La politesse revisitée

Il y a des années, peu après ma première visite en France, j’ai écrit un billet pour exprimer à quel point le vouvoiement me manquait. Ainsi que d’autres choses : les caissiers qui ne criaient pas dans son dos, l’utilisation de « Monsieur » et « Madame » partout. J’ai des larmes aux yeux juste en y pensant. (Mes attentes ont vraiment baissé au cours de la dernière décennie.) Je ne savais pas ce que j’allais écrire ce soir jusqu’à l’arrivée d’un courriel inattendu, qui va très bien avec autre chose qui est arrivée hier. La politesse a tout à coup repris sa place.

Alors, le courriel. On est presque mars, et ça veut dire que c’est presque le temps pour sortir le prochain bulletin de l’OCA, ce qui arrive tous les deux mois. (Je dois toujours choisir les recettes !) Plus la date limite s’approche, plus je reçois des courriels avec des mises à jour. Rien de choquant, là. À chaque fois où je reçois un tel courriel, je réponds avec un remerciement, et je les signe tous « À bientôt, Justin ». Parfois, si c’est à quelqu’un de plus proche, j’écris plutôt « À+ », mais vous avez l’idée.

J’étais donc choqué à recevoir un courriel ce soir juste pour me dire « Désolé que je ne t’ai pas salué ». Euh, quoi ? Non, QUOI ?

NON, MAIS SÉRIEUSEMENT, QU’EST-CE QUI SE PASSE ?

Je ne sais même pas comment je le vérifierais, mais je crois que personne ne m’a jamais envoyé un courriel pour s’excuser. Jamais de la vie. (Je ne compte pas les courriels des services aux clients qui doivent faire ça, je veux dire juste ceux qui sont soit des connaissances soit des collègues.) Mais pour une si petite chose ? Honnêtement, très peu de monde se soucient des salutations dans de telles situations en anglais — il ne me serait jamais venu dans l’esprit que son premier courriel n’allait pas !

Pour ma part, je me souviens d’un bon nombre de courriels que j’ai écrits au cours de ma vie pour ce but, mais je suis un cinglé. Et dans la culture américaine, je dirais que ça donne l’impression que l’on a bel et bien mal rangé le bordel. Responsabilité pour son comportement, c’est pour les autres !

Passons à l’autre chose. J’ai récemment commencé à suivre un compte sur Instagram, les_states_et_moi, géré par quelqu’une qui a une boutique de même nom qui vend des accessoires de voyage. Elle a partagé des photos d’un arrêt tout inconnu à moi, pas loin de Las Vegas :

Mon excuse, c’est que l’endroit n’est pas le long des autoroutes que j’utilise pour y aller. On a échangé des commentaires :

Capture d'écran d'une conversation sur Insta :
Elle : « Vous vivez aux USA ou en France ? »
Moi : « Je suis californien de naissance et y reste. »
Elle : Des emojis avec les yeux énormes.

J’ai partagé ça sur Facebook avec le commentaire « J’ai parfois l’impression qu’il serait super si je pouvais échanger de place avec certains. » À ça, deux amis ont répondu que si je devais vivre en France avec un salaire français, je changerais rapidement d’avis. Je suis au courant que tout me semblerait plus cher là si je ne me suis pas déjà habitué aux prix californiens. Mais pour autant que je les adorent, ils se trompent. Ça nous amène à quelque chose que je veux dire depuis le début.

Connaissez-vous la théorie économique de la perte sèche ? Il y a plusieurs versions, mais quant aux impôts, l’idée est simplement que dans un marché il y a les courbes de demande et d’offre, et si rien n’interpelle les échanges, le point où les courbes croisent est l’équilibre, avec un maximum d’échanges. Si on fixe un prix — ou également, si des impôts s’imposent — le volume d’échanges sera moins que ce maximum théorique. Cette perte d’échanges est la perte sèche, et ça baisse la richesse d’une société.

Graphique de courbes de demande et d'offre avec des lignes qui montrent les changements dûs à fixer certains points.
Exemple de perte sèche, Image par Valmat, CC BY-SA 3.0

Les impôts en France sont plus hauts que ceux de chez moi. Je le sais, et c’est de ça que parlent mes amis. Mais ce dont je rends compte depuis longtemps maintenant, c’est qu’il y a d’autres biens dans la vie, et tant que l’on est libre de choisir entre ces biens, il n’y a pas trop pour s’en plaindre. L’Europe a en général choisi de vivre à un point différent sur ce graphique que les États-Unis. Cependant, les valeurs et la culture qui vont avec ce choix sont différentes aussi. Je ne ferais jamais le même choix si on parlait de l’Allemagne ni les Pays-Bas (je n’ai pas de dent contre ce dernier). Mais pour une culture où on offre ses excuses pour une salutation, et dit madame et monsieur ? Et mange des macarons en plus ?

Je l’assume.

9 réflexions au sujet de « La politesse revisitée »

  1. Avatar de AngeliqueAngelique

    Bonjour Justin, un petit débat pour aujourd’hui ?
    La politesse écrite résiste mieux autour de moi que la verbalisation. Je pourrais donner des exemples et y passer la journée 🙂.
    Côté niveau de vie des français : l’égalité n’est pas de ce monde, je te l’accorde. Mais beaucoup de personnes autour de moi ont à peine 900€/mois. Une fois payé le loyer, l’électricité, l’eau, etc…. Ils ont à peine de quoi se nourrir correctement.
    Comptabilité : je n’ai pas compris pourquoi tu inclus la compta dans ton post. J’ai passé des pertes sèches pour des erreurs de caisse, rééquilibrer un bilan ou un compte de résultat (dans ma jeunesse, j’ai fait 10 ans d’analyse financière avant de changer de vie).
    Cette semaine, j’ai eu les services professionnels de Bouygues Telecom au téléphone (oui, internet ici, c’est le moyen âge). Ben sincèrement, je n’ai que rarement eu une personne aussi charmante et efficace depuis longtemps.
    Je ne sais pas si la prestation proposée sera à la hauteur de sont prix exorbitant, mais de toute façon, on essaie avant de me faire payer. Livré en 24h….
    Alors si, si, la politesse reste agréable.
    Mon cher Justin, je te souhaite une excellente journée. Amitiés, Angélique 🙂

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    1. Avatar de Justin BuschJustin Busch Auteur de l’article

      Bonjour Angélique, WordPress an mis ton commentaire en attente, alors je l’ai raté avant.

      Les pertes sèches n’ont rien à voir avec la politesse en soi. C’était plutôt en réponse aux remarques de mes amis qui croient que les salaires plus hauts sont une raison suffisante pour préférer la Californie à la France. Ce que je voulais dire, c’était que je comprends pourquoi les choses sont différentes entre les deux — mais je garde quand même mon désir de déménager, car ce que j’estime n’est pas l’argent.

      Peut-être qu’il y avait trop de choses dans un seul post pour que ce soit clair. Bonne journée !

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  2. Avatar de FilimagesFilimages

    C’est aussi pour ça que je me suis abonné à ton blog : Découvrir des idées et des opinions différentes sur nous-mêmes (Français), en-dehors des clichés habituels. Ben là, ton étonnement m’est complètement incroyable. Je n’aurais jamais imaginé que l’on puisse avoir une telle réaction pour quelques mots qui me semblent anodins.
    La question des impôts (et des charges) en France est un vaste sujet. Les impôts financent notre système social et les services publics, mais ils handicapent la compétitivité et l’emploi. Un économiste avait calculé le taux optimal d’imposition pour le meilleur équilibre. Je ne me rappelle plus de ce taux, mais je me rappelle que la France était (est) très au-dessus.
    Je referme le débat car il fait râler beaucoup de monde, comme tu dois t’en douter… 🙂

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    1. Avatar de Justin BuschJustin Busch Auteur de l’article

      À mon église, il y a une décennie, le prêtre s’est plaint que la Sainte-Bible elle même interdisait la baisse d’impôts que l’on discutait à l’époque. Alors oui, c’est un sujet tendu partout !

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  3. Avatar de vanadze17vanadze17

    Je pense que la politesse verbale est en perte de vitesse chez nous.
    Par exemple, au marché ou chez le boulanger, les clients ne disent pas « s’il vous plaît, ni merci, ni bonjour » en arrivant… voire, certains essaient de vous passer devant !!!
    Autre exemple, les patients qui n’honorent pas leur rendez-vous chez le médecin, ne préviennent pas non plus (ils vont devoir payer quelque chose malgré tout – et chez certains médecins, c’est le prix de la consultation).
    Dans les écrits, c’est moins flagrant, les formules de politesse sont présentes.
    Dans la vie de tous les jours, en famille ou entre amis, cela dépend de leur éducation !

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