Portrait de Molière par Nicolas Mignard

Vaut mieux m’en vouloir

Il y a deux semaines, j’ai écrit dans un billet, « Pour ce qu’il vaut, elle est d’origine niçoise » en parlant de la prof de français de La Fille. Agnès de LeyArts, qui laisse souvent des commentaires ici, m’a corrigé sur BlueSky :

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Pour vous rappeler, il ne me dérange jamais quand vous corrigez ma grammaire. C’est comment on apprend. Mais à son tour, ce…euh… « skeet », comme dit les utilisateurs de BlueSky (sky + tweet), m’a rappelé quelque chose qui me rend perplexe depuis deux ans déjà.

Quand j’étais en France en 2022, j’ai acheté un numéro du magazine Marianne. Vers l’arrière, il y a une colonne intitulée « Mieux vaut en rire ». Je ne peux plus trouver le magazine, mais c’est assez facile de rechercher sur Google avec l’expression « mieux vaut en rire Marianne » et beaucoup de liens comme celui-ci se trouveront parmi les résultats. L’important, c’est qu’il n’y a pas de sujet.

Plus tard, j’ai trouvé l’opposé. En particulier, ce podcast a croisé mon chemin :

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Il n’y a pas de sujet ici non plus. Mais vous voyez sûrement que j’ai désormais deux problèmes : quel est le sujet, et quel est le bon ordre ? Et vous connaissez encore plus sûrement assez de vos concitoyens pour savoir que l’histoire ne se termine pas ici.

Naturellement, j’ai recherché le problème. Ça m’a mené à une page du Projet Voltaire, ce qui m’a expliqué qu’il ne faut pas écrire « il faut mieux » pour « il vaut mieux ». Super, je n’étais pas perplexe sur la question de falloir ou valoir. Avant. Mais peut-être que je ratais quelque chose ? Je dirai que ceci est une fausse piste, car on n’a pas épuisé les chemins du verbe « valoir ».

Dans le magazine Cerveau & Psycho, on trouve le gros-titre « Mieux vaut en rire qu’en pleurer », censé être un proverbe. Pourtant Le Parisien et Ouest France le rendent également « Mieux vaut rire que pleurer ». Mieux faut garder l’objet ou pas ? C’est comment on joue à ce jeu ? Pour sa part, Radio France le rend « Il vaut souvent mieux en rire qu’en pleurer »

Mais cette enquête s’est lancée sur un coup de « ça vaut », n’est-ce pas ? Et si Faustine Bollaert me disait que « Ça vaut le coup », qui serais-je pour ne pas être d’accord ? Cependant, Lawless French, un site bien réputé parmi les élèves anglophones, dit qu’en fait on peut dire « il/elle vaut », mais seulement dans des cas personnels et avec le subjonctif, donc :

Il vaut le coup que tu le lises. 

Athènes est une ville intéressante, elle valait le coup que nous y allions.

D’autre part, Reverso, un site qui collectionne des exemples d’usage partout sur le web, offre plusieurs exemples d’un « il vaut » impersonnel :

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Mais j’ai gardé le pire exemple pour la fin. Le site « La langue française », parfois cité ici, explique ainsi le proverbe « Mieux vaut tard que jamais » :

On peut remonter la piste du proverbe « Mieux vaut tard que jamais » jusqu’au lointain XVe siècle, mais il faut attendre Les Curiosités françoises d’Antoine Oudin, en 1640, pour en lire la première définition, sous la forme « Il vaut mieux tard que jamais »

« Mieux vaut tard que jamais » : signification et origine du proverbe

Chouette, « mieux vaut » descend de « il vaut mieux » sans la moindre remarque !

D’habitude, j’aime tirer une leçon de mes explorations linguistiques. Mais cette fois, vous m’avez bel et bien battu. J’ai de bonnes sources pour « mieux vaut » et « vaut mieux », et pour des formes personnelles et impersonnelles. S’il y a une règle, je suis la mauvaise personne pour la discerner.

([C’est pourtant évident. La règle est « Quel que dise Justin, il a tort ». — M. Descarottes])

Langue de Molière vous reverra la semaine prochaine pour parler d’un type.

13 réflexions au sujet de « Vaut mieux m’en vouloir »

  1. Avatar de AnagrysAnagrys

    Bonjour Justin, je vais commencer par une petite correction :
    « Pour vous rappeler, il ne me dérange jamais quand vous corrigez ma grammaire. C’est comment on apprend. »
    À titre personnel je préférerais dire :
    « Pour rappel, ça ne me dérange jamais quand vous corrigez ma grammaire. C’est comme ça qu’on apprend. ».
    Pour le coup, on a une véritable forme impersonnelle 😊
    Dans l’expression « vaut mieux en rire » le sujet est « il » ou « ça », c’est une 3e personne du singulier, et il est implicite.
    Quant aux exemples de Reverso, il leur manque je plus important : le contexte. Je pense que le premier exemple est tiré d’un article qui teste un logiciel de montage. Le deuxième semble être tiré d’un article touristique, de même que le 3e. Dans les 3 cas, contrairement à ce que le site semble laisser penser, il n’y a rien d’impersonnel, le sujet est connu en dehors de l’extrait.
    En parlant d’un monument, par exemple, on pourra dire indifféremment : « il / elle vaut le coup [d’œil] » ou « ça vaut le coup [d’œil] », à vue de nez je considérerai que le premier est un peu plus spécifique.
    Quant à Monsieur Descarottes, s’il voulait vous faire la leçon il devrait plutôt dire : « la règle est : “quoi que dise Justin, il a tort” ». N’hésitez pas à le corriger la prochaine fois qu’il voudra ramener sa science, ça vaut mieux que le laisser dire des bêtises !
    (ici, on ne dira jamais : « il vaut mieux que le laisser… »)

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  2. Avatar de C'est en lisant...les2olibrius

    Merci pour le rappel concernant l’émission de Faustine Bollaert dont je suis fan. J’en regarderais bien une pour me faire une idée.
    A ce qui t’a déjà été expliqué, j’ajouterais l’idée suivante : l’expression « vaut mieux que… » (avec oubli du sujet apparent « il ») appartient au niveau de langage familier et ne s’écrit pas dans un texte qui se veut en langage soutenu. Idem pour l’expression imagée « valoir le coup » à remplacer par des synonymes tels que « … a de l’intérêt/ de l’importance / une valeur particulière »…
    Tu veux trop souvent que l’on te propose des règles à suivre alors que tout dépend du contexte et des différences entre l’oral et l’écrit ou entre interlocuteurs.
    Et… Moi je ne te proposerai plus de correction de tes textes puisque chaque fois que je l’ai fait j’ai cru percevoir que tu t’excusais trop d’avoir mal formulé du premier coup. Sache que les Français s’expriment aussi avec incorrection de temps en temps : à la télévision, on entend des tournures totalement inadmissibles dans la bouche de journalistes et bien pires encore dans les interviews des gens du quotidien ! Tu peux même ajouter des Présidents ou des politiciens (plusieurs et de bords politiques très différents) qui ont dit de grosses bêtises ! L’un d’eux m’agaçait au plus haut point dans ses discours avec la prononciation d’un z à la fin de « jamais » alors qu’il n’y avait pas de liaison avec un autre mot ! Bref! Tes erreurs font ton charme d’Américain comme ton accent.

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  3. Avatar de vanadze17vanadze17

    Le français est compliqué. J’ajouterai juste que le contexte est important, et c’est selon la personne qui parle ou écrit, et son niveau de langage.
    Pour terminer, à la fin de ton article, il faut dire « quoi que dise Justin »…😉
    Et non, tu n’as pas tort… car c’est difficile d’intégrer toutes ces formules.
    Perso, quand j’ai rencontré ma correspondante anglaise, nous avons appliqué cette méthode de se corriger mutuellement. On le fait toujours même sur Whatsapp. Et ça fonctionne plutôt bien.😉

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  4. Avatar de LadyButterflyLadyButterfly

    La différence; c’est la traduction du « it » anglais, qui n’est pas équivalent à notre français il/elle. Explications. .

    « For what it’s worth » que tu as traduit littéralement, c’est notre « pour ce que cela vaut ». (la notion de « valoir », tu la retrouves en anglais comme en français dans ce cas, ce qui est bien pratique)

    Tu avais écrit « Malgré ça, la prof nous a montré comment elle fait pour leur apprendre le français — elle parle presque complètement en français mais fait des gestes vers des diapositives afin d’indiquer quels sont les bons mots en anglais. Pour ce qu’il vaut, elle est d’origine niçoise. »

    « pour ce que ça vaut », je dirais même que, dans ce contexte, j’entends ta phrase en anglais. En français, on dira  » quoiqu’il en soit, elle est d’origine niçoise ».

    for what it’s worth – Traduction française – Linguee

    Pour « il faut » (être nécessaire) ou « il vaut » : c’est une confusion courante.
    Tiens, un autre site (à part Projet Voltaire) hyper pratique et sérieux (je l’utilise souvent pour les synonymes quand j’écris), c’est le CNRTL

    https://www.cnrtl.fr/definition/falloir

    https://www.cnrtl.fr/definition/valoir

    Dans le cas de « Il vaut le coup que tu le lises« . Cela me paraît totalement sorti du contexte. « il » désigne quoi ? Athènes est une ville qui vaut le coup d’oeil. (Athènes = la ville, donc oui « elle vaut le coup d’oeil »).
    Mais, pour en revenir à mes moutons, heu… à l’expression, c’est vraiment parce que tu as traduit littéralement.

    De plus, Reverso n’est pas un bon traducteur. Il fait juste du mot à mot (assez mauvais) d’une langue à une autre.
    Si tu as besoin d’un outil de traduction plus point, je te conseille Deep.L (version gratuite), soit en ligne, soit à télécharger. Là, il y a même des propositions de mots ou d’expressions variées.

    Mieux vaut en rigoler de tout ça ! 😉

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