Et les Français parlent anglais

C’est presque le temps pour le retour de Langue de Molière le mercredi, mais avant de reprendre nos histoires drôles et drôles d’histoires, il faut encore une fois que l’on parle sur la langue. Je me sens toujours coupable quand je me plains de cette façon (voilà et voilà), parce que ceux qui me fréquentent sont exactement pas ceux auxquels je veux m’adresser. Mais ils sont vos voisins. Je suis bien tenté d’envoyer une copie aux ministres responsables de tourisme : selon Wikipédia, Mme Olivia Grégoire et M Bruno Le Maire. Aussi au Monde et au Figaro. Je vais régler ce problème même si c’est la dernière chose que je fais.

Commençons avec une anecdote. Il y a eu un moment où le billet « Paris Visite » de mon père s’est démagnétisé, et il n’a pas pu sortir d’un quai à la Gare du Nord. Pendant que je cherchais de l’aide de mon côté, il a trouvé la personne la plus proche avec une veste de SNCF de son côté pour se plaindre fortement en anglais. Il a réussi avant moi. Ma fille était gênée. Pendant l’argument qui a suivi, il m’a dit que tout le monde qui travaille avec les touristes parlent anglais, et il ne sert à rien d’essayer en français. Selon ses expériences, a-t-il tort ? Attendez.

Mon père raconte parfois une histoire qu’il croit très drôle. Ça vient des années 70, et pour être honnête, M. le président de Gaulle avait « remué la marmite », comme on dit en anglais, avec un discours qui a encouragé un mouvement séparatiste. La relation entre les francophones et les anglophones au Canada n’était pas bonne à l’époque. De toute façon je n’étais pas encore né, et lui et ma mère étaient en vacances à Montréal. Il cherchait des toilettes dans un grand magasin, et il lui semblait que les caissières faisaient semblant de ne pas comprendre l’anglais. Alors après avoir tourné le dos, il a dit à haute voix (en anglais, pour être clair) « La prochaine fois où il y a des chars allemands à Paris, nous devrions les laisser finir la tâche avant d’aider les Français. » Tout à coup, les caissières ont commencé à comprendre sa question originale et lui ont dirigé vers les toilettes.

Oui, c’est le même monsieur que j’ai emmené en France. Je vous rassure que rien à la hauteur de ce commentaire n’est arrivé. Mais avant de dire « C’est du « French bashing » » — ai-je dit à quel point j’adore que l’on dit ça en anglais ? — considérez que de son point de vue, il n’avait pas tort. Les caissières se foutaient de sa gueule. Tout le monde en a tiré la mauvaise leçon — les caissières, que les anglophones ne sont que de gros cons haineux, et mon père, que les francophones comprennent bien l’anglais et sont juste malpolis. Avez-vous remarqué qu’il était assez ouvert pour visiter Montréal tout court ?

« Mais Justin, » vous me dites, « c’était au Québec. Rien à voir avec la France ! » Comme vous avez tort. Qu’est-ce que vous pensez était sa conclusion en ce qui concerne mon niveau de français quand presque tout le monde — et partout en Normandie, pas juste à Paris — m’a répondu en anglais, peu importe ce que j’ai dit ? Peut-être que c’est très bas, et j’ai le gros melon ? Mais laissez-moi tomber et pensez à nouveau à son attitude à la Gare du Nord. Est-ce que les Français ont réfuté sa conclusion ? Ou l’a confirmée ?

À mon avis, même quand c’est les Français qui changent de langue, vous vous sentez pas respectés et le niveau de service baisse. Chez Les Deux Magots, ils ont choisi de me parler en anglais, et le serveur a eu un cadeau pour aller avec :

Pour vous rappeler mon plat :

Message bien pris en compte. Même nous les américains ne mangerions pas ce plat avec du ketchup. Vous voyez ce dont je me plains — en parlant l’anglais, vous les Français apportez certaines attitudes à la conversation. Je sais exactement ce que ce serveur pense des goûts américains, et je considère ce geste insultant.

J’ai essayé beaucoup de stratégies pendant ce voyage : faire semblant de ne pas comprendre l’anglais, dire « ai-je dit quelque chose de mauvais en français ? », même corriger une caissière en répétant le montant en français. À la fin d’une belle trentaine de conversations, on m’a dit « Mais vous parlez très bien ! » Merci, mais pourriez-vous le tenir en compte avant de me ketchuper ? Pire, j’espérais que ce voyage changerait l’avis de mon père — dois-je vous dire que j’ai échoué ?

En retournant de l’Arc de Triomphe, où je pouvais seulement acheter un t-shirt avec ma citation préférée de Napoléon traduite en anglais, j’ai vu cette pub dans le métro. Je ne savais pas si je devrais rire ou pleurer :

Bien joué, les Français. Je fais le maximum pour m’intégrer, mais comme toutes les relations amoureuses, je ne peux pas vous forcer à accepter le cadeau. Ou même pas entrer dans la relation. Je vous rappelle l’histoire de Claire Koç. Vous avez du monde qui ne veulent rien de plus au monde que de se faire accepter chez vous selon vos termes. Qui rêvent de dire « chez nous ». Mais à cause d’un accent moins que parfait, c’est le ketchup et le dos tourné. Époustouflant.

23 réflexions au sujet de « Et les Français parlent anglais »

  1. les2olibrius

    Sans doute n’ai-je pas compris cet article et ta rancoeur à propos du ketchup servi … Mon époux en met dans n’importe quel plat tandis que je n’en mange jamais… Quelle déduction faut-il faire du fait qu’il apporte sans arrêt ce condiment qui m’est inutile ? Juste qu’il aime ça et moi pas ! On est trop souvent susceptible à tort, me semble-t-il. Bon dimanche.

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    1. Justin Busch Auteur de l’article

      Le plat a déjà sa sauce, la raison pour laquelle je doute qu’on ajoute du ketchup, qu’il soit français ou américain. Ce serait comme apporter de la sauce Worcestershire à un britannique — « on pense que vous n’êtes qu’un stéréotype ». Il me semble que me parler en anglais renforce exactement les stéréotypes, ce qui m’énerve exactement parce que ce n’était pas moi qui a demandé l’anglais !

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  2. vanadze17

    Je crois que j’aurai pris le geste du serveur, apportant le ketchup, comme une insulte ! Il aurait dû te demander si tu en voulais… tu peux toujours écrire un commentaire sur tripadvisor mais cela ne changera pas ses a priori sur tes compatriotes.
    Pour le reste, je ne sais pas si les employés de la sncf parlent tous l’anglais…j’ai un doute.
    J’ai eu la même anecdote à Londres avec un employé avec son accent cockney, qui ne voulait assurément pas m’aider !
    Ce sont tous ces souvenirs qui, beaucoup plus tard, nous font plutôt rire.

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    1. Justin Busch Auteur de l’article

      Je n’écris jamais de commentaires sur TripAdvisor et seulement 1-2 fois par an sur Yelp. Il me semble une grosse perte de temps — qui lit vraiment les critiques ?

      Mais deux ans après ma première visite, je ne ris toujours pas sur l’anglais. Quand on passe des centaines d’heures en étudiant, on veut que ça serve à quelque chose.

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  3. Náriël

    Le ketchup 😱😱 Je pense que je l’aurai mal pris s’il m’était arrivée la même chose.
    L’apprentissage des langues en France est un gros point noir, comment veux tu apprendre correctement une langue quand tu te retrouves dans des classes surchargées ? Au collège, c’est en moyenne 26 élèves par classe, autant dire que tu ne fais pas grand chose en 1h de cours. Et le lycée, c’est encore pire puisque tu peux te retrouver dans des classes à 37 élèves. L’Education Nationale ne fait pas grand chose pour remédier au problème, déjà qu’ils ont du mal à embaucher des profs pour couvrir les effectifs, alors en embaucher plus pour avoir des classes moins chargées, faut pas abuser non plus. Ce genre de pub ne serait pas dans le métro si l’école faisait correctement le job.
    A titre d’exemple, ma sœur est enseignante niveau CM1-CM2 et elle doit faire des cours d’anglais à ses élèves mais ma sœur elle n’est pas prof d’anglais 🤷‍♀️ Alors, elle se débrouille…
    Sinon, à titre perso, je n’aime pas parler anglais, j’ai trop un accent de merde 😂 Mais je le comprends et je ferais toujours l’effort s’il y a besoin 🙂 Je me souviens d’une fois où j’ai dû aider une pharmacienne à expliquer la posologie d’un médicament à un étranger parce qu’elle ne parlait pas un mot d’anglais, pourtant « two drops in each eyes twice a day during three days » c’était pas si compliqué que ça 🤣 Par contre, j’assume pleinement les fautes de grammaire et de conjugaison, j’ai toujours été nulle même en faisant des efforts 😁

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    1. Justin Busch Auteur de l’article

      Si tu connaissais le niveau d’anglais de beaucoup de monde qui travaillent dans nos pharmacies ici…disons que je suis CERTAIN que tu as déjà fait mieux cette fois unique que la plupart de ceux qui y travaillent chez moi !

      Ce que PERSONNE parmi tous ces inconnus ne sait, et je jure que ce n’est pas ma plainte, c’est qu’en plus d’aimer entendre la langue française à haute voix — j’adore vous écouter presque tous ! — je n’aime pas l’accent français en anglais. Je ne crois pas que ce soit à cause des écoles. Tout dans l’esprit français ne veut pas prononcer les fins des mots. C’est donc UN EFFORT. On entend ça comme si vous êtes STRESSÉS. C’est déroutant !

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      1. atelierduphoenix

        Mais nous le sommes (stressés) ! L’apprentissage de l’anglais est véritablement un point noir dans l’éducation nationale comme si bien décrit plus haut … Le nombre important d’élèves lors de ces apprentissages et le manque de formation des enseignants en école primaire qui doivent l’enseigner en ayant eux-mêmes un a-priori sur leur compétence en la matière est un énorme problème! Les français développent une honte viscérale de parler anglais avec un accent à couper au couteau dont nous sommes tout à fait conscient et qui nous bloque dès qu’on doit parler en public ! C’est un effort surhumain pour beaucoup de français de parler une autre car cette honte nous reste une fois adulte …
        Quant à l’apport de ketchup ça ne m’étonne pas ! Les a priori sur les américains sont très nombreux surtout dans l’hôtellerie et restauration tout comme le manque de politesse chez les restaurateurs parisiens ou de regions, mais cela ne vous est pas réservé malheureusement 😁
        C’est dommage qu’un problème d’éducation en vienne à ternir notre image auprès de vous 😔

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  4. Agatheb2k

    Aux cousins polonais qui sont passés par chez moi cet été, j’ai bien montré mon pot de « smalec » industriel et même raconté l’histoire de celui de la moutarde polonaise, mais comme le bocal de raifort râpé maison, ils sont restés au réfrigérateur car ils voulaient manger local… Chacun fait comme il le sent, j’ai simplement étoffé l’offre au petit déjeuner qui est un vrai repas chez eux ! 😉

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  6. labibliothequeroz

    Alors je te comprends carrément et je trouve très insultant ce ketchupage automatique pour les américains. Car si j’ai bien compris, les français n’avaient pas de ketchup apporté ???
    Ça m’agace. C’est super quelqu’un qui apprend notre langue. Mais bon les gens veulent plus trop prendre le temps de bien écouter voire faire répéter, rentabilité rentabilité, c’est triste.
    En tout cas je te comprends car ça me rappelle mon voyage à Berlin, pendant des semaines j’avais révisé mon allemand (je l’ai étudié 5 ans), et à l’aéroport quand j’ai demandé un ticket pour le centre-ville, on m’a répondu direct en anglais, j’étais super vexée.
    Bonne semaine Justin !

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