Assiette de madeleines faites maison par Justin Busch

Dimanche avec le baron de Charlus

On reprend Du côté de chez Swann. Cette fois j’ai avancé de 53 pages. On est enfin aux trois quarts du livre.

De tous les néologismes anglais moches, parmi les pires est « negging », expression inventée par les dragueurs professionnels pour décrire un processus où on est censé attirer une femme en lui disant des choses négatives sur elle. Je vois que le français a importé ce terme. La théorie, telle que je la comprends, est qu’en quelque sorte, la cible voudra gagner l’approbation de la personne qui vient de la critiquer. Ça me semble un peu trop « échecs à 7 dimensions » — mais j’étais étonné de voir que Proust avait exactement cette idée il y a un siècle. Voici une partie d’un discours dirigé envers Odette :

« Ce qu’il faut savoir, c’est si vraiment tu es cet être qui est au dernier rang de l’esprit, et même du charme, l’être méprisable qui n’est pas capable de renoncer à un plaisir…tu n’es même pas une personne, une créature définie, imparfaite, mais du moins perfectible. Tu es une eau informe qui coule selon la pente qu’on lui offre, un poisson sans mémoire et sans réflexion… »

Mais Odette ne le prend pas au sérieux :

À défaut du sens de ce discours, elle comprenait qu’il pouvait rentrer dans le genre commun des « laïus » et scènes de reproches ou de supplications dont l’habitude qu’elle avait des hommes lui permettait, sans s’attacher aux détails des mots, de conclure qu’ils ne les prononceraient pas s’ils n’étaient pas amoureux, que du moment qu’ils étaient amoureux, il était inutile de leur obéir, qu’ils ne le seraient que plus après

Swann doit passer un certain temps sans Odette, car elle voyage avec les Verdurin, et ça lui rend fou :

Certains jours, au lieu de rester chez lui, il allait prendre son déjeuner dans un restaurant assez voisin dont il avait apprécié autrefois la bonne cuisine et où maintenant il n’allait plus que pour une de ces raisons à la fois mystiques et saugrenues, qu’on appelle romanesques ; c’est que ce restaurant (lequel existe encore) portait le même nom que la rue habitée par Odette : Lapérouse.

Est-ce que je vous dis assez souvent le point auquel je n’en peux plus de Swann ? Non, ce serait impossible.

Il me semble presque inutile d’ajouter qu’Odette ne le traite comme une relation sérieuse. Après tout, elle ne veut même pas le voir devant d’autres personnes :

Bien qu’elle ne lui permît pas en général de la rejoindre dans des lieux publics, disant que cela ferait jaser

Ça ne l’empêche pas de — excusez-moi, je vais vomir — lui demander de l’argent pour voyager avec les Verdurin :

Elle lui écrivit que les Verdurin et leurs amis avaient manifesté le désir d’assister à ces représentations de Wagner, et que, s’il voulait bien lui envoyer cet argent, elle aurait enfin, après avoir été si souvent reçue chez eux, le plaisir de les inviter à son tour. De lui, elle ne disait pas un mot, il était sous-entendu que leur présence excluait la sienne.

Swann dit non, mais où sommes-nous dans la codépendance toxique à souhaits ? Les deux passent tout leur temps en se méprisant, l’un de l’autre ; pourtant, il ne peut la quitter pour rien, malgré le fait qu’il pense à elle comme juste un objet, et elle — je ne sais toujours pas si elle aime quoi que soit chez Swann au-delà de son argent.

Je ne peux pas vous dire si ce sont les personnages littéraires dont j’ai le plus envie de les gifler. Pourquoi ? Parce que ça fait trop longtemps depuis la fois où j’ai lu Le Rouge et le Noir. Mais le concours entre ces deux et Julien Sorel pour les palmarès de personnage le plus énervant de la littérature est si, si serré. À un millimètre près. Si vous n’êtes pas d’accord, vos suggestions sont les bienvenues.

De toute façon, je n’ai rien à citer des 30 dernières pages que j’ai lues. Pourquoi ? Parce qu’il me semblait que Swann allait finir par donner l’argent à Odette après tout. J’en reste convaincu. Mais nous sommes passés à une série de pensées obsessives sans fin qui avait lieu complètement dans la tête de Swann : elle est fidèle, elle ne l’est pas ; elle veut le quitter, elle ne le veut pas. Toute ce dont je suis certain, c’est qu’Odette n’a pas envie d’être liée à Swann, mais n’a pas de problème à être liée soit à Forcheville soit au baron de Charlus, un ami de Swann qui rend visite à Odette à chaque fois où Swann le lui demande.

J’ai l’impression que tout se passe dans le passé par rapport à Swann, et qu’il finira par donner l’argent du voyage. Je vous ai dit, je le connais trop bien !

13 réflexions au sujet de « Dimanche avec le baron de Charlus »

  1. Avatar de James JonesJames Jones

    Je commence à croire que Proust a créé les « soap opera » (c’est comme ça qu’on les appelle, les séries à rallonge… Très longues ?).
    Entre un air de murder party au cyanure, peinture au vitriol, dialogue digne des « Feux de l’amour », et du toxique relationnel « en veux-tu, en voilà »…
    J’adore votre série d’articles dessus !
    C’est punchline d’office 😁, et au moins, ça fait carrément oublier la version (ou vision) scolaire qu’on en avait à l’école…

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    1. Avatar de Justin BuschJustin Busch Auteur de l’article

      Je dirais qu’il est aussi responsable d’inspirer les séries japonaises sans fin telles que Dragon Ball et One Piece, ou des épisodes entiers se passent sans que l’intrigue avance même d’un iota !

      Au fait, je viens de remarquer une douzaine d’erreurs dans les trois derniers paragraphes, et de les corriger. Oups ! Mes excuses.

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