, « eleven ». Un anglophone mettrait le stress sur la deuxième voyelle, « e-LE-ven ». Dans sa bouche, c’était plutôt « E-le-VEN ». Je ne peux plus vous dire comment elle a prononcé n’importe quel autre mot, mais celui-ci, je peux l’entendre toujours.

Non, je n’ai jamais rien dit à cette personne sur ce sujet. Je suis sûr qu’elle m’aurait cru cinglé.

De toute façon, Anne-Marie a l’honneur d’être la seule personne qui a jamais vu le fichier où je garde toutes les idées pour ces billets, car on était immédiatement d’accord qu’il me fallait écrire sur « melon ».

Langue de Molière vous reverra la semaine prochaine pour parler de l’expression française préférée de La Fille.

12 réflexions au sujet de « Le melon de Molière »

  1. scriiipt

    J’adore…
    Pour décrire quelqu’un qui est en passe de devenir prétentieux suite à un succès important (ou qui l’est devenu), on passe par tout un tas d’expressions plus ou moins imagées. Prendre la grosse tête, le melon, avoir les chevilles qui enflent, etc… Le melon s’il est seul, se comprend facilement, mais s’ils sont deux, on parle bien de tout autre chose. ^^
    Les différences de compréhensions et de sens des mots d’un pays francophone à l’autre, voire même d’une région ou d’un département à l’autre, c’est vraiment l’occasion de se prendre les pieds dans le tapis. On fini par se comprendre, et en plus en rigolant bien… Sans compter la guerre Pain au Chocolat / Chocolatine… Perso, c’est Pain au Chocolat ici où je suis, mais on est entourés de départements qui sont Chocolatine, c’est dramatique 😉

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      1. scriiipt

        On dévie un peu du sujet, mais c’est un problème réel sur certains réseaux sociaux ou blogs, de n’avoir qu’une icône de cœur ou une étoile pour marquer  »salut » ou  »aime ». Quelqu’un annonce une nouvelle horrible dans un article ou un post, et si on n’a pas envie de commenter (parce que sujet sensible ou délicat à aborder), on n’a qu’une étoile ou un cœur pour s’exprimer.
        Bref, petite parenthèse hors-sujet.
        Team  »Pain au chocolat » quand même… 😋

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  2. Bernard Bel

    J’ai peut-être déjà raconté ici l’histoire d’une Française émigrée au Québec qui avait fièrement préparé des gâteaux qu’elle avait servis à des ouvriers en chantier chez elle. Elle leur avait demandé s’ils les appréciaient et ils avaient répondu : « Ils sont vraiment écœurants ! » Très déçue sur le moment, elle a appris plus tard que « écœurant » est synonyme de « délicieux » !

    Et j’ai entendu une conférencière québecoise déclarer au début de son intervention qu’elle était « très excitée d’être ici… » Comme l’auditoire n’était pas choqué (ni « excité ») j’en a conclu que « excité » était une simple traduction de “excited”.

    Il paraît enfin que Nicolas Sarkozy, quand il avait reçu Trudeau à l’Élysée, voulait « parler jeune » et lui avait demandé : « Comment vont vos gosses ? » Sans savoir que les « gosses » ne sont pas les enfants au Québec, mais une partie de l’anatomie masculine…

    Il faut toujours être très prudent quand on s’adresse dans une langue très proche mais pas identique. 😉

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