Dimanche avec Elstir

On reprend maintenant  » À l’ombre des jeunes filles en fleurs ». Cette fois, j’ai avancé de 30 pages.

Notre héros, enfin debout après sa nuit d’ivresse, fait l’enquête parmi les clients de l’hôtel sur les identités des filles qu’il avait vues à la plage. Personne ne sait rien. Il lui semble :

Qui eût pu connaître maintenant en elles, à peine mais déjà sorties d’un âge où on change si complètement, telle masse amorphe et délicieuse…

Personne ne sait rien pour la même raison que l’on ne trahit pas des innocents à Jeffrey Dahmer !

Pendant un autre dîner à Rivebelle avec Saint-Loup, le narrateur aperçoit un artiste, une connaissance de Swann, qu’il ne reconnaît vraiment pas, mais qui attire son attention.

Un soir que nous demandions au patron qui était ce dîneur obscur, isolé et retardataire : « Comment, vous ne connaissez pas le célèbre peintre Elstir ? » nous dit-il.

Naturellement, nos deux arrivistes doivent en profiter :

Mais attardés à un âge où l’enthousiasme ne peut rester silencieux… nous écrivîmes une lettre signée de nos noms, où nous dévoilions à Elstir dans les deux dîneurs assis à quelques pas de lui deux amateurs passionnés de son talent, deux amis de son grand ami Swann, et où nous demandions à lui présenter nos hommages.

Je me souviens aussi d’une époque quand on passait des notes par des intermédiaires à d’autres personnes dont on avait envie de les flatter. Ça s’appelle les années lycéennes. Bravo, les gars.

Cependant, contre toute attente, ça marche :

Il ne m’en demanda pas moins d’aller le voir à son atelier de Balbec, invitation qu’il n’adressa pas à Saint-Loup

Encore une fois, le narrateur a cette idée curieuse où il faut renoncer exactement aux gens autour de soi qui l’aiment :

Peut-être alors vécut-il seul, non par indifférence, mais par amour des autres, et, comme j’avais renoncé à Gilberte pour lui réapparaître un jour sous des couleurs plus aimables, destinait-il son œuvre à certains, comme un retour vers eux, où sans le revoir lui-même, on l’aimerait, on l’admirerait, on s’entretiendrait de lui…

Je ne sais pas ; je pensais avant de lire Proust que si on aimait un autre, on faisait des efforts pour le garder proche. Mais c’est dans ce contexte qu’il reprend la chasse aux Mademoiselles Simonet, sans avoir la moindre idée de qui il parle. Sérieusement.

je n’eus jamais la certitude absolue qu’aucune d’elles — même celle qui de toutes lui ressemblait le plus, la jeune fille à la bicyclette — fût bien celle que j’avais vue ce soir-là au bout de la plage, au coin de la rue…

À partir de cet après-midi-là, moi, qui les jours précédents avais surtout pensé à la grande, ce fut celle aux clubs de golf, présumée être Mlle Simonet, qui recommença à me préoccuper…

Mais c’est peut-être encore celle au teint de géranium, aux yeux verts, que j’aurais le plus désiré connaître.

La réunion des amis de Stephen Stills recommencera bientôt.

Dois-je vous dire qu’encore une fois, il va sacrifier quelque chose d’important pour chasser aux jupes ? Nan, il le fera pour moi !

Ma grand’mère, à qui j’avais raconté mon entrevue avec Elstir et qui se réjouissait de tout le profit intellectuel que je pouvais tirer de son amitié, trouvait absurde et peu gentil que je ne fusse pas encore allé lui faire une visite. Mais je ne pensais qu’à la petite bande…

De toute façon, vous souvenez-vous qu’il vient de mentionner « celle aux clubs de golf » ? Quelle surprise, ses nouveaux loisirs :

Ma grand’mère me témoignait, parce que maintenant je m’intéressais extrêmement au golf et au tennis et laissais échapper l’occasion de regarder travailler et entendre discourir un artiste qu’elle savait des plus grands, un mépris qui me semblait procéder de vues un peu étroites.

Bravo, la grand-mère ! Elle a du sens. Et puisqu’il écoute toujours la dernière personne à qui il parlait :

Je dus finir par obéir à ma grand’mère avec d’autant plus d’ennui qu’Elstir habitait assez loin de la digue

Proust parle de ses tableaux de « le port de Carquethuit » et « les églises de Criquebec », et il semble que ces lieux n’existent pas. Tant mieux pour décrire en détail toutes les couleurs des eaux, de comment :

le peintre avait su habituer les yeux à ne pas reconnaître de frontière fixe, de démarcation absolue, entre la terre et l’océan.

Je ne sais rien des inspirations derrière le personnage d’Elstir, mais entre le manque de « frontière fixe », le milieu vaguement normand de Balbec, et son commentaire que :

l’effort d’Elstir de ne pas exposer les choses telles qu’il savait qu’elles étaient, mais selon ces illusions optiques dont notre vision première est faite, l’avait précisément amené à mettre en lumière certaines de ces lois de perspective

j’imagine que le tout est un argument pour l’impressionnisme de Monet et son cercle.

La visite au studio termine sur quelques pages de conversation entre le narrateur et Elstir sur les qualités artistiques de représentations du Jugement dernier dans les statues de plusieurs églises. Ça montre qu’Elstir est beaucoup plus d’un érudit que d’autres personnages que nous avons rencontrés au fil de ces livres (toux… Bergotte… toux), mais ce qui nous attend la prochaine fois, c’est qu’en sortant du studio, Mlle Simonet atteint enfin un prénom, un que nous avons déjà croisé il y a des mois. C’est peut-être la nièce des Bontemps, les amis de Mme Swann.

Albertine.

3 réflexions au sujet de « Dimanche avec Elstir »

  1. Avatar de BillieBillie

    Je me suis souvenue d’une fois en quatrième (on avait 13-14 ans) où ma prof de français a intercepté une note et l’a lue à haute voix devant toute la classe. C’était très gênant.
    J’ai envie de filer des gifles au narrateur, il a une attitude très malsaine vis-à-vis des femmes.
    FUYEZ, ALBERTINE!!!

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  2. Avatar de C'est en lisant...C'est en lisant...

    À la lecture d’une de tes citations… je me demande ce que peut bien être un « teint de géranium »… Après recherche, j’espère que ce n’ est pas ce que j’ai trouvé : https://aucoeurdesracines.fr/baume-onguent-visage/baume-regenerant-au-geranium-rosat-30ml.html?srsltid=AfmBOopexFh0NmvrYx3umrYk53Nq2w7gzcAltJVyKTyI8QcyldRDfG6R
    parce que le pot est vert… Comme moi à l’idée de m’en tartiner la face !!!

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