Les racines françaises de Dune

Je menace d’écrire ce billet depuis longtemps. Mais en quelque sorte, ça n’est jamais arrivé, largement parce que je pensais ([Sans — tousse tousse — agir, je note. — M. Descarottes]) à acheter une version française pour faire des comparaisons de langue, etc. ([Plutôt blablabla.]) C’est bon d’être toujours entouré par vos pires critiques, n’est-ce pas ? ([Mais je ne suis pas là ! — Mon ex]) De toute façon

Comme vous savez bien, le deuxième volet de Dune à l’écran vient de sortir. Je n’allais pas le voir, tout comme le premier. J’ai des problèmes avec le choix d’acteurs (on en parlera à la fin) et d’ailleurs, ce que j’apprécie le plus dans les livres ne se traduit pas à l’écran. Mais un ami qui connaît mon obsession avec toute la série de livres — au moins ceux écrits par Frank Herbert lui-même — insiste que je vois celui-ci, afin de lui expliquer les différences avec le livre original. Si je vais faire ça — dimanche aprèm — je dois d’abord écrire ce billet.

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En français on dit « Il y a bien longtemps dans une galaxie lointaine » au début de La Guerre des étoiles, mais Dune a lieu plutôt dans cette galaxie-même, juste 10 000 ans au futur. Il y a de nombreuses choses que j’aime chez Dune ; cependant, il faut dire tout d’abord que j’adore le point auquel il est ancré dans notre histoire partagée. Il faut connaître les grecs, les italiens, les allemands, les bouddhistes (à travers de nombreuses cultures), et surtout les arabes pour comprendre les sources de Dune.

« Mais Justin », vous me dites, « votre gros-titre nous promet la France ! » Et oui, on va en parler, mais ce n’est qu’un fil parmi une vingtaine. Dans l’histoire de l’avenir imaginée par Frank Herbert, pas mal d’opposés se mélangeront. La Sainte-Bible est connue sous le nom « Orange Catholic Bible », la catholicisme ayant fusionné avec le protestantisme (l’Orange faisant référence à l’Orange dans le Vaucluse, d’où la famille royale néerlandaise tire une partie de son nom, les Orange-Nassau). Les Fremen (un mot dérivé de l’anglais, « free men » — hommes libres), les autochtones d’Arrakis, croient au Zensunnisme, un mélange de bouddhisme et d’islam. Et les cultures françaises et allemandes fusionnent dans une sorte de Marché commun (vilain moi !) dit originalement « CHOAM », la Combine Honnête Ober Advancer Mercantiles, mais traduit dans les livres français comme CHOM.

Au fait, veuillez ignorer tout excrété par le fils de Frank Herbert, Brian, et son complice, Kevin Anderson. Ils n’ont rien compris de ces mélanges de culture et ont créé un « Boudallah » jamais mentionné par Frank. C’est loin de leur péché le plus grave, mais typique de leur manque de subtilité.

Cependant, l’influence française sur Frank Herbert se trouve ailleurs. Il a une habitude stylistique intéressante, de mettre une épigramme au début de chaque chapitre de ces livres. Dans Les Enfants de Dune, deuxième suite du roman original, on trouve cette citation :

« Quand je suis le plus faible, je vous demande la liberté parce que tel est votre principe ; mais quand je suis le plus fort, je vous l’ôte, parce que tel est le mien »

Louis Veuillot

Veuillot nia l’avoir dit, mais peu importe ; ça exprime un principe important de toute la série. Tout comme Machiavel, les principes de tout le monde sont une fonction de leur puissance. J’oserais dire que ce soit la citation la plus connue de la série dans sa forme anglaise. Et on trouve cet esprit partout dès le premier livre — les Atreides se soucient de la liberté quand ils sont plus faibles que l’Empereur ou les Harkonnen. Ça change vite ; ils doivent leur puissance aux fanatiques Zensunni, qui tuent des milliards dans un jihad — un terme qui apparaît encore et encore à travers les époques de la série.

Alors, pourquoi pas vouloir les films de M. Villeneuve ? Ça concerne largement la distribution des Fremen, qui devaient être tous des acteurs d’origine maghrébine ou au moins méditerranéenne (des grecs ou turcs pouvaient servir). Leur mode de vivre est 100 % à l’arabe. Ça a des conséquences. M. Villeneuve a choisi, par exemple, de changer le genre de Liet-Kynes, le fils d’un étranger d’outre-monde qui s’est marié avec une femme Fremen. Dans les romans, Liet hérite le rôle de son père, qui mène un projet secret pour mettre un terme aux déserts d’Arrakis. L’actrice s’est plainte (lien en anglais) « Kynes, pourquoi ne peut-il pas être une femme ? Pourquoi ne devrait-il pas être une femme ? »

Puisqu’elle n’a évidemment pas lu les livres ni compris leurs sources, c’est parce que dans la culture extrêmement chauvine des Fremen — où les hommes se tuent pour voler les femmes aux autres — personne n’écouterait jamais une femme qui n’est pas prêtresse (et Liet-Kynes est scientifique comme son père). Que l’on trouve ça juste ou pas, c’est à rater l’importance de cette culture à tout ce qui suit, dont le jihad interplanétaire. Je remarque que M. Villeneuve a pris ça en compte pour le deuxième film, car les « Fedaykin » — les guerriers les plus fanatiques — sont tous joués par des acteurs d’origine maghrébine.

Évidemment, je vais ignorer tout ça afin de regarder ce dernier film. On n’a pas dit notre dernier mot sur le sujet de Dune.

16 réflexions au sujet de « Les racines françaises de Dune »

  1. Avatar de LadyButterflyLadyButterfly

    J’aime beaucoup la série de Frank Herbert que j’ai dû lire et relire un tas de fois (pas tout les bouquins commis par son fils et Anderson, quelle horreur). Je suis assez d’accord avec toi, sur la communauté Fremen. Pour une fois, ce n’était pas utile de changer de genre un personnage (parfois, ça l’est). Il y a beaucoup de personnages féminins intéressants dans Dune : Jessica, Chani, Irulan tout le Bene Gesserit, Alia…

    J’ai vu le Dune 1 de Villeneuve 2 fois et je l’ai trouvé plutôt juste. Je me souviens encore de ma grosse déception étant ado quand j’étais allée voir celui de Lynch (ahah). Maintenant, il a un style mais c’est assez spécial, quand même.

    Je vais au cinéma mardi voir le second, d’ailleurs. Billets achetés. 😉

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    1. Avatar de Justin BuschJustin Busch Auteur de l’article

      Le premier roman se termine sur une phrase dite par Jessica à Chani, « Nous sommes des concubines, mais l’Histoire nous appellera des épouses ! » et je l’ai trouvée très puissante, une expression de la vraie position des femmes dans le roman. Bien que leurs droits soient limités, c’est une situation plutôt comme le Moyen-Âge, où elles sont souvent « le pouvoir derrière le trône ». Je suppose que ça ne se traduit pas très bien à l’écran, mais je trouve que les personnages féminins de la série sont souvent les plus intéressants.

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  2. Avatar de Agatheb2kAgatheb2k

    Merci d’avoir si bien résumé cette saga à laquelle je n’ai jamais adhéré, pourtant les thèmes abordés me parlent et ma période science-fiction a duré assez longtemps… C’est peut-être l’aspect commercial qui me rebute ?

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      1. Avatar de Agatheb2kAgatheb2k

        Pour les livres, peut-être qu’ils étaient victimes de leur succès à la bibliothèque que je fréquentais à l’époque et que j’ai renoncé à commencer la série parce que je n’étais pas sûre de pouvoir les lire dans l’ordre ! 😉

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  3. Avatar de Justin BuschJustin Busch Auteur de l’article

    Je comprends ce que tu dis, mais en ce cas, il me semble que M. Villeneuve est parti à la recherche de la diversité à l’américaine. Ses Fremen sont changés pour satisfaire nos exigences sur la couleur de peau plutôt qu’au service de l’histoire. Je trouve ça injuste à ce que je crois est une histoire très particulière.

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    1. Avatar de Justin BuschJustin Busch Auteur de l’article

      La réécriture des romans (et la décision de ne plus publier certains qui restent populaires, comme a fait la famille de « Dr. Seuss » aux États-Unis) me choque. Je ne sais pas si ça arrive au-delà des pays anglophones, mais ça me rappelle le roman 1984, où le personnage principal a dû réécrire les vieux journaux quotidiennement.

      En ce qui concerne Dune, il n’y a aucune série de livres que je relis plus souvent dans la vie. Ça fait quelques ans depuis la dernière fois, mais ce sont les livres que je connais le mieux au monde.

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  4. Avatar de DominiqueDominique

    Je n’ai vu que le 1er film il n’y a pas longtemps et j’ignore tout des bouquins, mais je sais les différences entre eux et leur interprétation cinématographique !
    Toutefois je suis une « bonne spectatrice » dépourvue de tout sens critique devant l’histoire contée (si elle est bonne), car ce que j’aime c’est juste « l’histoire », hormis ses multiples références offertes à tant d’ interprétations, car tous ces mélanges tant religieux que philosophiques me semblent un bizarre melting-pot, fait seulement pour donner à la fiction des allures réalistes.
    Ce n’est que mon avis sans doute discutable… 😉
    Bon dimanche Justin et les autres !

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  5. Avatar de encuisineavecpelaencuisineavecpela

    Ce film, vient de passer ce soir sur une chaîne française et je l’ai regardé, mes enfants ont insisté pour ça !
    Bon moi, c’est pas trop mon style, j’ai trouvé ça long. Je m’excuse !!
    Tu sais bien que les films que tu aimes le moins, moi je les aime +++ 😅

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  6. Ping : Saison 2, Épisode 50 — Les Dindes de Dune | Un Coup de Foudre

  7. Avatar de scriiiptor (pour scriiipt.com)scriiipt

    Comme toujours, les romans sont beaucoup mieux que les adaptations ciné ou TV… Après m’être fait de nombreuses heures de lectures diverses et variées, je confirme : « choisissez les romans, pas les films »… Et si on regarde le film (les films), il faudra les voir comme des œuvres indépendantes et juste inspirées des romans. Le terme « Adaptation » est beaucoup trop fort et trompeur…

    Tout scénario d’un film porte un « message », ce « message » est du fait du scénariste et il guide le réalisateur. Quand le message est trop complexe ou qu’il n’y a pas une bonne entente entre scénariste, réalisateur et producteur, cela donne souvent des films brouillons et qui ne trouve pas le succès escompté auprès du public (normal, il comprend pas le propos du film).
    Dès qu’il s’agit donc de faire une « adaptation », le « message » du livre (parce qu’il y en a au moins un, sinon des dizaines) passe par le filtre des scénaristes-réalisateurs-producteurs-etc, et le film risque souvent d’avoir un « message » différent. Ici, avec Dune, c’est clairement ce qui se passe. Dune a été réfléchi et écrit dans les années 1950-1960… Alors, oui les rapprochements avec ce qui se passe autour des déserts de la Terre, les tribus nomades bédouines et arabes, l’impérialisme, le pétrole, etc… Bien entendu que c’est de cela dont il s’agit dans les romans. Pas uniquement, certes, mais quand même.
    Bref, je me suis perdu dans ce que je voulais dire….

    En résumé : les livres c’est bien ! Les adaptations, c’est pas moins bien, c’est juste que c’est pas pareil…

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  8. Ping : Dune : Deuxième partie | Un Coup de Foudre

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