Avant de me lancer dans le prochain « Dimanche avec Marcel », il faut que je vous dise que je viens de découvrir que Proust dit beaucoup plus tard dans La Recherche :
Laissons les jolies femmes aux hommes sans imagination.
Ouest-France Citations
Ce « laissons » à l’impératif doit être le truc le plus drôle du livre entier. C’est comme si j’écrivais « Des hommes de bon jugement en affaires amoureuses, dont moi ». De toute façon, j’ai avancé de 25 pages.
La dernière fois, notre narrateur de génie vient de nous dire qu’il a décidé de quitter Gilberte à jamais, ce que je trouvais bête et impulsif. Naturellement, un paragraphe après la phrase où j’avais arrêté, il dit :
je revins… sentant que je ne pourrais retrouver la respiration qu’en rebroussant chemin, qu’en retournant sous un prétexte quelconque auprès de Gilberte. Mais elle se serait dit : « Encore lui ! Décidément je peux tout me permettre, il reviendra chaque fois d’autant plus docile qu’il m’aura quittée plus malheureux. »
Avec ça, c’est clair que Proust a découvert la friend zone un siècle avant que l’émission Friends l’a vulgarisée. Je peux donc presque comprendre son choix. Cependant, tous les chiots languissants d’amour du monde — dont moi — reviendraient quand même. Comment est-ce que Proust ne le sait pas ?
Puis, le narrateur nous mentionne :
les brouillons de lettres contradictoires que j’écrivis à Gilberte.
Faites pas ça, con. Ne me demandez pas pourquoi je le sais. Mais brûlez-les et oubliez cette idée le plus vite possible. Punaise, il va envoyer l’une de ces lettres, j’en suis sûr.
Je venais d’écrire à Gilberte une lettre où je laissais tonner ma fureur…. un instant après, le vent ayant tourné, c’était des phrases tendres que je lui adressais
Merde. Il suit des réflexions sur l’auto-illusion de quelqu’un qui galère à comprendre qu’il n’y a plus d’espoir pour sa relation, mais si j’ai bien compris, ça ne va pas l’épargner d’une erreur catastrophique. N’envoyez jamais de lettres dans une telle situation.
(Au cas où ce n’est pas clair, quelqu’un aurait dû m’arracher l’enveloppe.)
Dois-je vous dire qu’il essaye de la voir le lendemain ? Elle n’est pas là, et il s’avère que c’est même vrai, mais cette nouvelle donne lieu à des pages de fantasmes qu’en fait, avec un peu de distance, c’est elle qui jouera le chiot languissant et reviendra avec des excuses. Il commence à attendre tous les jours à une lettre de Gilberte, qui n’arrive jamais. Sûrement, c’est juste que La Poste l’a perdue, comme une autre carte postale plus récente dont je vous ai parlé. (Tout à coup, si vous n’aviez pas compris ce qui s’est passé, tout devrait être clair.)
Pour les femmes qui ne nous aiment pas, comme pour les « disparus », savoir qu’on n’a plus rien à espérer n’empêche pas de continuer à attendre.
Quittez ma tête, Marcel. Je me demande toujours, au moins une fois par jour, ce que j’ai fait à quelqu’un à mes 17 ans pour qu’elle préfère ne pas aller au dernier bal scolaire qu’aller avec moi. Cette partie était dur à lire.
Mais il commence à faire quelque chose avec lequel je ne peux pas sympathiser. Plutôt que chercher Gilberte, il va chez les Swann pour voir sa mère. Ouais, Odette de Crécy elle-même. Sûrement j’hallucine. Quel garçon ferait pareil ?
L’une de ces visites est enfin récompensé, à un moment quand Mme Swann a aussi une autre invitée, Mme Bontemps :
« Je crois qu’elle vous a écrit pour que vous veniez la voir demain… »
« Non, je lui écrirai un mot ce soir. Du reste, Gilberte et moi nous ne pouvons plus nous voir », ajoutais-je, ayant l’air d’attribuer notre séparation à une cause mystérieuse…
« Vous savez qu’elle vous aime infiniment, me disait Mme Swann. Vraiment vous ne voulez pas demain ? »…
Je craignais qu’en me revoyant Gilberte pensât que mon indifférence de ces derniers temps avait été simulée et j’aimais mieux prolonger la séparation.
Voilà, un autre moment je-n’en-peux-plus. On lui propose exactement ce qu’il cherchait, et il préfère jouer à un jeu stupide.
Mais ce n’est pas sur Gilberte que nous finissons cette fois. Il se passe que pendant cette même visite, les Verdurin rentrent dans l’histoire, ce même couple qui avait apparemment renvoyé Charles Swann pendant le premier tome. Maintenant, puisqu’Odette a commencé à établir son propre salon, et reçoit ses propres invités, même Mme Verdurin ne peut pas résister à leur rendre visite :
Seul aussi d’ailleurs il était présenté par Odette, qui préférait que Mme Verdurin n’entendît pas de noms obscurs et, voyant plus d’un visage inconnu d’elle, pût se croire au milieu de notabilités aristocratiques, calcul qui réussissait si bien que le soir Mme Verdurin disait avec dégoût à son mari : « Charmant milieu ! Il y avait toute la fleur de la Réaction ! »
Que tous ces personnages jouent à des jeux stupides !

Il n’aurait pas inventé « Les feux de l’Amour » avant l’heure, ce cher Proust 😸?
C’est limite la version des Inconnus sur les Soap Opera dites 🤣
Quand je vois le titre, je sens que je vais avoir le sourire pour la journée ^^
Merci beaucoup Justin pour cette analyse de l’œuvre de Marcel.
Si j’aurais pu lire une telle analyse étant jeune, je pense que j’aurais pu lire ce livre à l’époque.
Sa longueur m’avait rebuté (les joies des lectures scolaires imposées…).
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Je suis admirative Justin pour vos lectures et vos résumés !
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Je n’aurais qu’un mot: BERK.
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Tu m’as bien fait rire !🤣Excellent billet🥳
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