Dimanche avec M. de Norpois

On commence pour la première fois de ma vie un tome de Proust autre que « Du côté de chez Swann ». Cette semaine, c’est « À l’ombre des jeunes filles en fleurs », ou comme dit ma version « Within a Budding Grove », un titre qui ne mentionne ni ombres ni filles. Peut-être que l’on dirait « Dans un bosquet en fleurs ». Mais où est donc passées nos madeleines ?

Deuxième tome de La Recherche en anglais, "Within A Budding Grove"

J’ai fait la boulette des boulettes en cuisine. Avec chaque nouveau tome, il y aura de nouvelles madeleines — au moins, c’était le plan. Quand j’ai fait le lot original, c’était un peu d’une urgence à cause d’un autre dessert raté pour un événement. Mais avec du recul, j’ai décidé que ce serait ma façon de fêter le changement de tomes. Mais mon moule est en métal et, euh… il ne faut pas tremper les madeleines dans du chocolat dans un tel moule. Elles colleront une fois le chocolat figera. Je suis si bête parfois. Pour ce qu’il vaut, elles sont autrement excellentes. Mais pas pour ce post. Je les referai et posterai la recette pendant la semaine à venir, mais ô, que je sois con.

Alors, le livre. On se lance dans les 30 premières pages de la première partie, dite « Autour de Mme Swann », ou en version anglaise « Mme Swann à la maison ». Avez-vous jamais vu le film Dark City, sorti en 1998 ? Là, des extra-terrestres ont capturé une cité d’êtres humains, et pour les comprendre, ils font des expériences où ils changent les souvenirs des humains à chaque fois où ces derniers dorment. Ils changent tout — leurs noms, leurs métiers, etc. Alors, bien que la distribution paraît être le même, un observateur remarquerait que tout change entre les personnages, tous les jours. L’intrigue se déroule autour de ce qui arrive quand les humains se rendent enfin compte.

Bienvenue donc dans Dark City, version Prix Goncourt. Dès la première page, on revient dans l’enfance du narrateur, avec ses parents, Swann, et leurs dîners — mais tout à coup, tout le monde se comportent de façon différente, même contradictoire par rapport aux faits comme nous les connaissons avant :

Ma mère, quand il fut question d’avoir pour la première fois M. de Norpois à dîner, ayant exprimé le regret que le Professeur Cottard fût en voyage et qu’elle-même eût entièrement cessé de fréquenter Swann… Swann, avec son ostentation, avec sa manière de crier sur les toits ses moindres relations, était un vulgaire esbroufeur.

Nous avions entendu parler qu’après son mariage, les parents avaient vu moins de Swann, pas cessés de le fréquenter. Et ce comportement de crier sur les toits est complètement hors ce que nous en avions entendu parler pendant 600 pages déjà. Et Cottard, qu’est-ce qu’il fait ici ? Il faisait partie de la bande aux Verdurin !

Il faut dire que Proust se contredit tout de suite, disant « certaines personnes se souvenant peut-être d’un Cottard bien médiocre et d’un Swann poussant jusqu’à la plus extrême délicatesse, en matière mondaine, la modestie et la discrétion ». Mais Proust s’efforce évidemment de nous faire douter. Ne vous inquiétez pas, c’est au tour de Cottard de subir des calomnies aux mains du narrateur :

Partout, sinon chez les Verdurin où il redevenait instinctivement lui-même, il se rendit froid, volontiers silencieux, péremptoire quand il fallait parler, n’oubliant pas de dire des choses désagréables.

C’est qui notre nouveau personnage, M. de Norpois ?

Il avait été ministre plénipotentiaire avant la guerre et ambassadeur au Seize Mai, et, malgré cela, au grand étonnement de beaucoup, chargé plusieurs fois, depuis, de représenter la France dans des missions extraordinaires… par des cabinets radicaux qu’un simple bourgeois réactionnaire se fût refusé à servir

C’est toujours Proust alors juste après cette note Talleyrandesque, il nous apprend que :

il s’était imbu de cet esprit négatif, routinier, conservateur, dit « esprit de gouvernement » et qui est, en effet, celui de tous les gouvernements et, en particulier, sous tous les gouvernements, l’esprit des chancelleries.

Proust décrit la relation entre ses parents de façon certaine de scandaliser les oreilles modernes. Je ne la reconnais certainement pas :

elle avait conscience de remplir celui de ses devoirs qui consistait à rendre la vie agréable à son époux, comme elle faisait quand elle veillait à ce que la cuisine fût soignée et le service silencieux.

M. de Norpois se révèle enfin utile au narrateur pour 2 raisons : 1) il convainc ses parents de lui laisser voir la Berma (une actrice fictive qui joue dans une œuvre de Racine), et 2), il dit à son père de laisser le narrateur poursuivre une carrière d’écrivain.

Il suit une douzaine de pages d’extases sur le fait d’aller au théâtre, malgré le fait que son médecin avait conseillé ses parents qu’il tomberait à nouveau malade s’il sortait. C’est fatigant sans que rien se passe vraiment, alors j’ai arrêté juste avant que le prochain dîner avec de Norpois n’arrive.

Plus ça change, comme on dit. On est dans un nouveau tome, mais c’est la même attitude chez le narrateur — chanter les louanges de ceux qu’il trouve utiles, et calomnier le reste. Je suis surpris qu’il survivra pendant 5 tomes de plus !

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