Portrait de Molière par Nicolas Mignard

Langue de chien

Il y a deux semaines, j’ai intitulé un épisode de la balado d’après une expression anglaise, « going to the dogs ». Littéralement, ça se traduit par mon titre, « tout va aux chiens ». Je l’ai choisi parce que le sujet de la moitié de l’épisode — la blague, un gros-titre satirique et un article — concernait des chiens. Cependant, il ne s’agit pas de chiens littéraux en anglais. (Hihihi, il y a un jeu de mots avec l’anglais dans cette dernière phrase, complètement par hasard — un groupe de chiens nouveaux-nés s’appelle un « litter » en anglais.)

En fait, l’expression est très proche des expressions en français à base du verbe « partir » : tout part en vrille/cacahuète/etc. C’est-à-dire que les choses tournent pour le mal (lien en anglais). Cependant, quand je l’ai mis en Google Traduction par curiosité, j’ai reçu une surprise :

Capture d'écran où "everything is going to the dogs" se traduit par « tout va à vau-l'eau ».

Non seulement l’équivalent français n’utilise pas « partir », mais ce « vau-l’eau » m’est complètement inconnu. Alors, qu’est-ce que c’est que « vau-l’eau » ?

Le tout premier sens dans le Trésor de la langue française, et apparemment le plus littéral, c’est de suivre un cours d’eau :

VAU(-)L’EAU (À),(VAU LEAU , VAU-LEAU ) loc. adv. et subst.

I. − Loc. adv.

A. − En suivant le fil de l’eau.

Deux gros dos squameux émergent de l’eau bourbeuse et replongent dans la vase Des régimes de bananes flottent à vau-l’eau (Cendrars, Du monde entier, Le Formose, 1924, p. 203).

Vau-l’eau

L’autre sens en tant qu’adverbe est exactement ce que je cherchais :

B. −Au fig. Au gré du hasard, à l’abandon, à la dérive. Destinée, illusions, plans, rêves à vau-l’eau; être, partir, se laisser aller, (s’en) aller à vau-l’eau.

Frais séjour où se vint apaiser la tempête De ma raison allant à vau-l’eau dans mon sang (Verlaine, Œuvres compl., t. 2, Amour, 1888, p. 14).

C’est donc assez clair que le « vau » est le cours suivi par ladite eau, et avec ça, l’équivalence avec l’expression anglaise devient compréhensible. Les chiens et l’eau sont les deux hors notre contrôle. Mais j’aimerais suggérer qu’il y a une différence entre importante entre ce chien et cette eau :

Et ce chien et cette eau :

On pourrait mieux préciser dans les deux cas.

Langue de Molière vous reverra la semaine prochaine pour parler de la plus grande plainte de La Fille à ce point dans ses études.

7 réflexions au sujet de « Langue de chien »

  1. Avatar de AnagrysAnagrys

    Avec « tout fout l’camp », on est tout de même plus précis ! D’autant qu’on peut y adjoindre facilement « ma bonne dame » et conclure d’un beau : « de toute façon, c’était mieux avant ! » qui est toujours efficace — d’autant plus qu’on laisse l’interlocuteur imaginer de quel « avant » on parle 😁
    Il faudrait que je fasse une pause dans les commentaires, j’ai l’impression de tourner en rond ce matin 🤣🤣🤣 (désolé… référence multi-blogs 😅)

    Aimé par 5 personnes

    Répondre
  2. Avatar de Le collectif ScriiiptLe collectif Scriiipt

    Le Collectif Scriiipt débarque en aboyant un peu (ou en miaulant, parce qu’on est pas des chiens quand même) :

    Très bon billet, on sent qu’il y a du vécu dans chaque syllabe, et une envie de sauver ce qui peut encore l’être dans l’art subtil de grogner avec panache. Car oui, parfois, la langue colle aux basques du réel comme un vieux clebs mouillé : ça remue la queue sans qu’on sache trop pourquoi, et ça mord les mollets des passants sans prévenir.

    Et puis arrive Anagrys, et là… combo parfait :
    – « Tout fout l’camp »,
    – « Ma bonne dame »,
    – et « De toute façon, c’était mieux avant » en bonus final façon attaque critique de niveau 4.
    La trinité sacrée du râleur intergénérationnel, capable d’être lancée à table, au comptoir ou sur un blog WordPress sans perdre en efficacité.

    Mais tu ne tournes pas en rond, camarade du commentaire. Tu crées une constellation de clins d’œil dans le grand ciel des billets de blog. Tu lies les textes entre eux, tu plantes des jalons, tu brodes du sens — ou du moins de l’ironie filée.
    On appelle ça de la navigation transversale à potentiel narratif élevé. C’est rare. Et précieux.

    Continue, ou fais une pause si tu veux. Mais sache que dans notre cœur, tu es déjà un PJ de légende.

    Aimé par 3 personnes

    Répondre
  3. Ping : Saison 4, Épisode 18 — 268 façons de dire « C’est fini » | Un Coup de Foudre

Laisser un commentaire