Je découvre Jain

On continue le Projet 30 Ans de Taratata avec le prochain acte après Véronique Sanson : Jain, Jeanne Added et Juliette Armanet, qui ont chanté « Don’t Speak » de Gwen Stefani en anglais :

C’est mon plan d’écrire sur les artistes originaux quand la matière est d’origine francophone, mais il n’y a pas besoin d’écrire « Je découvre l’une des nombreuses personnes qui me donnent envie de m’expatrier » (Gwen Stefani, pour préciser).

Parce que le prochain paragraphe sera le truc le plus dingue que vous ayez lu chez moi, j’aimerais dire d’abord qu’en regardant la vidéo en haut, il m’est bien évident que toutes les 3 chanteuses, dont Jain, sont très douées en anglais, pas autant que Véronique Sanson, mais absolument capables de jouer ici et non pas seulement devant un public de mes clones. MAIS…

Jain, Photo par El pitareio, CC BY-SA 4.0

Je n’écrirais même pas cet article s’il y avait une version du blog en anglais. J’écrirais tout simplement « En raison de la loi du 1er avril de 2020, écouter cette musique est du crimethink. Il ne faut pas l’écouter aux États-Unis ; passez sur votre chemin ». N’étant pas américains, vous ne m’allez pas croire du tout. Je voulais désespérément trouver autre chose à dire sur cette chanteuse, au point où j’ai écouté TOUT son premier album et presque tout le reste des deux autres. Mais elle est ce qu’elle est.

Jain est née Jeanne Galice, à Toulouse, en 1992, d’une famille avec des racines malgaches. Elle a passé une partie de son enfance à Dubai, ses années collégiennes à Brazzaville, au Congo, et a eu son bac à Abou Dabi. Son nom de scène fait référence au jaïnisme, une religion de l’Inde.

En 2015, elle se fait connue avec son premier single, Come, où elle dit que « my soul is in Africa » (mon âme est en Afrique) :

Le problème ici est qu’elle sonne exactement comme Rihanna ou Angélique Kidjo, et quand elle chante le mot « Come », il sonne comme une version féminine de K7. Pourtant elle est blanche et née à Toulouse. J’ai parlé avant de mon choc que personne ne m’a jamais accusé de « l’appropriation culturelle ». Mais je suis petit, et pas une célébrité. Et en fait, les journalistes américains l’affrontent avec ces questions à partir de sa première tournée aux États-Unis en 2017 :

Ici il y a une grande polémique sur la cultural appropriation, qui stigmatise l’adoption de codes culturels par quelqu’un qui vient d’une autre culture. C’est vu comme un vol par certains, explique Jain. Donc plusieurs journalistes m’ont posé cette question : « est-ce de l’appropriation culturelle que vous faites quand vous parlez de l’Afrique »…La culture américaine a une vision très différente de la France sur ces questions culturelles. J’ai donc dû raconter mon histoire et surtout expliquer qu’elle n’est pas fabriquée.

Jain à Washington, RFI

Plus tard en 2015, elle sort son premier album, Zanaka, qui comprend Come, mais aussi son plus grand tube, Makeba, à l’honneur de la chanteuse sud-africaine Miriam Makeba :

Oh là là. Si j’avais essayé en 2020 d’imaginer le clip le plus offensant imaginable aux États-Unis, il serait quelque chose où une blanche — la seule telle personne dans le clip — est entourée par des danseurs noirs en chantant sur des thèmes africains. La deuxième pire chose aurait été Dynabeat, dans un contexte asiatique, dès que l’on avait remarqué la ressemblance entre le clip et le dieu hindou Ganesh avec ses 4 bras.

J’espère qu’il sera clair que je ne suis pas ici pour valider cette « analyse » selon laquelle la couleur de sa peau décide ce que l’on peut chanter ou écrire. C’était exactement ce moment où j’ai perdu tout espoir. Si Jain a dû affronter déjà ces questions en 2017, 2020 aurait été tout autre chose.

Son deuxième album, sorti en 2018, Souldier (jeu de mots en anglais — soldier = soldat, soul = âme), est plus de la même chose, mais avec moins de thèmes ouvertement africains. Le premier single, Alright, parle de la vie après une rupture :

Moins, pas zéro. Flash parle de ses années au Congo :

Ma chanson préférée de Jain vient de cet album — Inspecta, son hommage au générique d’Inspecteur Gadget :

En 2023, Jain est de retour avec The Fool, nommé pour la dernière carte du tarot de Marseille, Le Fou. Cet album ne sonne pas du tout comme les autres. Elle montre encore son talent, mais si vous n’entendez pas le sous-entendu « sa cervelle ou sa signature parapherait le contrat » derrière ce changement complet de son style, vous n’avez pas compris le marché anglophone.

D’autres morceaux — I Feel Alive, Cosmic Love, Goodbye — sont tous dans ce même style, plus mélodique, moins rythmique, mais surtout avec toute influence africaine purgée.

Je pleurais en écrivant cette critique. La musique de ses deux premiers albums n’était jamais la mienne. Mais je ne doute pas, même pour un instant, que ça venait vraiment d’elle. Encore pire, les deux premiers albums sont heureux ; ce dernier est triste. Je soupçonne qu’elle aurait nommé l’album « La Folle », mais le message aurait été trop évident. Il doit être une ironie insupportable pour elle que Makeba a trouvé une nouvelle vie sur TikTok juste après la sortie de « The Fool ». Par égard pour la vraie Jain, j’espère qu’un jour elle sortira un autre album exactement comme Zanaka, et qu’il connaîtra autant de succès qu’avant. Elle n’a rien fait pour mériter autrement.

Cependant, je dois lui donner deux notes, une pour les américains et l’autre pour l’Europe.

Ma note américaine : Jain? Never heard of her. Please don’t fire me, I beg you. (Jain ? Jamais en entendu parler. Veuillez ne pas me licencier, je vous en supplie.)

Ma note européenne : J’achète mon propre billet pour le concert, juste pour la soutenir.

11 réflexions au sujet de « Je découvre Jain »

  1. Avatar de vanadze17vanadze17

    Dès le début, j’ai apprécié le style Jain. J’aime ses mélodies qui chantent un peu l’Afrique au sens large du terme. Je ne savais rien de sa jeunesse avant de te lire.
    J’avoue ne pas connaître son dernier album (je vais l’écouter sur spotify ).
    Merci pour ton analyse et bon dimanche Justin.

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  2. Avatar de shannon75Shannyshou

    Si je peux me permettre, le Fou n’est pas la dernière carte du Tarot mais la première. Même si elle ne porte pas de numéro, elle est le symbole de celui qui part à l’aventure pour arriver au Monde, la dernière carte, la 21. C’est un voyage, le Tarot ! Sinon pour Jain, je n’ai rien à dire, je n’écoute de toute façon pas les français, j’ai horreur de Véronique Sanson par ailleurs. Elle a épousé un américain et n’est pas foutu de parler anglais, la honte, non ?

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    1. Avatar de Justin BuschJustin Busch Auteur de l’article

      J’ai lu dans un article sur l’album que le Fou était en même temps la première et dernière carte, et honnêtement, je ne savais pas que faire de ça ! Merci de l’éclaircissement !

      Quand j’ai découvert « Full-Tilt Frog » par Véronique Sanson il y a 3 ans, j’ai écrit que j’étais choqué — les yeux fermés, j’aurais deviné que c’était Carly Simon !

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  3. Avatar de LadyButterflyLadyButterfly

    Ici, on a tellement entendu « Makeba » ! J’aime moins ce qu’elle fait actuellement

    Je n’y crois pas, quand même : appropriation culturelle alors qu’elle a des origines malgaches et a passé une bonne partie de son enfance en Afrique, quel tas de bêtises de lui dire ça…

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