Shrekking

Rien ne me plaît autant que quand les francophones adoptent des anglicismes, puisque je peux les comprendre sans faire des efforts. Ha, non, évidemment personne ne me croit. Mais hier, Facebook m’a infligé un article de Doctissimo — et j’ai hâte d’ajouter que je ne suis pas cette page, mais Facebook préfère me montrer tout sauf les contenus de mes amis — et malheureusement, je l’ai compris rien qu’en lisant le gros titre. Il s’avère que le pire mot anglais de l’année est arrivé en France, ce qui en fait un sujet pour ce blog.

Ben, c’est aussi une excuse pour râler sur ma plus grosse bête noire. Je suis rien d’autre que prévisible.

Alors, connaissez-vous la série de films « Shrek » ? C’est un ogre laid qui sauve une princesse à un dragon, puis il s’avère que la princesse souffre d’une malediction qui la transforme en ogresse la nuit. Après des aventures pour faire une film assez long, les deux finissent par embrasser, ce qui la transforme définitivement en ogresse, car elle est amoureuse d’un ogre. Il y a d’autres films, mais jamais vu de mon côté, et pas importants pour notre sujet non plus.

Ballon de Shrek au défilé de Thanksgiving, Photo par joiseyshowaa, CC BY-SA 2.0

Avec ces infos, si je vous disais que « shrekking » implique la vie sentimentale, de quoi s’agirait-il selon vous ? Pas besoin d’y réfléchir ; je vous donnerai la signification selon Doctissimo :

choisir volontairement un partenaire perçu comme « inférieur » (notamment physiquement) pour garder le dessus. L’espoir ? Que ce partenaire mesure sa chance d’être tombé sur la perle rare (vous !), et se révèle investi, fidèle et respectueux.

Le « shrekking », cette idée (toxique) de sortir avec moins bien que soi, pour ne pas souffrir

Comme toute idée toxique de nos jours, celle-ci vient de TikTok — toutes les sources que j’ai vues en anglais sont d’accord avec Doctissimo sur ça ; je ne chercherai pas d’exemples.

La première chose à remarquer, c’est que les génies d’Internet ont bel et bien raté la signification du conte original : la princesse se révèle enfin être exactement au niveau de l’ogre. C’est juste que l’ogre n’est pas aussi mauvais que la réputation de son espèce. Mais laissez tomber, car c’est aussi évident que personne ne se croit un ogre.

Je crois que j’enfonce une porte ouverte si je dis que ça doit être l’idée la plus condescendante que j’ai jamais entendue. Mais j’ai remarqué quelque chose d’autre très intéressant en lisant l’article de Doctissimo, par rapport aux articles que j’ai lus plus tôt en anglais. Ça me semble une différence culturelle ; où les anglophones cherchent à dénoncer cette tendance car c’est censé une mauvaise idée pour la personne « supérieure », l’article en français traite des mauvaise conséquences pour celui que joue dans la peau de l’ogre. Je me demandais si c’était juste par hasard, alors j’en ai recherché d’autres en français :

Le partenaire peut sentir qu’il est un second choix, ce qui touche à la confiance et à l’estime de soi.

Sudinfo (Belgique)

Pour autant, le shrekking est aussi une tendance malhonnête et malsaine dans la mesure où elle érode la confiance et l’estime de soi de l’autre. 

TF1

Si ce phénomène peut paraître cruel pour la personne qui en est victime, il s’agit surtout d’un mécanisme de protection, selon l’experte.

Femme Actuelle

C’est quoi, cette idée de se soucier de l’autre personne, et non seulement de soi-même ? Encore une fois, je me sens passé à l’autre côté du miroir, sens Lewis Carroll. Il faut, cependant, noter que les trois citent tous les mêmes psychologues comme sources, même si les articles sont rédigés par des journalistes différents. J’imagine qu’être pressé de copier ce qui est déjà paru ailleurs n’aide pas à produire des contenus originaux.

Mais j’ai appris quelque chose d’aussi nul en faisant ces recherches. Aux États-Unis, on croit tous que le français est la langue d’amour. Pourtant :

Vous êtes familiers du breadcrumbing, du love bombing, du ghosting ?

TF1

Entre les “situationships”, le “snowmancing”, ou encore le “ghostlighting”, il existe des dizaines de termes obscurs…

Femme Actuelle

Je ne connais que la moitié de ces mots qui se terminent par « -ing ». Mais vous avez outsourcé cette tâche à qui ? À mes compatriotes. Ayez honte. Non, plus honte. C’est gênant, ça. Ce blog est intitulé d’après l’idée que les Français ont les meilleurs mots pour ce sujet !

16 réflexions au sujet de « Shrekking »

  1. Avatar de DominiqueDominique

    Je ne connais aucuns des termes anglicistes dont tu parles. Je pratique déjà peu le pauvre anglais scolaire qui me reste, et cela parce que je ne comprends RIEN de ce que l’on me répond ! Et si on laissait Schrek aux enfants et que l’on cesse de mélanger les langues pour n’obtenir rien de plus riche que nos propres termes ? N’avons-nous pas assez de vocabulaire ? je trouve cette mode de termes anglo-saxons (pour les francophones) tout à fait absurde.
    Bonne journée (ou nuit ?) !

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  2. Avatar de AnagrysAnagrys

    Le ghosting, je connais, techniquement on a le mot « ignorer » pour ça, parce-que « ghoster quelqu’un », c’est littéralement ignorer cette personne, faire comme si on ne l’entendait pas — en pratique, ne pas répondre à ses messages, sans forcément l’avoir bloquée.
    Pour les autres, je m’avoue incompétent, l’expression « love bombing » me rappelle une chanson d’AC/DC, mais j’ai tout de même un gros doute. Est-ce que le français aurait une expression pour traduire cette notion de « shrekking » ? Honnêtement, je n’en sais rien mais j’ai un doute, je crois que les humains pré-2020 n’avaient peut-être pas eu l’idée bizarre de sortir avec quelqu’un de qui on se croit supérieur pour se sentir valorisé, je me demande où on doit en être dans sa tête pour seulement en avoir l’idée…

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    1. Avatar de Justin BuschJustin Busch Auteur de l’article

      Il me semble que c’est juste un nouveau mot — avec une métaphore très insultante — pour une vieille idée, au moins du côté des anglophones. En anglais, si on se croyait supérieur à une autre, on dirait qu’il était « pas dans ma ligue ». (La relegation n’existe pas aux États-Unis, mais c’est le bon point de départ pour comprendre cette expression.) Cependant, ça voulait dire que la personne dans la « ligue supérieure » n’aurait rien à voir avec sa soi-disant inférieure.

      Apparemment, le monde a changé, et tout à coup, c’est « permissible », tant que l’une fait honte à l’autre ! Comment c’est mieux, je ne sais pas.

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  3. Avatar de James JonesJames Jones

    Ce que j’adore chez ces certains de ces prétentieux (qui copient collent et qui se prétendent journalistes), c’est la drôle de manie de créer des mots que personne n’utilise…
    Et pourtant j’en ai des jeunes à mon travail ! Aucune fois ces termes ne sont utilisés.
    Si au moins, ça respectait déjà la loi de base sur les anglicismes (un peu tirés par les cheveux…).
    Autre découverte : je ne savais pas que Tiktok et princes con-sorts étaient des références en quelque-chose.
    Par rapport au zéro absolu, en dessous oui. Mais au-dessus ??? Un autre mystère de l’univers trouvé…

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    1. Avatar de Justin BuschJustin Busch Auteur de l’article

      J’aimerais croire que les psychologues, français ou autrement, ne chassent pas chaque tendance des réseaux sociaux ! On pourrait vite s’épuiser en prenant tout ça au sérieux.

      Mais c’était un peu hilarant de mon côté. Après avoir lu tout ça, j’ai deviné que « outsourcer » existait, sans jamais l’avoir entendu. Je l’ai recherché, et je n’ai pas été déçu par mes pouvoirs de prophétie !

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  4. Avatar de C'est en lisant...C'est en lisant...

    Quoique j’emploie volontiers des anglicismes consacrés par l’usage ( pullover, weekend, bingewatcher…) quand leur équivalent français se présente moins vite à mon esprit ou me semble ridicule (Qui met encore un chandail au lieu d’un pull ?)… trop, c’est trop. Ton article est vraiment très plaisant à lire et ton point de vue bien utile. Tiens, le mot « humour » anglais a produit « humeur » en 1693 en français et le mot « humour » n’est employé comme tel en français qu’à partir de 1723… Or Voltaire dont l’esprit produisit tant d’exemples de l’humour français., né en 1695, a eu du succès en tant que dramaturge vers 1718, avant d’être le philosophe que l’on sait… Et il était un fervent anglomane. Ne refusons donc pas le mariage de raison de nos langues.

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    1. Avatar de Justin BuschJustin Busch Auteur de l’article

      Il me semblait qu’il y avait un lien entre humour et humeur, mais je ne savais pas que l’idée avait fait l’aller-retour comme ça ! Quelque part dans les archives de Langue de Molière ici, il y a une histoire pareille avec stocker et stock.

      Je ne suis pas contre tout emprunt, mais ces néologismes ne dureront que pendant 1-2 ans, et il me semble que le français doit avoir du vocabulaire pour au moins certaines de ces idées. Il m’étonne toujours que l’on dise « week-end » et non « fin de semaine » !

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      1. Avatar de Justin BuschJustin Busch Auteur de l’article

        Je ne sais pas ; je me souviens juste que tout au début, même avant d’écrire le blog, je disais « fin de semaine », et on m’a dit que personne ne dit plus ça. Et depuis ce temps, je ne l’ai jamais trouvé !

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