Portrait de Molière par Nicolas Mignard

Camper dehors

Ça fait belle lurette depuis la dernière fois où j’ai mentionné un fait divers venant de Mme Karine Dijoud, connue sur Instagram sous le nom d’Internet « Les Parenthèses Élémentaires », même si elle devrait être l’une de mes meilleures sources. J’avoue, c’est largement parce qu’elle est aussi la plus grande réussite d’une tendance que j’ai dénoncée dans cette même série, qu’il y a une opportunité pour se faire connaître sur l’Internet francophone juste en parlant de la grammaire si on est une jolie femme. En revanche, il faut ajouter que pas comme les autres, Mme Dijoud semble particulièrement bien éduquée dans ce domaine, et mérite son succès. Mais je doute qu’elle ait plus de 430 milliers d’abonnés en me ressemblant, c’est certain.

De toute façon, elle m’a appris une expression très intéressante il y a des mois. Selon elle, il était une fois, « il fallait énoncer son nom » afin d’être admis dans les auberges. Ceux qui avaient des noms trop difficiles pour les aubergistes se retrouvaient dans les écuries ou en dehors tout court. Ça a donné lieu à une expression toujours courante de nos jours, « avoir un nom à coucher dehors ».

Mais elle n’offre pas de sources pour cette histoire au-delà de dire que ça vient du Moyen-Âge, et il s’avère que l’Armée française a toute autre version de son origine en ce qui concerne l’époque et la raison :

En effet, au début du XIXe siècle, l’armée napoléonienne recrutait à tour de bras des soldats venant de la campagne mais aussi de pays étrangers. Extrêmement mobiles et parcourant toute l’Europe, les troupes rencontraient parfois des difficultés pour se loger. Lorsqu’elles s’arrêtaient dans des villes où il n’y avait pas de caserne, les habitants avaient l’obligation d’offrir l’hospitalité aux hommes. Le maire établissait alors un billet de logement. Mais parfois, l’hôte refusait d’accueillir chez lui les militaires portant des noms étrangers : ils étaient soupçonnés d’être des espions ou des ennemis. Les malheureux étaient alors contraints de coucher dehors, d’où l’expression « avoir unnom à coucher dehors avec un billet de logement ». Au fil des années, elle fut raccourcie jusqu’à devenir « unnom à coucher dehors ».

Ministère des Armées

Mais ça pose ses propres problèmes. Comme ils disent, les armées parcouraient partout en Europe ; cependant, les noms français auraient l’air étranger partout en dehors de France ! Pour ce qu’il vaut, Stéphane Bern raconte grosso modo la même origine que Mme Dijoud. CNews aussi, mais avec une explication un peu plus précise :

Les nobles, grâce à leur particule, et les personnes dont le patronyme faisait référence à une fonction réputée (Chevalier, Lemoine, etc.) obtenaient facilement une chambre. En revanche, les roturiers étaient moins bien lotis. Ceux dont le nom faisait référence à un métier banal (Boucher, Barbier…) pouvaient, éventuellement, dormir au chaud dans l’écurie avec les chevaux.

CNews

Tout ça me fait demander ce qui arriverait à Grzegorz Brzęczyszczykiewicz, même en Pologne. (Merci, Agathe !)

Langue de Molière vous reverra la semaine prochaine avec l’histoire d’une petite figure de l’Histoire.

4 réflexions au sujet de « Camper dehors »

  1. Avatar de Bernard BelBernard Bel

    J’avoue ne m’être jamais interrogé sur l’origine de l’expression « nom à coucher dehors ». L’explication de Stéphane Bern me paraît plus crédible… Mais, vu que le français était très répandu en Europe à l’époque napoléonienne, celle du ministère des armées peut aussi faire sens. Les deux ont pu coexister.

    C’est amusant de lire « il était une fois » à la place de « autrefois » ! En tout cas, pour moi c’est votre marque de fabrique. 😉

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  2. Avatar de BillieBillie (IEQH)

    Ha, mais oui! Ça m’a fait penser à quand je faisais ma rééducation: à l’époque je prenais un médicament avec un nom compliqué et quand je l’avais donné à mon orthophoniste elle m’avait dit « il a un nom à coucher dehors! » (j’aurais bien répondu: « ou à faire partir en dépression », c’était un anti-dépresseur en plus hahaha).

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  3. Avatar de LadyButterflyLadyButterfly

    C’est la bonne origine, en effet. L’ajout « avec un billet de logement », concerne la guerre. D’où, parfois l’expression « avoir un nom à coucher dehors avec un billet de logement ».

    On dit aussi « avoir des idées à coucher dehors » (des idées saugrenues). On trouve cette expression chez Zola assez souvent, d’ailleurs (d’accord, j’aime bien Zola).

    PS : pourquoi « il était une fois » dans ta phrase ? C’est ce qu’on emploie pour débuter un conte. Sinon, ça ne s’utilise pas vraiment.

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