Je n’en peux plus, et il est bien le temps pour Langue de Molière d’évoquer un fait que j’essaie d’éviter depuis looooooongtemps : il y a quelque chose que je crois l’anglais fait mieux que le français. C’est dans un sens hyper-limité, et avec une tonne métrique de qualifications. Rappelez-vous : quand un anglophone veut dire « lourd », il dit une tonne, version impériale. Mais quand il veut insister sur le poids, il ajoute « métrique » (10 % plus lourd). Cependant, impossible de l’éviter : je considère ce problème aussi fondamental que les langues qui n’ont que deux ou trois termes de couleur.
Il s’agit de deux mots qui se trouvent en anglais, « up » et « down ». Ils sont opposés, et la traduction la plus simple serait de dire « haut » et « bas ». On imaginerait donc que l’entrée pour « up » serait parmi les plus courtes de mon dictionnaire bilingue.
HAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHA ! Euh, c’est-à-dire… non.
En fait, il faut faire défiler 12 pages (comptées comme assez de texte pour remplir l’écran de mon portable) juste pour épuiser les sens de « up », avant d’atteindre les expressions composées idiomatiques.
Il faut d’abord dire qu’entre 80-90 % de la longueur de ce monstre est due aux nombreuses bêtises de l’anglais. Je vais les esquisser. Commençons par la note au début de l’entrée :

Ça veut dire que « up » est souvent le deuxième mot dans les verbes à particule : « get up », « pick up » et ainsi de suite. Et ces verbes ont tous une propriété curieuse en commun : « up » ne veut absolument rien dire dans ces contextes. La preuve, c’est que l’on ne peut jamais le remplacer par un autre mot en finissant par vouloir dire quelque chose distingué uniquement par cet autre mot.
Par exemple, « get up » peut signifier soit « se réveiller » soit « se lever » soit « monter », ainsi que dans un contexte très spécifique et largement britannique, « faire ». Mais si je remplace « up » par son opposé, « get down », alors que ça peut signifier l’opposé de monter, c’est le plus souvent de l’argot pour danser.
Et pour être bien clair sur ce point, il y a plein de cas où c’est facultatif en plus de ne rien dire. Dans tous ces cas, si la personne qui vous parle l’utilise, elle peut avoir un Prix Nobel dans chaque domaine et je vous dirai qu’elle est une idiote. Si on vous dit « cook up », « fry up » ou « bake up » — cuisiner, frire, enfourner — « up » peut toujours être enlevé sans rien changer. Ce n’est pas un biais régional de ma part — ça existe partout ici et en Angleterre. C’est de plus en plus commun, une raison pour laquelle je ne veux entendre plus personne parler anglais. Ils ont tous tort.
C’est souvent le cas que la signification de « up » et « down » dépend de la personne à qui vous parlez. L’exemple le plus connu concerne la climatisation et le chauffage. Si vous dites « Turn the air conditioning up« , la moitié d’anglophones comprendront ça comme « Je veux un effet de refroidissement plus fort ; baissez la température ciblée par la climatisation et/ou haussez la vitesse du ventilateur ». Mais l’autre moitié le comprendront comme « Je veux un effet de refroidissement moins fort ; haussez la température ciblée par la climatisation et/ou baissez la vitesse du ventilateur ». Tout le monde est d’accord que « up » veut dire hausser ou augmenter quelque chose, mais personne ne sait de quoi il s’agit.
« Justin », vous me dites, « selon vous, la grande majorité des sens font référence soit à rien soit à n’importe quoi ; pourtant, aussi selon vous, c’est le français qui est cassé ? C’est qui l’idiot ? » Mais c’est ici où on voit le problème du français.
Avez-vous jamais vu le premier long métrage de Winnie l’ourson ? Là, il y a une chanson intitulée « Up, Down, and Touch the Ground ». C’est-à-dire « Haut, bas, et touchez au sol » :
On trouve ça une fois dans les paroles — « Haut, bas, tirez bien » — mais les autres fois, « up » se traduit « Mains en l’air », comme dans le titre. Et on dit en français « Haut les mains ! » exactement où l’anglais dit « Hands up! » Mais au-delà de ça…
« Go up the stairs » devient « Montez les escaliers », alors que « Go down » devient « Descendez ». « The prices went up » : « Les prix ont augmenté ». « The prices went down » : « Les prix ont baissé ». « The blinds were up » : « Les stores étaient levés ». « The blinds were down » : « Les stores étaient baissés ».
Vous voyez ? L’anglais a un millier de sens inutiles pour ce mot, et le français les ignore largement — très logique. Mais pour le seul sens où « up » est bien défini — aussi de loin le plus commun — le français utilise un tas de verbes différents exactement là où l’anglais fait ses économies !
Langue de Molière sera en congés pour le reste d’octobre, car mon fichier est presque vidé et je n’aurai pas le temps pour faire des recherches détaillées jusqu’après le déménagement. (Ça veut dire que si vous avez des suggestions, mes courriels sont ouverts.)

Et dire qu’il y a des gens pour affirmer que l’anglais est une langue facile à apprendre ! Merci Justin pour cette leçon qui me cultive.
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C’est bien facile — tant que l’on ignore toutes les exceptions ! Bonne journée !
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❤
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C’était un peu un cauchemar pour les élèves qui ne comprenaient pas qu’il fallait s’adapter à chaque fois au texte !
Bel exemple de prise de tête pour certains…
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Je suis certain qu’il y a d’autres exemples de ce genre. Et même bien pire que ça… 😉
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D’autres, ben oui, mais pire ? Aïe !
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« Je loue un logement » 🙂
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Et dire que moi, je me suis inscrite sur Dualinguo pour apprendre l’anglais 😅
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