C’est pas possible !

Il y a des fois où on vous donne du matériel et c’est si incroyable, si époustouflant qu’il n’y a pas de choix — il faut en écrire. Un membre de mon groupe d’utilisateurs de Duolingo qui habite au Québec m’a envoyé un clip délirant. Je l’ai regardè plusieurs fois et je n’ai toujours pas la moindre idée de ce qui se passe. Alors aujourd’hui on va parler de l’histoire absolument bizarre — et 100 % québécoise — de Normand L’Amour.

Normand L’Amour, Dessin par Jean-no, Copyleft

D’abord le clip. Vous allez voir que M. L’Amour n’a jamais eu un budget pour tourner des vidéos. Mais on a dessiné des choses qui vont avec ses paroles. Regardez :

Je sais déjà. « Justin, c’est quoi cette bêtise ? T’as perdu la tête, quoi ? » Pas du tout. Je reconnais un peu une âme sœur — mais pas trop — alors on va discuter comment le Camille Sans-Sens du Nord est venu à enregistrer plus de 2 000 chansons pendant deux décennies.

Commençons à la fin, ses funérailles en 2015 à 85 ans, car sa famille est plus fiable que Wikipédia. Normand Cournoyer était dépanneur à la québécoise — c’est-à-dire épicier — dans la ville de Sorel-Tracy, aussi la maison de Laurence Manning. On y trouve tout genre de personne, apparemment. En 1997, à l’âge de 68 ans, il a subi un vol armé dans son magasin, et s’est rendu compte qu’il ne voulait pas finir sa vie en tant qu’inconnu derrière un comptoir, selon le maire de la ville, Serge Péloquin — aussi son agent. Il a donc fermé le dépanneur, acheté une copie du logiciel Band-in-a-Box (Bande dans une boîte), adopté son nom de scène et a commencé à s’enregistrer.

Il s’est fait connu dans une apparition de légende sur l’émission québécoise « La fin du monde est à 7h ». Après avoir lu la météo à haute voix, il a reçu le droit de chanter à télé pendant 30 secondes immortelles :

Vous pensez que je me moque de lui, mais ce n’est pas du tout le cas. Évidemment, monsieur n’a aucun talent musical — et les paroles lui feraient un cauchemar de nos jours — mais il faut absolument le mettre à côté. Voici un homme qui était absolument inconnu, qui avait subi une expérience où la vie passait devant ses yeux, et qui a en résultat osé apparaître en live pour chanter. Ce n’était pas l’acte le plus sage de sa vie, mais c’était sans doute le plus courageux.

Alors avec sa nouvelle renommée, M. L’Amour a réussi à vendre 1 000 exemplaires de sa cassette de début, « C’est pas possible ! », d’où viennent également « La Poignée de porte » et « Toute noire », les chansons en haut. Cette réussite était assez pour qu’il gagne le droit de vendre ses enregistrements dans deux magasins locaux, le dépanneur du resto et hôtel « Le Madrid » ainsi que Boulevard Musique, l’ancien magasin de son agent, M. le maire de la ville.

Le Madrid, Photo par Bouchecl, CC BY-SA 3.0

Le succès a suscité une certaine jalousie. En 1999, il a perdu le Prix Félix pour un album d’humour à Yvon Deschamps, un humoriste professionnel, qui a dit que Normand aurait dû se sentir honte car « lui, il fait pas ça pour rire ». Mais notre Normand ne s’est pas découragé — il a fini par enregistrer plus de 2 300 chansons sur 200 albums, avec des morceaux en 75 langues.

Sa renommée a suffi à le faire apparaître dans une publicité pour le soda Pepsi à la télé québécoise. Je félicite les responsables pour avoir reconnu comment l’utiliser — il fournit la bande-sonore, et n’est pas la victime d’une blague.

Je veux en conclure avec une dernière chanson de M. L’Amour, quelque chose de hyper-local, « Y’avait sur mon érable ». Son thème est un pic-bois qu’il voit perché sur un érable, absolument banal bien sûr, mais une image typique de son coin du monde. En effet, il n’y a rien de plus parfait pour raconter son histoire — un homme qui rêvait juste d’être connu parmi ses voisins.

20 réflexions au sujet de « C’est pas possible ! »

  1. Avatar de C'est en lisant...les2olibrius

    Pardon Justin mais je ne parviens pas du tout à apprécier, ne serait-ce qu’un tout petit peu, l’oeuvre de cet ancien commerçant dont la voix comme les chants ne me plaisent pas du tout. Et je ne suis pas non plus sensible à la bizarrerie de ses textes. Ses créations choquent bien plus mon oreille que tous les percussionnistes chinois qui m’ont charmée ces derniers mois, même si j’ai eu besoin d’un temps d’adaptation désormais dépassé. Là… Ma sensibilité rejette complètement ces écoutes qui me sont pénibles car les mots eux-mêmes sont déformés du fait de la langue du locuteur. Cette « pognée » (au lieu d’une poignée) qui est dessinée comme le faisaient certains de mes élèves masculins quand ils gravaient sur les tables de la salle de classe leurs préoccupations scatologiques…me repousse assez et je ne suis pas allée jusqu’au bout des compos dont Pepsi a choisi la plus écoutable dans le cadre d’une campagne de pub qui a pour finalité d’accrocher les éventuels acheteurs par l’aspect irrévérencieux. Cet esprit de dérision ne me touche pas du tout et je ne retrouve absolument pas l’originalité de Gotainer ou de Ricet Barrier. Je suis désolée mais cet homme restera pour moi l’inconnu qu’il était… Ce qui n’enlève rien du tout à L’Aminautié que j’ai, intacte, à ton égard. Passe un bon jeudi!

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  2. Avatar de vanadze17vanadze17

    Idem pour moi, pas apprécié non plus… je préfère Gotainer également !
    Il existe aussi en France des gens qui se disent/croient « artistes » mais qui pour moi n’en sont pas, car je n’apprécie pas leur humour ou rôles dans des films (disons plutôt navets).
    Tous les goûts sont dans la nature !

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    1. Avatar de C'est en lisant...les2olibrius

      Et si tu les comprenais soudain et que tu te rendais compte qu’il ne parle que de son arrière-train… Ça ne te gênerait pas un chouïa ? C’est ce que j’ai ressenti en tout cas, en déplacement en car de colonie de vacances, en me rendant compte que la statue au pied de laquelle on nous avait dit de nous asseoir (ordre des monos un peu niais de la colo)… N’était que la représentation d’un bonhomme de crotte! En tout cas toutes mes copines ont hurlé quand je le leur ai expliqué et nous nous sommes « envolées » comme un groupe de pigeons (au sens figuré 🕊️).

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      1. Avatar de Justin BuschJustin Busch Auteur de l’article

        Il était une fois, en CM1, ma classe a visité le musée d’art moderne dans ma ville natale, San Diego. Ils nous a montré une vidéo d’un « artiste » qui a bu du même bol que son chien. Notre prof n’avait AUCUNE IDÉE que ça arriverait pendant la visite. J’oublie le nom de l’artiste depuis longtemps, mais désormais, j’évite la grande majorité de musées qui se disent « modernes » !

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  3. Ping : Saison 3, Épisode 5 — De cape et d’épée | Un Coup de Foudre

    1. Avatar de Justin BuschJustin Busch Auteur de l’article

      Cet article était accueilli très différemment aux deux côtés de l’Atlantique, il me semble. Mais je crois que personne n’est perplexe sur la question de ses compétences en tant que chanteur. C’est juste qu’en Amérique du Nord, on s’habitue à de telles personnalités !

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