Portrait de Molière par Nicolas Mignard

Banni

Langue de Molière est de retour pour la nouvelle année avec un nouveau rebondissement sur une vieille obsession.

En anglais, il y a un mot un peu curieux pour la vieille tradition d’annoncer des mariages à venir afin que les sages puissent sauver le con de son erreur. On n’a pas fait ça en 2002, et moi voilà. Ça s’appelle « banns », écrit avec un « n » doublé — la partie curieuse, car on ne trouve pas ça souvent à la fin des mots en anglais. J’ai oublié de noter la raison pour laquelle j’ai recherché ce mot, mais j’étais certainement surpris d’apprendre que ça s’écrivait en français exactement comme ce à quoi je me serais attendu en anglais :

Capture d'écran du dictionnaire bilingue Oxford pour "banns" en anglais, "bans" en français.

C’est assez proche du français que je m’attendais à trouver une histoire d’étymologie en commun. Peut-être que c’est le cas, mais c’est bien plus compliqué qu’attendu !

Selon Merriam-Webster en anglais, « bann » vient de « ban » dans l’anglais du Moyen-Âge, ce qui voulait dire une interdiction ou une condamnation, ainsi que le processus de poster les mariages devant l’église. Et là, il s’avère que les racines se trouvent plutôt dans le vieux anglais « bannan », ce qui veut dire « faire venir » ou « convoquer », et avant ça, apparemment le vieux allemand ou bien saxon. Alors il semblerait que Guillaume le Conquérant a fait une erreur et importé de l’anglais, n’est-ce pas ?

Sauf que.

En même temps, Merriam-Webster dit qu’il y avait un autre chemin par lequel « ban » est entré pendant le Moyen-Âge. Le vieux français disait anciennement soit « ban » soit « baan » pour l’annonce avant un mariage. Mais de son tour, ça vient aussi du même verbe en vieux allemand, « bannan ».

Le Trésor de la Langue française dit ça sur la question :

2e quart XIIIe s. spéc. ban (de mariage) « proclamation publique des promesses de mariage, faite à l’église » (GERBERT DE MONTREUIL, Continuation de Perceval, 1922, 2066 : Et li prestres crie le ban : « s’il i a nului qui seüst Par coi assambler ne deüst Cis mariages, qu’il le die »);

Ban, Trésor de la Langue française

Cette entrée ne contredit pas ce que l’on entend du dictionnaire anglais, car cet usage ne date qu’au XIIIe siècle, et quand on parle du vieux anglais, on parle de l’époque jusqu’à Guillaume. Le Trésor ajoute, à propos d’autres significations de « ban » dans la même entrée :

De l’a. b. frq. *ban « loi dont la non-observance entraîne une peine » (a. h. all. ban « commandement sous menace de peine, défense, juridiction et son domaine », a. nord. ban « défense », KLUGE20) à rattacher au verbe germ. *bannan « commander ou défendre sous menace de peine »

Il semblerait donc que les bans de mariage ont leurs racines parmi les voisins allemands, qui les ont exportés dans les deux sens, à travers la Manche et en France. On a déjà parlé de comment les traditions légales se sont mélangées après Guillaume, au point où on dit toujours « Oyez ! » dans la Cour suprême américaine. Mais dans ce cas, s’il n’y avait personne pour crier les bans et objecter quand j’en avais besoin…

Ouaip. Encore une chose de plus pour laquelle je m’en prends aux allemands. Nouvelle année, même vieux Coup de Foudre, tout le monde !

Langue de Molière vous reverra la semaine prochaine pour parler de la pire chose que vous les lecteurs m’avez apprise.

7 réflexions au sujet de « Banni »

  1. Avatar de Jean- le solognotJean- le solognot

    Premier message 2025 pour toi
    Ban -banlieue (sard) mis au ban , banni.(bananes, Banyuls, Montauban, ),prénom Alban il était assis sur le banc ,au ban de la société, était ce un albanais d’origine?

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  2. Avatar de AnagrysAnagrys

    Plusieurs sens pour ce « ban », sur lequel je ne m’étais jamais posé de question jusqu’à ce billet, qui montrent une origine ancienne.
    Il y a le ban du mariage, qui est une annonce officielle.
    Et il y a le ban de la commune, héritier du ban seigneurial qui a donné « banal » (non pas « ordinaire », mais « du ban », qu’on utilisait pour désigner le moulin et le four à pain du seigneur, d’après mes souvenirs de cours d’Histoire de 5e), mais aussi banni (chassé du ban) et sans doute d’autres.
    Intuitivement, dans la mesure où il s’agit d’un terme lié au pouvoir féodal, je lui verrais bien une origine francque dans le français, donc germanique. Il n’est pas étonnant, partant de là, sinon retrouve le terme dans la langue des Saxons, peuple germanique aussi, mais aussi bien plus tard dans celle des envahisseurs normand largement… francisés, en espérant que le terme ne soit pas trop anachronique.

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