Premier chapitre

Voici une surprise. Le livre fait maintenant 261 pages, en partie parce qu’une amie m’a rappelé qu’en fait, il faut utiliser une taille A4 plutôt que la taille ordinaire américaine (plus large, moins longue). De cela, je dirais que 200 pages sont bel et bin prêtes. Mais je me bloque de les envoyer aux bénévoles, en partie parce que j’ai toujours peur de mon grammaire, mais aussi parce que je me sens comme si le début est « trop Justin », trop ringard. Je le mets donc dans toutes vos mains, et je serai curieux des retours. Ne soyez pas gentils ; soyez honnêtes. Dans le brouillon, ce qui suit s’intitule « Du Québec au Confinement ».

Dessin d’un homme assis à un secrétaire, du livre South by East: Notes of Travel in Southern Europe par G.F. Rodwell, Photo prise par Grufo, GNU GPL

Voici un livre sur la France. Naturellement, cela veut dire que notre histoire commence au Québec, et avant cela, sur Internet. On est 2019, où je naviguais sur YouTube quand il me recommanda une vidéo par une pianiste dont je n’entendis jamais parler. Elle s’appellait Laurence Manning, et elle était spécialiste en musique des jeux vidéo. Mais pas comme beaucoup de « youtubeurs », elle jouait à un très haut niveau car elle avait un doctorat de l’Université de Montréal. Or, je ne le savais toujours pas ; je savais juste que je n’entendis jamais personne qui jouait la musique de la série de jeux vidéo Castlevania comme cela. En effet, j’étais assez captivé par sa musique que je passai les trois heures suivantes en écoutant tout et n’importe quoi qu’elle avait sorti sur Internet.

Le lendemain, je commandai son album récemment sorti, « Game Music Piano Album ». À l’époque, Laurence se débrouillait de toutes ses affaires toute seule ; elle gérait donc chaque commande personnellement. Je reçus un courriel d’elle, me remerciant (en anglais) pour avoir acheté son album. C’était très gentil de sa part, mais la première coïncidence qui changerait ma vie était sur le point d’arriver. Quelques jours après ma commande, elle sortit une nouvelle vidéo de mon morceau préféré de la série Castlevania, « The Silence of the Daylight » (La silence de la lumière du jour). C’était magique. Je sortis tout de suite ma carte de crédit, et quelques minutes plus tard, je devins abonné.

Avec cet abonnement, Laurence m’invita à rejoindre son groupe privé de fans sur Facebook. Elle étant québécoise, ce groupe était à moitié plein de personnes qui la connaissaient au Québec. Laurence vit selon les meilleures idéales du Québec – toutes ses publications sont pleinement bilingues – mais le groupe parlait grosso modo en anglais. Je fis donc la connaissance de nombreuses personnes avec de tels prénoms que Yannick, Sébastien, et Yohan, mais ils écrivaient tous en anglais. Sur Facebook, quand même. Puis, le virus arriva.

Laurence commença à donner des concerts en ligne sur des services de streaming, tels que YouTube et Twitch. Et pendant qu’elle jouait, nous les fans pouvions nous parler les uns aux autres. C’est par là que je découvris que je ne pouvais pas complètement m’intégrer dans ce groupe après tout. Beaucoup de québécois se parlaient en français, et à Laurence aussi (elle lisait les commentaires pendant ses pauses). Je ne me fâchais pas à cause d’être exclu ; je voulais juste faire partie du club !

En même temps, un ami, un ancien copain de classe au lycée, avait commencé à apprendre d’autres langues avec Duolingo. Je me dis qu’avec tout ce temps, je pouvais aussi me lancer en français avec le hibou vert et son appli. Le 29 mars – ce que j’appelle mon anniversaire français — je suivis ma première leçon. Et c’est ici où notre histoire tourne vers la France.

Je suis linguiste et j’appris vite avec Duolingo, en y passant plusieurs heures par jour. Un mois après le début, je pouvais déjà suivre les conversations sur Twitch – mais pour être clair, ce n’était pas du tout difficile ! Ce genre de parler emploie un vocabulaire très limité, souvent répété, et poivré de plein d’émojis qui rendent la tâche facile. J’aurais pu arrêter à ce point, satisfait que j’avais réussi mon but de comprendre ce qui se passait pendant les concerts de Laurence. Mais j’avais de plus grands rêves.

Jeune, j’avais voulu apprendre le français. Cependant, je grandis à 50 km de la frontière mexicaine, et selon l’avis de mes parents, c’était l’espagnol qui me servirait dans la vie. J’ai de nombreux heureux souvenirs de mes profs d’espagnol et je ne veux pas du tout suggérer qu’ils étaient tous moins qu’excellents. Mais je me sentis pendant toute ma vie comme si j’avais raté ce que je voulais le plus, parler le français. En tant que linguiste, je croyais que j’avais raté la meilleure opportunité, en ne pas avoir commencé avant « l’âge critique » (disons environ 13 ans ; c’est un sujet plein de désaccord). Mais en 2020, moi voilà, apprenant le plus vite possible. Je demandai donc à mes amis québécois : qu’est-ce que je peux faire pour m’améliorer au-delà de Duolingo ?

L’un d’entre eux, Yohan, me suggéra de trouver un groupe francophone en ligne qui parlait des mêmes choses que j’aimais déjà. Et complètement par hasard – un autre heureux hasard ! – cette semaine-même, dans un groupe de fans de jeux vidéo, je vis une publicité pour une page de Facebook, Génération 80s. Ce jour-là, je m’abonnai à leur page et rejoignis leur groupe privé. Ce moment changea ma vie.

Génération 80s est un groupe de nostalgiques des années 80s. Ils parlent de beaucoup de choses que l’on connaît mutuellement, mais peut-être sous des noms différents. Je dis « Airwolf », vous dites « Supercopter ». Je dis « Spaceballs », vous dites « La folle histoire de l’espace ». Avec un peu d’effort, on peut se comprendre très bien en parlant de ces sujets. Mais ils parlaient aussi de nombreuses choses que je ne connaissais guère, ou pas du tout : Club Dorothée, Casimir, des acteurs appelés Louis de Funès et Bourvil, les biscuits LU.

Je passai les trois prochaines semaines presque complètement silencieux, de peur que je dise quelque chose de gênant. C’est l’une de mes compétences dans n’importe quelle langue ! Mais pendant ce temps-là, un autre heureux hasard : je trouvai une boîte de biscuits Chamonix dans une boulangerie locale. En les goûtant pour la première fois de ma vie, je me dis « Je comprends maintenant exactement de quoi ils parlent, et c’est enfin le temps de me présenter. » (D’accord, en anglais, je n’étais toujours pas prêt à dire tout cela en français – mais plus proche que vous ne l’imaginez.) J’écrivis un petit post, plein d’erreurs, et plusieurs heures plus tard, les admins appuyèrent sur le bouton qui me transformerait pour toujours.

Personne ne connut jamais un accueil aussi chaleureux dans la vie. Je ne sais toujours pas s’il y avait d’autres anglophones de naissance dans le groupe, mais tout le monde fut étonné d’y découvrir un américain. Je reçus des centaines de commentaires gentils, et pendant les prochains mois, des douzaines de demandes de parler sur Messenger. Après la toute première journée, je le sus : il me fallut 43 ans afin de rentrer pour la première fois de ma vie. C’était le début du Coup de Foudre.

14 réflexions au sujet de « Premier chapitre »

  1. Avatar de Bernard BelBernard Bel

    Bravo ! Votre récit est très agréable à lire.

    Je ne voudrais pas tenter de « corriger » votre style car il a une saveur agréable et particulière que les corrections devraient préserver. C’est un exercice difficile de ne pas « édulcorer » le style, comme le ferait par exemple DeepL Write dont c’est le boulot.

    Mais je suggère tout de même une correction dans la phrase  » je passai les trois heures suivantes en écoutant tout et n’importe quoi qu’elle avait sorti sur Internet. » L’expression « n’importe quoi » est péjorative dans ce contexte. Il vaudrait donc mieux écrire : « en écoutant tout ce qu’elle avait publié sur Internet. »

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    1. Avatar de Justin BuschJustin Busch Auteur de l’article

      Ah, je ne savais pas que « n’importe quoi » avait un tel sens dans ce cas. Je l’utilise parfois comme l’anglais « anything and everything », qui n’a pas de sens péjoratif. Merci !

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  2. Avatar de FilimagesFilimages

    On pourrait corriger beaucoup de phrases pour se rapprocher d’un français plus littéraire, mais Bernard Bel a raison : Cela tuerait le « charme » de ton livre. L’exercice est donc délicat pour conserver l’esprit originel.
    Je vais t’envoyer mes suggestions par mail. 😉

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  3. Avatar de encuisineavecpelaencuisineavecpela

    Bon, déjà… wow pour le début de ton livre !
    Tu nous embarques dans ton histoire avec une sincérité hyper touchante, un humour discret mais bien placé, et un amour de la France qui fait chaud au cœur. On sent que chaque mot est choisi avec passion, et franchement, ça fonctionne !
    Évidemment, il y a quelques petites maladresses par-ci par-là — mais hé, tu écris dans une langue qui n’est pas la tienne, et tu le fais déjà mieux que pas mal de natifs (j’te jure !).
    Mais l’essentiel est là : tu touches, tu racontes, tu fais rire et tu donnes envie de lire la suite. Et tu m’as même donné envie de replonger dans les années 80, ce qui n’est pas rien (merci pour le flashback Club Dorothée au passage).
    Bref, je valide à 200 %. Et j’ai hâte de découvrir la suite du Coup de Foudre, tu tiens un vrai joli projet entre les mains !
    Bravo Justin !!!

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