Dimanche avec la Berma

On reprend maintenant « À l’ombre des jeunes filles en fleurs ». Cette fois je n’ai avancé que de 30 pages. Mais quelles pages — ça fait des mois où j’ai envie de voir le melon du petit prétentieux dégonfler, et il reçoit enfin la fessée qu’il mérite !

On revient d’abord sur le fait que Swann et Odette se sont mariés, ce que M. de Norpois avait trouvé impossible la dernière fois. (Quoi, il n’avait pas lu « Du côté de chez Swann » ?) Proust décrit la situation de façon curieuse :

Presque tout le monde s’étonna de ce mariage, et cela même est étonnant…elle connaissait à fond ces traits du caractère que le reste du monde ignore ou ridiculise et dont seule une maîtresse, une sœur, possèdent l’image ressemblante et aimée.

La connaissance que seulement une maîtresse ou une sœur posséderaient, mais pas une épouse ? C’est sans doute un choix exprès. J’imagine que c’est un commentaire sur le mariage en tant qu’institution. Mais l’on n’y entre pas seulement pour de mauvaises raisons, Marcel.

Mais comme souvent, dès que je gronde Proust pour être trop cynique, il me dit que je ne le suis pas assez :

on peut dire que si Swann épousa Odette, ce fut pour la présenter elle et Gilberte… à la duchesse de Guermantes.

Le mariage n’est que pour garantir que sa fille peut être arriviste ? Il me faut croire que Proust fait ça juste pour me faire applaudir quand nous apprenons que :

On verra comment cette seule ambition mondaine qu’il avait souhaitée pour sa femme et sa fille fut justement celle dont la réalisation se trouva lui être interdite, et par un veto si absolu que Swann mourut sans supposer que la duchesse pourrait jamais les connaître. On verra aussi qu’au contraire la duchesse de Guermantes se lia avec Odette et Gilberte après la mort de Swann.

Est-ce une promesse ? Il va tuer ce type après m’avoir infligé 500 pages de ses hésitations ? Aww, Marcel, beaucoup sera pardonné — si seulement vous tiendrez cette promesse !

Tout à coup, on revient dans la réalité immédiate, où le narrateur est toujours au même dîner avec son père et M. de Norpois. Il se passe que le mari de la duchesse, lui-même comte de Paris, avait vu Odette dans une gare et :

quand par hasard la conversation amenait son nom, à de certains signes, imperceptibles si l’on veut, mais qui ne trompent pas, le Prince semblait donner assez volontiers à entendre que son impression était en somme loin d’avoir été défavorable.

Vraiment ! Loin d’être défavorable ? Est-ce qu’il y a juste une personne dans ce milieu qui dit ce qu’elle pense ? De façon claire ? Je demande trop, c’est ça ?

En fait, M. de Norpois est sur le point de se racheter dans mes yeux, avec un avis fort qui blessera la petite ordure. Vous souvenez-vous des angoisses du premier tome sur son héros, un écrivain nommé Bergotte ? Le narrateur demande à de Norpois sur Bergotte, et entend :

Bergotte est ce que j’appelle un joueur de flûte… Jamais on ne trouve dans ses ouvrages sans muscles ce qu’on pourrait nommer la charpente… Toutes ces chinoiseries de forme, toutes ces subtilités de mandarin déliquescent me semblent bien vaines.

Oh, M. de Norpois, comme je vous aime. Cependant, le meilleur est à venir. Le narrateur exprime l’espoir que de Norpois parlera de lui à Mme Swann, afin de donner un meilleur avis de lui à Gilberte (la fille des Swann), mais entre ses avis insuffisamment positif de la Berma (l’actrice qu’il est allé voir au théâtre) et trop positif de Bergotte :

Et je compris que cette commission, il ne la ferait jamais, qu’il pourrait voir Mme Swann quotidiennement pendant des années, sans pour cela lui parler une seule fois de moi.

HAHAHAHAHAHA !

M. de Norpois part, et le père du narrateur lui montre une critique dans le journal où il a lu que la représentation dont il n’avait pas profité était « l’occasion d’un triomphe comme elle en a rarement connu de plus éclatant au cours de sa prestigieuse carrière ». Il ne sait rien !

Équipe de cette info, tout à coup le narrateur changé d’avis sur la Berma, au point où :

Françoise me fit arrêter, au coin de la rue Royale, devant un étalage en plein vent où elle choisit, pour ses propres étrennes, des photographies de Pie IX et de Raspail, et où, pour ma part, j’en achetai une de la Berma. Les innombrables admirations qu’excitait l’artiste donnaient quelque chose d’un peu pauvre à ce visage unique qu’elle avait pour y répondre,

Je patientais pour ce moment. Pendant tout le premier tome, à chaque fois où le narrateur pleurnichait, quelqu’un avait hâte de le gâter. À chaque fois où nous avions dû subir ses avis, personne ne l’a contredit. Maintenant, la vie le gifle directement dans le visage pour son attitude, et franchement, je suis là pour ça.

9 réflexions au sujet de « Dimanche avec la Berma »

  1. Avatar de AnagrysAnagrys

    Un tout petit détail, je ne sais pas si Proust le mentionne directement (j’avoue ne pas avoir le ce livre…), le Comte de Paris est l’héritier officiel du trône de France du côté des Orléanistes, ce qui fait quand-même du beau monde !
    Il reste en France une petite poignée de royalistes, et ils arrivent à ne pas être d’accord sur le nom de la personne qu’ils voudraient voir sur le trône, les légitimistes cherchent du côté de la famille royale espagnole, qui descend de Louis XIV (quand la branche d’Orléans descend de Louis XIII, si je ne m’abuse).

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    1. Avatar de Justin BuschJustin Busch Auteur de l’article

      Ah non, Proust n’a pas mentionné cela — directement. Mais ça explique pourquoi le comte est aussi dit parois « le prince » dans le récit, et sa femme « la princesse », des détails qui m’avaient échappé jusqu’à ce point. Alors merci !

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  2. Avatar de BillieBillie (IEQH)

    La phrase sur le melon du petit prétentieux que l’on souhaite voir dégonfler depuis des mois m’a pliée, elle-ci aurait limite sa place dans un beau cadre.
    Proust m’énerve. Souvent je ne comprends pas les extraits que vous partagez ou bien je les interprète de travers. J’imagine que c’est normal car son français est plus chic et ancien que le mien mais purée que ça m’agace.

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    1. Avatar de Justin BuschJustin Busch Auteur de l’article

      J’ai commencé par le lire uniquement en anglais, car la traduction avait été un cadeau, mais même si je lis les deux versions en parallèle, il serait impossible pour moi de tenter l’affaire uniquement en français. Je peux toujours trouver le bon équivalent entre les deux, mais le texte original est largement écrit dans le passé antérieur, ce qui me fait mal à la tête.

      Mais je l’avoue, je tire un certain plaisir d’écrire ces billets pour m’en plaindre !

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      1. Avatar de BillieBillie (IEQH)

        Hahaha moi j’avoue aimer lire ces billets, même si c’est un peu sadique!
        Il y a 3 ans j’ai lu Zothique de Clark Ashton Smith (un copain de Lovecraft). C’est un recueil de nouvelles d’horreur et j’avais trouvé le style agréable à lire en français. Aparement il y a eu un re-travail de traduction dessus donc j’imagine que le texte original est écrit dans un style moins fluide.

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      2. Avatar de BillieBillie (IEQH)

        Je préfère aussi son univers à celui de Lovecraft! J’ai aussi lu Averoigne mais j’ai préféré Zothique. Hahaha je ne suis pas étonnée pour le style original, en tout cas en français c’est top!

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