Portrait de Molière par Nicolas Mignard

Langue du livre

J’ai décidé qu’au lieu de ce que j’avais planifié pour Langue de Molière cette semaine, quelque chose qui énerve La Fille, je vais fêter l’achèvement du manuscrit avec une collection des erreurs les plus souvent remarquées par les lecteurs. J’étais déjà au courant de certaines, mais j’ai appris des choses en lisant ce que les autres ont trouvé.

Il faut commencer avec une faute assez remarquée que dans ma note pour remercie les lecteurs, j’ai mentionné que « je n’écrirai plus jamais ‘aux deux côtés’». J’ai écrit ça 24 fois dans le manuscrit original (non, je n’ai pas gardé de statistiques à cet égard ; c’était juste facile de chercher le document corrigé). Il est facile de dire d’où vient cette erreur : c’est de l’anglais, si de façon un peu indirecte. Au passé, je vous ai dit — dans la deuxième Langue de Molière ! — qu’en général, « à » se traduit par « to » et « de » par « from ». Mais on peut rendre les choses de façon encore plus générale en disant que ces mots se traduisent par une variété d’autres mots qui indiquent une direction. Et là, « à » veut souvent dire « envers » son objet, et « de » signifie que l’on s’éloigne de son objet. C’est donc très bizarre pour moi de penser que l’on dirait jamais « des deux côtés ». Mais je peux vous rassurer que c’est bien pris en compte.

Une autre erreur avec une longue histoire sur ce blog, ainsi que dans mon manuscrit, c’est de confondre « dans l’esprit », ce qui est une traduction très exacte de l’anglais « in the spirit », et pleinement correct dans une phrase tel que « dans l’esprit de ses autres films », avec « venir à l’esprit », ce qui se traduit par « comes to mind ». (Voilà, encore une fois l’équivalence entre « à » et « to ».) Je doute que j’aie jamais lu « venir dans l’esprit » écrit par un Français. Et pourtant, il était une fois, c’était correct. Le Robert cite une ancienne définition de pensée, datant du XVIIe siècle :

Tout ce qui vient dans l’esprit, dans l’imagination, dans la memoire.

Définition de pensée

Voulez-vous un exemple plus concret ? Voilà, d’un sermon de Bernard de Clairvaux :

Il me vient dans l’esprit quelque chose de semblable dans l’Evangile.

Sermon LVIII

Bien sûr, il a prêché au XIIe siècle ; l’accueil du site au lien dit que c’est une traduction de 1866, plus récent que le XVIIe siècle. Peut-être que La Fille n’a pas tort de dire que je viens de l’époque des dinosaures et de George Washington.

Et en parlant de cette dernière phrase, quelque chose que je remarque en tant que linguiste depuis très longtemps : l’usage de « de » dans « l’époque des dinosaures et de George Washington » ou de « en » dans « en marchant et en prenant le métro » n’est pas toujours cohérent. En anglais, on ne répéterait presque jamais les mots équivalents : on pourrait écrire « the time of the dinosaurs and of George Washington », mais répéter « of » comme ça a l’air ringard. Je vois souvent des Français qui font pareil à l’anglais, mais vu les retours, je dirais que c’est probablement une faute. Au maximum, j’ai corrigé ça pour répéter les prépositions comme vous voyez ici.

La dernière chose que j’évoquerai, c’est plus une question de style qu’une erreur en soi. Je connais, et j’utilise parfois moi-même, des phrases qui commencent par « Inutile de » ; en parlant du ciné, j’ai écrit : « Inutile de me citer des exceptions ; nous parlons de tendances. » Mais autrement, il me semblait qu’il fallait en général utiliser un verbe avec ces choses : « Il est impossible de… », etc. Ça dérange mes oreilles, mais j’ai reçu un nombre de commentaires pour me dire d’écrire plutôt « Impossible de… ». Je l’ai fait autant que possible, mais dans une langue qui ne laisse pas tomber les prépositions comme ci-dessus, ça m’étonne.

Langue de Molière vous reverra la semaine prochaine pour parler enfin des plaintes de La Fille.

7 réflexions au sujet de « Langue du livre »

  1. Avatar de Bernard BelBernard Bel

    Dans l’expression « l’époque des dinosaures et de George Washington » on ne pourrait pas supprimer le « de » car le « des » est au pluriel, donc pas accordé à une personne. Mais il y a une autre raison de répéter les prépositions en français, y compris dans une expression comme « près des hommes et des femmes » où elles sont identiques. Si on supprime la deuxième préposition, c’est pour faire apparaître une association rigide, comme dans « un film en noir et blanc » où l’on signifie que le noir et le blanc sont toujours associés.

    J’ai failli donner comme exemple « un film d’art et essai » alors que l’usage est plutôt « un film d’art et d’essai ». Sauf si on écrit « un film d’Art et Essai » en référence à l’Association Française des Cinémas Art et Essai

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  2. Avatar de AnagrysAnagrys

    Attention Justin, vous ne parlez pas ma foi de Foix en Ariège, mais plutôt de fois.

    Sinon, le sujet des prépositions me fait penser à une forme que j’aime bien, aussi humoristique que peu canonique, qu’on trouve notamment dans quelques chansons de Renaud : « Alors elle va manger une pizza au jambon et au centre commercial ».
    Notez que le « au » est répété et que son absence n’aurait pas de sens. Le côté humoristique vient de l’apposition « et » entre le jambon et le centre commercial, qui relie deux éléments sans aucun rapport. Une version correcte serait de remplacer ce « et » par une virgule, mais ça serait moins drôle (et ça ne collerait pas avec la métrique de la chanson)(« Le retour de la pépette », Renaud).

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    1. Avatar de Justin BuschJustin Busch Auteur de l’article

      Ah non, ma fille n’est pas tombée malade ! J’avais écrit dans la Langue de Molière précédente que cette semaine serait consacrée à sa plus grande plainte sur la grammaire française. Puis j’ai changé d’avis car j’avais un tas de choses sous la main. Mais c’est gentil de penser à elle comme ça !

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