Archives mensuelles : avril 2025

La pénurie de pistaches

Il n’y a pas de Dimanche avec Marcel cette semaine. J’avais planifié quelque chose pour le changement de tomes, et je ne voulais pas dire quoi exactement, mais je viens de lire un article qui explique mon problème, alors je suppose que je vais un peu divulgâcher. Mais d’abord, revisitons la blague de la semaine pour le 19 septembre 2022 :

C’est une mamie qui entre dans la boulangerie de M. Martin et demande combien coûte une douzaine de croissants. « C’est 7 euros, madame », répond le boulanger. « Mais ça coûte un bras ! » exclame la vieille. « M. Durand les vend pour 6 € ! » « Bon, madame, allez les acheter de lui », dit-il. « Mais je ne peux pas. Il n’en a plus. » Et le boulanger lui répond « Madame, quand je n’en ai plus, moi aussi, je les vends pour 6 €. »

C’est une blague new-yorkaise que j’avais « francisée » — dans la version originale, il s’agissait plutôt de bagels, mais vous n’auriez pas su combien coûtent les bagels ici. Et si j’avais utilisé les prix typiques américains pour les croissants, on parlerait plutôt de 40 $ pour une douzaine ! (Et 48 $ s’il s’agissait de pains au chocolat !)

Des pistaches crues, dans leurs coques
Pistaches, Photo par Kobi Schutz, CC BY-SA 3.0

De toute façon, j’avais besoin de pistaches. Mais les seules pistaches disponibles autour de moi sont inutiles — déjà salées ou autrement adultérées avec des poudres pour leur donner des goûts de tout sauf des pistaches. (Ça, c’est la faute à une entreprise qui se dit Wonderful, mais est tout sauf ça — elle contrôle 60 % du marché américain — lien en anglais.) Le marché où je compte sur trouver des fruits de coque crus, décortiqués et en vrac n’en a pas depuis deux semaines déjà. Pourtant, le ticket sur le récipient vide indique qu’elles se vendent pour 17 $ la livre — environ 33 €/kg en ce moment. Quand je n’en ai pas, moi aussi, je les vends pour 33 €/kg.

Alors, qu’est-ce qui se passe ? Selon BFM Business, c’est complètement la faute au chocolat de Dubaï. Voilà :

Depuis quelques mois, les chocolatiers et les marques du monde entier se mettent donc à proposer leur version du fameux chocolat Dubaï. Sauf que cette tendance n’est pas sans conséquence.

L’explosion de la demande a entraîné une forte hausse du prix des pistaches. Le tarif est passé de 7,65 dollars la livre (soit environ 454 grammes) il y a un an à 10,30 dollars la livre aujourd’hui, explique au Financial Times Giles Hacking, négociant en fruits à coque chez CG Hacking.

Ce prix me semble quand même le prix de détail britannique, malgré étant cité en dollars — les sacs des pistaches « Wonderful » se vendent pour environ 8 $ la livre (environ 15,5 € le kg), avec des coques, à mon pas-super marché, Ralphs.

Je note, avec un certain malheur, que la marque Wonderful est aussi disponible chez Carrefour, où leurs pistaches se vendent pour environ 23 € le kg — une augmentation d’environ 50 % sur leur prix aux États-Unis. Ce qui n’est pas à dire que les autres pistaches disponibles chez Carrefour sont bon marché par rapport aux produits Lamentable — désolé, Wonderful. En ce moment, je vois toute une gamme entre 14 et 40 € le kg, mais si on ne veut pas de pistaches déjà salées, on paiera cher là, encore plus que chez moi.

Mais si cette histoire de chocolat de Dubaï n’était pas assez déjà, il s’avère que c’est aussi notre faute ! BFM continue :

D’autant qu’avant cet engouement pour le chocolat Dubaï, les stocks de pistaches s’amenuisaient déjà à cause d’une récolte décevante l’année dernière aux États-Unis, principal exportateur de ce fruit à coque.

Ai-je mentionné que cette entreprise Wonderful, c’est déjà le plus grand consommateur d’eau en Californie ? À votre place, je commencerais à chercher d’autres fruits à coque pour le futur proche. C’est certainement ce que je ferai avant ce prochain projet.

Je découvre Sandrine Kiberlain

On continue maintenant le Projet 30 Ans de Taratata avec la dernière des trois chanteuses qui rejoignirent Julien Clerc sur scène. Cette fois, on parle de Sandrine Kiberlain.

Photo de Sandrine Kiberlain en gros-plan
Sandrine Kiberlain, Photo par Georges Biard, CC BY-SA 4.0

Je dois avouer que je me trompai en faisant mes recherches. Elle apparaît sur plus de disques que Suzane ou Marie-Flore, mais est responsable de beaucoup moins de contenus — parfois juste un single ou des pistes d’une bande-sonore. Oups. Alors celui-ci sera plutôt bref, mais vu que pour elle, c’est plutôt un loisir qu’une carrière, ça va.

Sandrine Kiberlain naquit en 1968 à Boulogne-Billancourt, le même endroit que Véronique Sanson, France Rumilly et Zazie. Wikipédia indique qu’elle est le produit de l’histoire d’amour la deuxième moins probable : « Son père, expert-comptable et auteur de théâtre sous le pseudonyme de David Decca, a connu sa conjointe dans l’atelier de théâtre d’une école de commerce. » La combinaison de théâtre et école de commerce doit être plutôt rare, non ? ([Au cas où ce n’était pas clair, l’histoire la moins probable impliquerait le gros ! — M. Descarottes])

Il faut que j’ajoute que je vérifiai toute sa filmographie et ne vis jamais aucun de ses films. Pourtant, elle passe une quinzaine d’années à l’écran avant de sortir son premier enregistrement en 2000, quelques chansons de la bande-sonore du film Love Me, dont une en duo avec un type dont vous entendîtes peut-être parler, Johnny Hallyday :

Cette largement un effort de Johnny ; vous trouverez Mme Kiberlain notamment à 0:54 et 1:57. À ce point dans sa carrière, Johnny avait passé 4 décennies en étudiant la musique d’Elvis Presley, et savait la livrer. L’effort de Sandrine Kiberlain, en revanche, sent le karaoké. Les crédits suggèrent qu’elle chanta aussi un autre morceau seule, « Loving You », mais je n’arrivai pas à le trouver.

5 ans plus tard, elle retourne avec son premier album, « Manquait plus qu’ça ». Elle écrivit toutes les paroles, sauf pour un piste dont on parlera, mais la musique est à des collaborateurs. La chanson éponyme, quelle réussite ! Libérée de son manque de compétences en anglais, ici elle se montre sûre de soi, capable, et avec le choix d’accord, quelque chose du Moyen-Orient, même aventureuse. Bravo !

La Godiche est aussi merveilleuse. Vos condoléances montre qu’elle est à l’aise dans une tonalité mineure et une atmosphère sombre. Et si je vous disais que le refrain d’un autre morceau commence par « Je vais m’envoyer des fleurs » ? On penserait que c’est une chanson avec une attitude « Justin-chaque-février », mais juste quand je commençai à penser que je me trompai, elle lance « des roses que je ne t’enverrai pas ». Ouaip.

Malheureusement, personne ne lui conseilla de lâcher Girl, le seul morceau de l’album en anglais, une reprise des Beatles. Peut-être que vous pouvez en tirer du plaisir ; pour moi, c’est inécoutable. Autrement, j’adore cet album !

Son prochain, et à ce point dernier, album « Coupés bien nets et bien carrés » sort en 2007. Encore une fois, elle écrit les paroles et des collaborateurs font la musique. Cet album est un peu plus électrique que l’autre, avec plus d’effets de production, et je crois que ce ne lui sert pas pour le bien, mais elle reste très agréable. « La Chanteuse » me rappelle un peu « Intermittite aiguë » de Sandrine Mallick, et ça, c’est un haut compliment de ma part :

La chanson éponyme se traite d’une coupe de cheveux, et me rappelle un peu la musique de Blood, Sweat & Tears (surtout le choix d’instruments). « Perfect Day » me fit peur qu’elle soit une autre mésaventure en anglais, et elle l’est un peu — c’est en franglais — mais on réussit à lui expliquer le problème, car elle chante « Je t’ferais rire with my accent (avec mon accent) ». Je fondis, exactement comme vous vous seriez attendu. « Parlons plutôt de vous » est mélancolique à souhaits, mais je ne pus pas m’en arracher.

Son tout dernier enregistrement arriva en 2015, un duo avec Jean Rochefort d’une reprise de « Puisque vous partez en voyage » par Jacques Dutronc et Françoise Hardy. C’est charmant, mais monsieur pourrait être son père — même grand-père ! — et c’est plus une nouveauté qu’une partie importante de son œuvre.

Ben, en 2020, elle participa aussi à un projet intitulé « Vole », apparemment enregistré à la maison par une vingtaine de chanteurs en plein Confinement, mais franchement, je ne peux distinguer personne.

Que penser de Sandrine Kiberlain ? Elle n’a pas la puissance d’une Véronique Sanson ou une Jeanne Added, mais son articulation est parfaite — tant qu’elle évite l’anglais — et sa musique est bien choisie pour accompagner sa voix. Je la trouve beaucoup plus qu’agréable, et c’est dommage qu’elle n’ait pas de plus grand catalogue.

Ma note : J’achète l’intégrale — mais « j’oublie » d’ajouter les morceaux en anglais à mon portable.

Le luxe

Il y a deux mois, le Robb Report, un magazine américain consacré aux produits de luxe publia un article intitulé « Pourquoi les dîneurs — et les chefs — se détournent du Guide Michelin ». Je partageai des plaintes sur le Guide Vert au passé ici, notamment qu’il me semblait biaisé envers les grandes villes, mais à chaque fois de ma vie que je dînai dans un resto étoilé, j’étais d’accord avec le Guide Rouge. (On ne parle pas d’un gros chiffre, et jamais dans un resto 3 fois étoilé.)

Panneau de 3 étoiles, Photo par Chumwa, CC BY-SA 2.5

L’auteur commence en racontant sa visite dans un resto 3 fois étoilé à Hong Kong, très décevant, avec du service où il dut même demander à un serveur de remplir son verre . L’horreur ! Non, mais sérieusement, je ne dois pas faire ça à mon resto italien hebdomadaire, où ils me connaissent et le thé glacé ne se vide jamais. Pas d’étoiles, là. Cependant, il y a des plaintes plus sérieuses que ça, genre « les attentes sont imprévisibles ». Daniel, le resto le mieux connu de Daniel Boulud, chef expatrié originalement du Rhône, perdit 2 étoiles pendant la décennie dernière, et personne ne le comprend. (Je dînai à deux de ses restos à Las Vegas, les deux définitivement fermés depuis longtemps. L’un était excellent, l’autre n’avait rien de spécial.) Récemment, le chef Marc Veyrat interdit le Guide Rouge de son nouveau resto à Megève, disant « Que ce soit clair : je ne veux pas être dans le Michelin ! Qu’ils ne se pointent pas ici ! »

Le Robb Report continue par citer un ancien employé du chef Boulud, qui se plainte « Si on est client régulier dans un resto haut de gamme, on entend parler de nouveaux restos de l’effectif… C’est vraiment comment ça marche. » Et un chef anonyme dit « J’ai retenu une étoile et subi la pression. Et j’ai perdu une étoile et la pression en plus. C’était égal pour mes affaires. »

Tout ça, c’est à dire que les normes sont en train de changer. Mais à quel point ? Hier, j’eus une conversation avec un ami qui vous rencontrâtes avant. Il me téléphona pour annoncer qu’à cause de la chute dans les bourses de LVMH, et le fait que la valorisation de Hermès dépassa celle de LVMH, évidemment les produits de Louis Vuitton sont nuls, et par exemple, un sac Birkin est évidemment plus prestigieux qu’un sac Neverfull. (Je vous rassure, ce sont deux mots dont il n’entendit jamais parler avant.) La seule raison pour laquelle il connaît le sac Neverfull, c’est qu’il avait lu un article sur le fait que Louis Vuitton a une usine au Texas, et qu’il y avait des problèmes là.

Il n’avait aucune idée de la taille des revenus de l’un par rapport à l’autre, et je dus lui expliquer qu’il y avait tout une gamme d’alcool chez LVMH qui n’existe pas chez Hermès. Mais peut-être qu’il découvrit quelque chose pour de mauvaises raisons (et il se dirait revendiqué même si ses raisons sont fausses si vous êtes d’accord). Le sac Neverfull est la mauvaise comparaison pour le Birkin, car les prix sont très différents. Mais la gamme chez Louis Vuitton est beaucoup plus grande que celle de Hermès. Alors peut-être que c’est mieux de faire la comparaison entre les marques. Je vous pose donc deux questions — et je lui prévint que cette foule n’est pas obsédé par le luxe : 1) À votre avis, quelle marque est plus prestigieuse, Louis Vuitton ou Hermès ?, et 2) Est-ce que les nouvelles récentes vous firent changer d’avis ?

Mais je vous dirai la même chose que je lui dis en essayant de lui expliquer qu’il ne devrait pas avoir des avis forts sur le sujet — là où je suis, les femmes qui veulent se montrer des connaisseuses ne portent ni l’une ni l’autre. Elles portent du Goyard.

La réalité, existe-t-elle ?

Le week-end dernier, je fis un lot de macarons au chocolat afin de rester en forme (en tant que macaronnier ; évidemment, on ne parle pas de tour de taille en disant de telles choses). Avant de continuer, combien de monde aimeraient que je change du passé composé au passé simple comme en haut ? C’est l’histoire de mes derniers mois dans les coulisses, et franchement, c’est déroutant pour moi de passer de l’un à l’autre encore et encore. Mais la conjugaison n’est pas notre sujet aujourd’hui. C’est plutôt ce qui s’est passé quand j’ai posté les macarons sur Le Gram :

Si vous passez sur Instagram, vous entendrez la chanson que j’ai choisie pour aller avec, intitulée « Macarons », par une artiste inconnue pour moi, Jil Kommer. Au cas où vous n’utilisez jamais Instagram, voici le clip sur YouTube :

S’il vous semble que je choisis ces chansons par cherchant un mot puis fouillant dans les résultats jusqu’à ce que je trouve quelque chose d’inoffensif, ayez un bon point. Un bon point Schtroumpf à lunettes, mais un bon point quand même :

C'est une photo de Schtroumpf à lunettes avec la légende « 1 point Schtroumpf à lunettes. Pour avoir répondu sérieusement à une pauvre vanne pourrie sur un groupe d'humour. »

Mais peut-être que vous aurez remarqué quelque chose en haut à gauche dans le clip ? Un graphique qui dit « AI », ou comme on dirait, « IA » ? Les détails indiquent aussi que les droits appartiennent à un « Lars Kommer », pas une Jil, alors j’étais tout à coup curieux — existe-t-elle ?

Je vous mets les preuves, et à vous de décider. J’ai assez vite trouvé un site dit « Chillijil », écrit en anglais (un mauvais signe déjà) qui annonce « Bonjour, nous sommes Chillijil. Des artistes numériques, DJs et professionnels en IA suisses. Père et fille qui créent des chansons étonnantes, des vidéos, et des contenus numériques. » Ça me rappelle fortement la bretonne inexistante Anne Kerdi, de laquelle on a parlé plus tôt — c’est seulement son créateur mâle qui existe vraiment.

Puis j’ai trouvé ce clip, ce qui semble être une interview des deux. C’est dans une langue barbare que je ne comprends pas, l’allemand peut-être. Mais si j’ai bien compris les sous-titres au début, la fille n’a que 12 ans :

Cependant, est-ce que la vidéo est réelle ? Où est-ce de l’IA ? Après tout, quoi de mieux que créer des clip vraisemblables pour montrer vos capacités en IA ? La chanson liée en haut n’a qu’environ 200 vues en 9 mois — si ces deux existent et sont des créateurs professionnels, ça semblerait la catastrophe, non ? Et l’accent de la fille dans cette interview — pensez-vous qu’elle chanterait donc en français avec aucune trace d’un accent allemand ? En fait, je crois que ce sont probablement deux personnes réelles, mais une fois on met l’IA en jeu, il devient impossible à faire confiance aux preuves des yeux.

J’en ai assez de l’IA, alors pour restaurer ma foi qu’il reste des choses qu’elle ne peut pas empoisonner, j’ai demandé à Google Gemini : « Dessinez Mario sur Yoshi dans le style de Bonaparte franchissant le Grand-Saint-Bernard par Jacques-Louis David ». Il faut l’avouer, ça sent la phrase la plus Justin jamais écrite. Voici le résultat :

C'est Mario sur Yoshi. Il y a des montagnes en arrière-plan, plus claires que dans le tableau original. Mario tient un champignon dans la main droite, posée dans l'air de façon très similaire à la main droite de Napoléon.

Et l’un des 5 tableaux originaux :

Bonaparte franchissant le Grand-Saint-Bernard, Domaine public

Pas mal, je dirais. Vu que Yoshi n’a pas de 4 pattes comme un cheval, mais deux bras comme un être humain, c’est probablement impossible pour un ordinateur de faire mieux pour la pose. La cape rouge est bien faite, et le champignon dans la main droite imite ce qui fait le Premier Consul. En plus, Mario et Yoshi ont un style très dessin animé, ce qui rappelle l’époque mi-années 90s. La Fille a bien aimé ceci.

J’ai aussi posé la même question à Grok, l’IA de Twitter. Les résultats sont horribles :

Mario et Yoshi en gros-plan sur une montagne. Yoshi est dessiné avec les oreilles d'un cheval, et Mario s'habille comme un officier soviétique.
Mario et Yoshi sur une montagne, moins proche que la première image. Mario porte des vêtements toujours très armée soviétique, mais avec une casquette de baseball.

Grok a au moins dessiné le visage de Mario dans le style du film récent — ce qui parle très mal du respect pour les droits d’auteur chez Twitter — mais la vérité, c’est que l’on peut voir le tableau original et reconnaît que tous ces efforts sont très loins de ce que j’ai décrit, même si celui de Google est plutôt agréable. Je suis sûr que l’on pourrait mieux préciser certains détails, et les deux seraient plus impressionnants. Mais j’ai essayé cet exercice pour voir si les IA produiraient ce qui est dans ma tête, et je suis certain que vous êtes tous d’accord que rien n’est proche ici.

Maintenant, j’ai horriblement envie de voir un vrai tableau de cette idée, peint par un artiste de Nintendo. Cependant, il n’y a aucune question pour moi que ce serait la seule version qui valait la peine. Ces imitations fades générées par des ordinateurs ne m’intéressent pas trop, et la prochaine fois où je publie sur Instagram je serai sûr de ne pas répéter cette erreur.

Portrait de Molière par Nicolas Mignard

La langue sans mots mièvres

Cette semaine, Langue de Molière fête la France pour quelque chose de complètement inattendu.

Vous avez sûrement entendu parler de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, la version humaine de la maladie des vaches folles. Quand cette horreur arrive, des protéines mal formées, les prions, détruisent les cerveaux des victimes. C’est moins connu qu’aux États-Unis, il y a une variante non-fatale, où je fais partie des 5 % de la population qui n’en souffre pas. Chez moi, c’est pas les prions qui détruisent les cerveaux, mais la mignonnerie. (Je me sens obligé de défendre ce mot ; je ne l’ai pas inventé, mais il ne se trouve ni dans mon correcteur ni mon dictionnaire bilingue. C’est pourtant le bon.)

La mignonnerie prend de nombreuses formes insidieuses. Il était une fois, on savait tous que les billets et les monnaies ne vont pas dans la même partie d’un portefeuille et les a donnés séparément, comme il faut — de nos jours, tout le monde met les monnaies en haut des billets comme des cons. Ou on met le couvercle et la paille au-dedans d’une tasse en papier. C’est dégoûtant pour la santé, mais c’est mig-noooooon. Ou tout le monde demande « Est-ce OK ? » (Je me rends compte que je parle de comportements américains ; c’est ma vie, hélas.) Mais la pire mignonnerie américaine est sans doute notre tendance à créer des noms ridicules pour tout, juste pour les acronymes, alors que les Français s’en fichent d’exactement ça.

C’est comme ça qu’il y a maintenant une loi proposée dans le Congrès américain (lien en anglais) en ce moment intitulée la loi « Boosting Innovation, Technology, and Competitiveness through Optimized Investment Nationwide Act ». Ce qui veut dire le titre n’est pas important. Lisez juste les lettres en majuscule. C’est la loi BITCOIN. N’imaginez pas que ça a récemment commencé. Après le 11 septembre, on a adopté une loi intitulé « Uniting and Strengthening America by Providing Appropriate Tools Required to Intercept and Obstruct Terrorism Act ». Ça ne vous parle pas ? Lisez les majuscules, c’est le USA PATRIOT Act.

Ce genre d’horreur se trouve partout. Le Sénat américain a un comité chargé de 4 tâches : Santé, Éducation, Travail et Pensions. En anglais, dans le même ordre, c’est Health, Education, Labor, et Pensions, ou HELP (lien en anglais). Qu’est-ce qui veut dire « help » ? Aide.

« Mais Justin », vous me dites « que diable ? C’est quoi le rapport avec Langue de Molière ? » Ah, merci de me le demander ! Il m’a fallu beaucoup de temps pour le reconnaître, mais ce n’est pas seulement le cas que le français ne joue pas à ce jeu, il me semble que vous êtes pleinement allergiques à l’idée !

Tout le monde sait qu’un Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes s’écrit EHPAD. Mais qu’est-ce qui veut dire « EHPAD » ? Rien. C’est juste les initiales. Aucune mignonnerie n’a été fabriquée pour l’occasion. Le titre auquel j’aspire le plus, OQTF, c’est Obligé de Quitter le Territoire Français et non pas quelque chose de farfelu juste pour pouvoir écrire EXIL ou VA-T-EN. Dans le Canard du jour, j’ai appris l’existence de quelque chose dite l’Union nationale patronale des prosthésistes dentaires, ou UNPPD. Si ce cauchemar existait aux États-Unis, ils auraient trouvé une façon de se dire TOOTH, ou en français, DENT.

J’admets que les noms des lois sont moins qu’informatifs, mais ça s’améliore avec du temps. « La loi du 11 germinal an XI », aussi connu sous le nom de la loi du 1er avril 1803, veut dire la loi qui a ordonné une liste de prénoms. « La loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association » n’explique pas trop, mais même si on dit juste « loi de 1901 », tout le monde sait que ça parle des associations à but non-lucratif. ([Comme son ancien start-up, on dirait. — M. Descarottes]) Plus récemment, on voit des titres très spécifiques, comme « Loi du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l’occupation illicite ». Si celle-ci était adoptée en Californie — bonne chance ! — elle serait la loi SQUATTEUR.

Je crains qu’en évoquant le sujet, je serai en quelque sorte responsable pour avoir apporté cette nullité aux Français. Alors, oubliez tout ça,

Langue de Molière vous reverra la semaine prochaine au centre commercial.

Mes con-citoyens

Je me sens souvent déchiré entre deux mandats ici ; auto-donnés, pour être clair. D’une part, j’essaie de vous amuser tous les jours, et ça comprend des histoires de folie des États-Unis aux yeux français, la malbouffe et le comportement de beauf de beaucoup de mes con-citoyens — partout, non seulement là où la presse française dit que ça se trouve. D’autre part, je me sens obligé de jouer l’ambassadeur, de représenter mon pays à son meilleur. Après tout, en quelque sorte, il m’a produit. Mais hier, deux choses se sont arrivés qui illustrent pourquoi je suis devenu ce que je suis.

Peut-être que vous avez entendu parler que nous avons eu un joli tremblement de terre, un 5,2. C’était à Julian, un village dans le comté de San Diego, connu pour ses pommes et produits dérivés, le cidre et les tartes aux pommes.

Carte de Californie du Sud qui montre l'endroit où le tremblement a eu lieu.
Carte de Californie du Sud avec les tremblements ; je suis en haut à gauche, à côté de Santa Ana.

Je suis à 170 km de Julian de nos jours, mais croyez-moi, mon immeuble a bien tremblé. Au milieu du tremblement, j’ai reçu deux notifications sur mon portable :

Deux alertes qui disent : « Tremblement de terre détecté : Laisse-toi tomber, couvre-toi, et tiens. »

Ça dit grosso modo « Tremblement de terre détecté : Laisse-toi tomber, couvre-toi, tiens, protège-toi. » (N’oubliez pas que selon moi, « you » se traduit seulement par « tu ».)

Une demi-heure plus tard, j’ai reçu une notification de RTL :

Notification de RTL : « Katy Perry dans l'espace »

Ben, j’ai aussi reçu celle-ci :

« États-Unis : Un fort tremblement de terre ressenti en Californie »
Source

Je ne sais pas laquelle je trouve plus impressionnante — que l’on a maintenant un système d’alertes assez rapide que ça peut envoyer des textos pendant que le tremblement se déroule, où que les Français avaient déjà les nouvelles une demi-heure après, quand il était déjà 19h là. Comme j’ai dit à mon amie F, j’ai dit au portable, « Oui, je l’avais remarqué ! », mais sincèrement, c’est une réussite technique.

Mais comme d’hab, c’était seulement des Français qui se souciaient de moi après. Je n’attends plus rien de mes connaissances américaines, et ils ont livré à la hauteur de mes attentes. J’aimerais croire que la plupart ont fait le calcul « Vu la distance et la puissance, il a probablement juste vu un livre tomber par terre », ce qui n’est même pas faux. C’est quand même écœurant vu ce qu’ils ont l’énergie pour faire, comme partager des polémiques quotidiennement.

C’est le dîner qui m’a vraiment énervé. Je suis allé chez la Corner Bakery pour une salade et une boisson. Les prix montent en flèche ici depuis le Confinement. Mais j’étais quand même choqué d’entendre plus de 15 $ pour ma commande. J’ai lu le ticket après avoir quitté la caisse et suis revenu tout de suite, mécontent.

« Monsieur, tu m’as facturé pour une grande boisson quand j’en ai commandé une moyenne »

« Nan, t’as dit « large » (grand). »

« J’ai clairement dit « medium » (moyen) »

« Ben, il faudra annuler la commande et entrer tout de zéro. »

« Ça m’arrange très bien, allez. »

Je sais ce que vous pensez : « Justin, tout le monde fait des erreurs parfois. Lisez votre propre blog si vous êtes perplexe quant au sujet. » Mais il y a deux raisons pour lesquelles je ne le crois pas.

La première, c’est que depuis 20 ans déjà, c’est une technique commune pour augmenter les revenus aux restos rapides. J’ai écrit en 2018 une réponse sur Quora en anglais sur ma toute dernière visite à un ancien resto rapide préféré, après laquelle je l’ai boycotté pendant une décennie. Bref, j’ai commandé un burrito et une boisson de taille moyenne, et le caissier m’a répété une commande d’un burrito « enchilado style » (2 $ plus cher pour un burrito autrement de 8 $) avec une grande boisson (50 centimes de plus). J’ai arrêté le caissier et lui ai dit « Dis-donc, c’est très loin de ma commande, et tu le sais. Qu’est-ce qu’il y a ? » Il m’a répondu « Désolé, monsieur, nous sommes désormais obligés d’augmenter toutes les commandes. » Furieux, je lui ai dit, « Va te faire voir chez les grecs ! » Dans ma tête. Ce qui est sorti de ma bouche était plutôt « Puis je suis obligé de ne plus venir ici. »

Ça arrive partout de nos jours, au point où je ne peux plus boycotter les restos qui le font ; sinon, je devrais manger seulement à la maison. Vous n’êtes jamais un « cher client », ici, mais un cible.

Mais l’autre possibilité, c’est qu’il ne parlait pas très bien l’anglais, étant très visiblement originalement de notre voisin au sud. Vous ne trouverez guère des américains de naissance dans de tels postes en Californie. Cependant, « medium » et « large » ne sonnent pas du tout similaires, et il n’a quand même pas hésité à me dire que j’avais dit la mauvaise chose, pas qu’il n’avait pas compris.

Si on fait une erreur dont je suis le bénéficiaire, je la corrige à chaque fois. Mais ça veut dire que j’ai aussi des attentes, à commencer par « Ne m’arnaquez pas ». Honnêtement, je ne sais pas si ce comportement se trouve en France, mais je peux au moins dire qu’il ne m’y est jamais une fois arrivé — et ça malgré l’opportunité de profiter de mon accent pour me prendre pour un con.

J’ai très peu d’attentes si j’arrive à déménager en France. De meilleur fromage, des amis qui se soucieront de moi de temps en temps, et que les inconnus me vouvoieront. Et ça suffira.

Saison 4, Épisode 4 — Les Oreos de Proust

Cette semaine, je vais commencer à contacter ceux qui ont offert de lire des parties du livre. Je suis extrêmement heureux d’une belle partie, et je viens d’écrire la fin, qui m’a fait pleurer. Elle partage un peu avec la fin de la Grande Fête, mais moins que vous ne le pensez. Je l’ai lue en traduction à un ami américain et il m’a dit qu’il pouvait entendre les larmes, et que c’était vraiment un moment puissant.

Il y a une histoire là, liée à la Seconde Guerre mondiale mais jamais racontée ici, que je trouve encore plus puissante que tout ce que j’ai à dire. Sûrement, personne ne pensiez que le Devoir de Mémoire n’y apparaîtrait pas ? Je l’ai presque coupée du livre, car le gouvernement français m’a envoyé un courriel qui disait qu’il faudrait 6 mois pour vérifier un fait important. Mais ce week-end, j’ai trouvé la preuve dont j’avais besoin grâce à l’aide d’un musée américain. Ce n’est pas un livre académique, mais je dis des trucs d’ouf parfois, et il m’est important que tout le monde sache que c’est de non-fiction.

Surtout la partie avec M. Descarottes.

J’ai chopé une rhume cette semaine, et ma voix n’est pas complètement là. L’enregistrement est assez bon, mais l’épisode est plus court que souhaité.

Avez-vous vu les « starter packs » générés partout cette semaine par ChatGPT ? Pour les chanceux qui ne savent pas de quoi je parle, ce sont de fausses photos de figurines d’action, typiquement d’après une photo de la personne qui les a postées, avec quelques accessoires qui iraient avec une telle figurine. Veuillez ne pas confondre ces photos avec le « starterpack SourdAveugle » chez Il Est Quelle Heure, ce qui était de l’humour sur une chose réelle. On gaspille de sacrées quantités d’énergie pour ce n’importe quoi. Je ne devrais pas faire de la polémique sur ce sujet, mais croyez-moi, j’en ai envie, et vous êtes les bienvenus à le dénoncer dans les commentaires.

Ça fait un moment depuis mon dernier lot de macarons, alors j’en ai fait ce week-end.

Un lot de macarons au chocolat en gros-plan. Les coques sont sans fautes-- ni bulles ni bosses.

Je vous ai raconté une histoire d’Oreos la semaine dernière, mais la vérité, c’est vous avez gâché mon goût pour nos produits industriels. Pas les vôtres — j’adore les Savaroises et les Chamonix — mais je n’achète guère les nôtres. Pourtant, je n’ai pas envie de travailler comme ça pour chaque goûter !

Notre blague se traite du bon âge pour sortir seul. Nos articles sont :

Les gros-titres sont Singulier, Fin du Monde, et La Mariée de Schrödinger. Il n’y a pas de Bonnes Nouvelles cette semaine.

Sur le blog, il y a aussi Les Oreos au Coca, ma critique d’un cookie de folie, Ici et là, notre série de faits divers, et Je découvre Marie-Flore, la dernière entrée du Projet 30 Ans de Taratata.

Si vous aimez cette balado, abonnez-vous sur AppleGoogle PlayAmazonSpotify, ou encore Deezer. J’apprécie aussi les notes et les avis laissés sur ces sites. Et le saviez-vous ? Vous pouvez laisser des commentaires audio sur Spotify for Podcasters, qui abrite la balado. Bonne écoute !

Assiette de madeleines faites maison par Justin Busch

Dimanche avec Gilberte

Cette semaine on dit au revoir à « Du côté de chez Swann ». J’ai lu les 60 dernières pages, ce qui comprend toute la partie intitulée « Noms de pays : Le nom ». Il n’y aura pas de « Dimanche avec Marcel » la semaine prochaine ; on recommencera en deux semaines avec « À l’ombre des jeunes filles en fleurs ».

Dans cette partie, on revient vers la narration du personnage principal, la version fictive de Proust lui-même. Au début du livre, il nous avait dit que sa famille prenait parfois des vacances à Balbec, dans le Finistère. Maintenant, d’autres lieux le rejoignent :

Même au printemps, trouver dans un livre le nom de Balbec suffisait à réveiller en moi le désir des tempêtes et du gothique normand ; même par un jour de tempête le nom de Florence ou de Venise me donnait le désir du soleil, des lys, du palais des Doges et de Sainte-Marie-des-Fleurs.

J’ai chanté les louanges de Santa Maria del Fiore dans ces pages au passé, Florence étant le destin que je souhaitais pour moi-même pendant une décennie. Venise, en revanche, est la seule ville au monde entier où j’ai perdu la tête en pleurant à cause des prix. Même Paris n’a jamais eu cet effet sur moi.

Naturellement, Proust étant Proust, il suit une dizaine de pages d’extases sur le voyage qu’il va prendre vers les deux villes italiennes, qui se termine par :

on dut me mettre au lit avec une fièvre si tenace, que le docteur déclara qu’il fallait renoncer non seulement à me laisser partir maintenant à Florence et à Venise mais, même quand je serais entièrement rétabli, m’éviter, d’ici au moins un an, tout projet de voyage et toute cause d’agitation.

C’est-à-dire qu’il vient de nous faire perdre du temps encore une fois. Cette habitude de Walter Mitty von Münchausen n’est pas aussi drôle que Proust ne le pense.

Au lieu de ces voyages, Françoise — qui travaille désormais pour la famille du narrateur après la mort de la tante Léonie, Françoise la farceuse aux asperges — commence à amener le narrateur aux Champs-Élysées, où il voit parfois Gilberte Swann. Le narrateur la voit souvent de cette façon :

Seule, près de la pelouse, était assise une dame d’un certain âge… et pour faire la connaissance de laquelle j’aurais à cette époque sacrifié, si l’échange m’avait été permis, tous les plus grands avantages futurs de ma vie. Car Gilberte allait tous les jours la saluer ; elle demandait à Gilberte des nouvelles de « son amour de mère » ; et il me semblait que si je l’avais connue, j’aurais été pour Gilberte quelqu’un de tout autre, quelqu’un qui connaissait les relations de ses parents.

Après 500 pages juste pour apprendre qu’Odette n’est apparemment pas la mère de Gilberte, j’aimerais bien savoir de qui on parle ! (N’oubliez pas que l’intérêt de Gilberte pour notre héros est sa relation avec l’écrivain Bergotte. C’est ridicule.)

Mais notre narrateur se convainc que Gilberte devrait tomber amoureux de lui. Elle a d’autres idées :

Puis, elle ne m’avait encore jamais dit qu’elle m’aimait. Bien au contraire, elle avait souvent prétendu qu’elle avait des amis qu’elle me préférait, que j’étais un bon camarade…

On appelle ça le « friend zone », con ! Sortez ! Mais il va nous offrir plus de preuves qu’elle ne pense pas de lui ce qu’il pense d’elle :

Et il y eut un jour aussi où elle me dit : « Vous savez, vous pouvez m’appeler Gilberte, en tous cas moi, je vous appellerai par votre nom de baptême. C’est trop gênant. »

Un jour, juste avant Noël, Gilberte lui dit :

en tous cas si je reste à Paris, je ne viendrai pas ici car j’irai faire des visites avec maman. Adieu, voilà papa qui m’appelle.

M. Je-saisis-pas-les-allusions se pense :

« Je vais recevoir une lettre de Gilberte, elle va me dire enfin qu’elle n’a jamais cessé de m’aimer, et m’expliquera la raison mystérieuse pour laquelle elle a été forcée de me le cacher jusqu’ici… »

À mon pire, je n’ai jamais souffert de tels délires.

Une vingtaine de pages plus tard arrive le choc des chocs :

Vous savez qui c’est ? Mme Swann ! Cela ne vous dit rien ? Odette de Crécy ?

On m’avait dit que ce n’était pas le cas. Et pas juste Proust — ce critique anglophone avait écrit qu’elles n’étaient pas la même personne ! Mais j’ai aussi lu qu’il y avait plusieurs incohérences à travers les brouillons différents. Je ne sais plus.

Il y a dix pages de plus où Mme Swann se promène dans le Bois de Boulogne dans l’imagination du narrateur, alors que le monde passe des chevaux aux automobiles autour d’elle. Et je n’ai toujours aucune idée de ce qui est « Le Nom » ; les notes à la fin de la version anglaise indiquent que « Noms de pays » fait référence aux pensées du narrateur sur les noms de Venise et de Florence.

Avec ça, « Du côté de chez Swann » est terminé, et si c’était la fin d’Odette de Crécy et Charles Swann dans l’histoire, ça me conviendrait très bien. Je remarque avec l’aide de Politologue que la popularité du prénom « Odette » a explosé pendant la publication de la Recherche, puis a eu une chute libre après la SGM, au point où vous ne connaissez probablement pas d’Odette personnellement (à moins que ce soit votre grand-mère). Charles a retenu un plus grand succès, probablement dû au général. Mais il nous reste 5 tomes de plus, et personne ne disparaît jamais vraiment chez Proust. Sauf Mme Sazerat, la gagnante de ce tome, car on n’a jamais entendu un mot méchant sur elle !

Je découvre Marie-Flore

On continue maintenant le Projet 30 Ans de Taratata avec la deuxième des trois chanteuses à apparaître avec Julien Clerc. Cette semaine, c’est Marie-Flore.

Très inhabituellement pour un artiste de nos jours, son nom de scène est en fait son prénom. Marie-Flore Pol est née à Clichy-la-Garenne, mais en quelque sorte, a réussi à garder privée sa date de naissance. Heureusement, avec seulement 4 albums à couvrir, je ne dois pas les lier à des périodes différentes de sa vie, alors ce ne sera pas un problème.

Photo de Marie-Flore en concert, débout devant un clavier et un micro.
Marie-Flore, Photo par Blueberry-026, CC BY-SA 4.0

Ce que l’on sait, c’est qu’elle a quitté la fac après sa première année pour se concentrer sur sa carrière en musique, et que ça fait assez longtemps qu’elle s’est fait découverte sur MySpace. ([Un véritable dinosaure, donc. Mais ce type était là avant qu’il ne soient des réseaux sociaux. — M. Descarottes]) Et qu’est-ce qu’elle faisait là ? Des chanson en anglais, comme Jeanne Added ou Jain. C’est comme ça qu’en 2009, elle sort un album intitulé ‘More than 30 seconds if you please » (Plus de 30 secondes s’il vous plaît).

Je veux être gentil, car je trouve sa voix très agréable ici, et la musique en plus, mais il y a deux ans, mon lecteur Bernard a dit quelque chose qui s’applique un peu ici :

les jeunes chanteurs ou chanteuses qui ont les 3/4 de leur répertoire en anglais — mal prononcé et probablement incompréhensible — ont aussi une très mauvaise prononciation en français. A mon avis, inconsciemment, ils choisissent l’anglais devant un public français (qui ne comprend pas l’anglais) pour éviter qu’on constate qu’ils prononcent mal dans les deux langues.

Commentaire sur 30 ans de Taratata, 1ère partie

C’est un peu injuste de mon côté. Je peux comprendre la moitié de ce morceau, « While You Were There » (Pendant que tu étais là), et je vous dis souvent que ma compréhension même en anglais est très mauvaise dès qu’il y a de la musique en jeu pour mon attention.

Cinq ans plus tard, en 2014, elle sort un deuxième album en anglais, By The Dozen (Par la douzaine), cette fois avec une maison de disques. Avec des sous-titres professionnels pour le clip de sa première piste, « Number Them » (Compte-les), il faut avouer qu’il y a des fois où ses voyelles sont simplement les mauvaises — je n’aurais jamais deviné qu’elle chantait « seems » et « bleak » :

J’ai eu du mal avec « Dizzy » du même album. J’avais plus de succès avec « Sweet to the taste » (Sucré au goût). J’ai trouvé un enregistrement en live de sa chanson « Trapdoor » (trappe) de la même époque, mais c’est si réverbérant que je ne peux rien comprendre. Sa technique avec la guitare me semble prometteuse. Mais ça nous donne un indice important — elle chante si proche du micro, il semble qu’elle est sur le point de l’avaler ! Elle avait besoin d’un ingénieur et un producteur à ce point.

Mais je crois que je comprends l’autre problème. On lui a dit, correctement, que la pire chose que les Français font en parlant anglais est la prononciation très mauvaise des voyelles dites « lax » (Wikipédia les dit « bref », assez proche, mais pas identique). Elle compense trop pour ça en réduisant même les voyelles fortes. La stratégie n’est pas mauvaise — je la trouve toujours agréable, juste difficile à comprendre. C’est le contraire de ce qui arrive d’habitude — je n’aime pas écouter la plupart des Français parler anglais, même si je peux les comprendre. La même critique s’applique à la chanson éponyme de l’album :

Je n’ai guère mentionné la musique elle-même, souvent soit acoustique soit avec juste quelques effets. Elle paraît aimer le genre de folk, mais je la trouve difficile à classer. Ses chansons ont tendance à se ressembler, les unes aux autres.

En 2019, elle sort un troisième album, Braquage, cette fois en français. C’est un changement de nuit en jour ! Tout à coup, sa prononciation est très facile à suivre, et elle se révèle avoir la voix d’un ange, comme la plupart d’entre vous. Elle dit, « M’en veux pas », et je ne peux que dire, « D’accord ! » :

Braquage, la chanson éponyme, est trop « disco » pour moi, mais montre toutes les mêmes qualités vocales. Je savais qu’il y avait une belle voix sans les difficultés d’anglais !

En 2022, elle sort son dernier album, « Je sais pas si ça va ». La chanson éponyme est un triomphe, exactement ce que son premier album aurait pu être si enregistré en français. Encore une fois, c’est largement à elle, sans trop d’instruments en accompagnement :

« Je sais qu’il est tard » sonne très proche — comme beaucoup de sa musique — mais montre à bon effet sa « voix d’annuaire téléphonique », mon plus haut compliment (c’est-à-dire, je m’en fiche si elle lit l’annuaire à haute voix, tant qu’elle continue). Avec « 20 ans », j’ai décidé que mon avis restait valide, alors j’ai arrêté.

Que penser de Marie-Flore ? Il n’y a pas beaucoup de grandes idées musicales originales ici — elle profiterait vraiment d’un bon producteur — mais elle écrit de bonnes paroles et les livre toujours de façon agréable. Un de ces quatre, quelqu’une d’entre vous va enfin me croire qu’avec une telle voix, on peut me manipuler facilement, et je me compterai quand même chanceux.

Ma note : J’irais au concert si vous avez une place de trop.

Le mensonge de Macchu Picchu

Deux nouvelles ont croisé mon bureau aujourd’hui, et bien qu’elles ne soient pas liées en soi, les deux ont un thème en commun.

La première est quelque chose évoquée par le changement d’écran de connexion de mon ordinateur par Microsoft. Cette fois, c’était les ruines de Macchu Picchu. J’ai réduit la taille du fichier pour vous le montrer (c’est légal de faire ça aux États-Unis ; je n’ai pas hâte de découvrir sous quelles lois je peux être poursuivi vu l’adresse, mais il n’y a pas de publicités ici pour des raisons) :

Vue des ruines de Macchu Picchu d'en haut
Macchu Picchu, ©️Microsoft, Fair use à taille réduite

Ça a évoqué quelque chose que je ne vous ai pas dit en 2023. À l’époque, mon ex faisait son tout pour m’empêcher d’amener La Fille en France. (Elle savait probablement ce qui arriverait quand il s’avérerait que j’avais raison — exactement ce qui s’est passé, avec les notes parfaites et l’enthousiasme.) Je vous ai dit ça. Mais je n’ai pas mentionné qu’elle essayait de me convaincre qu’en quelque sorte, il me fallait l’amener plutôt au Pérou, car Macchu Picchu était censé fermer définitivement. ([Je n’approuve pas. Ils mangent mes cousins. — M. Descarottes])

Avant de continuer de lire, veuillez vous conduire au CHU le plus proche.

Imaginez maintenant ce qui arriverait si j’osais dire à madame quoi faire : changer un vêtement ou coupe de cheveux, peu importe lui dire où aller en vacances. HAHAHAHAHA !

Punaise, vous êtes tous en PLS ! Le SAMU, au secours !

Ah, la plupart d’entre vous ont survécu. Bon, comme j’allais dire, ne perdez pas de temps en demandant pourquoi elle ne pouvait pas faire ça, si c’était important. Mais j’étais curieux si ça s’est passé, si c’était désormais impossible d’y aller.

Et si je vous disais qu’en fait, le gouvernement péruvien vient d’augmenter le nombre de circuits disponibles pour faire la visite, de 7 à 10 ? (Lien en français — au site gouvernemental officiel !)

Qu’est-ce qui s’est passé ? D’accord, ma source était tout sauf fiable, mais cette fois, il s’est avéré qu’elle avait cru un escroc commun parmi les vendeurs de tours. Par exemple, voici un lien vers un article (en anglais) intitulé « Des raisons pour lesquelles Macchu Picchu pourrait fermer en 2025 ». C’est de l’alarmisme sans fondation. J’ai trouvé une belle poignée de tels articles, mais il n’y a aucune raison pour les faire connaître.

L’autre nouvelle est tout à coup partout dans mes sources habituelles : France with Véro, Everything French, l’humoriste Paul Taylor. Tout le monde parle du fait qu’un quart des expatriés britanniques s’installent en Nouvelle-Aquitaine. (Moi, je demande quel était le problème avec la vieille.) Mais il s’avère que c’est un chiffre connu depuis 2017 quand l’INSEE a publié une étude à cet égard. Mais ce qui m’intéresse ici est le fait que tout le monde qui en parle maintenant, le fait pour remarquer que ces gens n’apprennent pas la langue française.

J’ai abordé ce sujet pendant la Grande Fête du Tour, les expatriés qui n’apprennent rien et font comme Emily in Paris. Mais cette fois, le lien que je vois n’a rien avec le statut d’être expatrié. C’est plutôt le manque de savoir. En 2023, je ne m’intéressais pas à un voyage péruvien, et franchement, pas maintenant non plus, mais il m’a fallu 5 minutes avec Google pour trouver la vérité. Paul Taylor, dans le sketch lié en haut, parle de gens qui passent des décennies en France sans apprendre la langue. Dans les deux cas, j’ai la même question :

Comment est-ce que l’on peut s’impliquer dans une situation à l’étranger sans faire le moindre effort pour en savoir plus ?

Non, mais sérieusement. Si j’allais dépenser des milliers de dollars ou de livres pour voyager ou déménager quelque part, je chercherais quelque chose. Un livre, un site de tourisme, un agent de voyages, quoi que soit, mais je ne ferais rien, et évidemment, je ne sais pas de quoi je parle. ([Comme d’hab. — M. Descarottes])