Je n’allais toujours pas écrire cet article, sur mon écrivain préféré et son meilleur ami, mais peut-être que vous avez déjà entendu parler du fait que Mme Meloni est fan de l’écrivain britannique G.K. Chesterton. Et Tolkien. Ou pas. C’est tout à coup un « scandale » ici, car ça convient certains qui avaient déjà une dent contre les deux. Mais je ne trouve aucune mention dans Le Monde, Le Figaro, L’Obs, ou Libération, mes 4 sources habituelles pour un sondage vite de l’éventail des avis français. Néanmoins, je n’ai vraiment pas besoin d’excuse pour vous présenter M. Chesterton, l’écrivain qui m’a fait ce que je suis.

J’ai écrit « Le Chesterbelloc » car il est impossible de parler de M. Chesterton sans mentionner son ami Hilaire Belloc, et les deux étaient connus sous ce nom composé des leurs. On parlera plus de M. Belloc quand on atteindra ses Yvelines natales, sauf pour un poème bref.
Ces auteurs font partie d’un mouvement intellectuel en Angleterre de l’anglicanisme vers l’Église catholique. Ça a commencé avec la conversion du futur cardinal Saint-John-Henry Newman en 1845, et son autobiographie spirituelle, Apologia Pro Vita Sua. Ce livre est le modèle de tout ce que j’essaye d’être, et c’était une grande influence pour Chesterton et Belloc. De leurs tours, ce livre a aussi influencé Messrs Tolkien et C.S. Lewis.
Ce que tous ces auteurs ont en commun, à part de la foi catholique, c’est un sens de l’humour extrêmement français, mais en version également extrêmement britannique. Ça s’exprime en forme de jeux de mots, d’une façon que l’on ne trouve que rarement dans les œuvres de leurs contemporains. Ça les rend très difficiles à traduire.
M. Chesterton s’exprimait presque toujours avec des phrases paradoxales. Par exemple, dans sa propre autobiographie spirituelle, Orthodoxie, il parle de sa théorie de gouvernement (et c’est une métaphore — il n’était pas monarchiste) :
Carlyle was quite wrong; we have not got to crown the exceptional man who knows he can rule. Rather we must crown the much more exceptional man who knows he can’t.
Carlyle avait tort ; il ne faut pas couronner l’homme exceptionnel qui sait qu’il peut diriger le pays. Il nous faut plutôt couronner l’homme beaucoup plus exceptionnel qui sait qu’il ne le peut pas.
Orthodoxie, Chapitre 7, Traduction la mienne
Dans mon roman préféré, Le Napoléon de Notting Hill, il imagine un Royaume-Uni de l’avenir, où il n’y a plus une famille Windsor, mais plutôt un roi choisi par loterie, selon la théorie que c’est plus égalitariste que hériter le trône, et combien de dégâts un mauvais roi peut-il faire ? Il s’avère que la réponse est « Pas mal ! », à cause du nouveau roi, qui a un sens de l’humour aussi absurde que Sartre ou Camus, ou bien Dalí. Il crée un nouveau système féodal selon lequel chaque quartier de Londres reçoit ses propres couleurs et ses propres titres. Tout le monde adulte sait que ce n’est qu’une blague pourrie.
Mais un jeune enfant, Adam Wayne, le prend tout au sérieux — et grandit à devenir conquérant du pays ! Chesterton vivait avant les philosophes existentialistes, mais après les pessimistes allemands comme Nietzsche et Schopenhauer (il écrivait souvent contre « le pessimisme allemand »), et son œuvre est une reproche à leur idée que rien n’a de valeur — qu’en fait l’esprit humain peut trouver de la signification même dans l’absurdité.
Mais je vous ai promis des jeux de mots. Peut-être mon préféré de M. Chesterton vient de son roman, L’homme qui était jeudi (ma traduction), publié en français sous le titre Le Nommé jeudi : un cauchemar. Dan ce roman, un policier, Gabriel Syme, s’infiltre dans un groupe d’anarchistes. Il dîne avec l’un de leurs agents et dit :
« Excuse me if I enjoy myself rather obviously! » he said to Gregory, smiling. « It is new to me for a nightmare to lead to a lobster. It is commonly the other way. »
« Excusez-moi si j’en profite de façon plutôt évidente ! » il a dit à Grégory en souriant. « C’est nouveau pour moi qu’un cauchemar m’amène à un homard. Il m’arrive communément dans l’autre sens. »
Le Nommé jeudi, Chapitre 2, Traduction la mienne
Hélas, ma traduction perd le rythme de son écriture, pour autant que ce soit fidèle. Mais peut-être que vous reconnaissez d’où vient certaines de mes habitudes !
Son ami Belloc était plutôt connu pour ses petits poèmes et épigrammes. Son plus célèbre était peut-être celui-ci écrit dans un livre satirique contre le colonialisme, The Modern Traveller (Le Voyageur moderne) :
Whatever happens, we have got / The Maxim gun, and they have not.
Quoi qu’il arrive, nous, on a / la mitrailleuse Maxim, et ils l’ont pas.
Traduction la mienne
J’en conclurai en vous laissant un indice. À part de leur humour, et leurs valeurs, ce que je trouve passionnant chez leur cercle est les histoires de conversions intellectuelles. C’est pas intéressant si on change de religion pour se faire marier. Je ne dis pas que c’est pas sincère, mais la raison est évidente. Mais ceux qui changent d’identité car ils viennent à croire en autre chose ? J’ai toujours hâte de le comprendre !
Cet article me persuade encore plus du fait qu’une langue caractérise une pensée et que toute traduction la nuance voire la modifie. Si on ajoute à ce fait les caractéristiques de l’humour d’une population… On perd encore de l’équivalence en passant d’une langue à l’autre… Mais il reste une perception, réelle quoiqu’approximative, d’un jeu de mots et du trait d’humour, de l’exercice humoristique. Se moquer étant universel, chez l’humain… ( chez l’animal, je l’ignore… Il m’a parfois semblé que mes chats se moquaient… ?) Merci pour avoir attiré notre attention sur ces auteurs et complété notre culture littéraire.
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S’il n’était pas à nouveau dans les journaux, j’aurais gardé cet article jusqu’au moment où je pouvais trouver l’un de ses romans en version française. Il avait apparemment le même traducteur pour beaucoup de ses œuvres au début du XXe siècle, et je suis sûr qu’avec de l’expérience, ce monsieur faisait de meilleur travail.
Je me souviens bien de mes premiers films, quand beaucoup de monde me prévenaient « L’humour sera trop français pour vous ». Je comprends ce qu’ils voulaient dire — le style est très lié à la langue — mais même si je ne le comprenais pas au même point, il y avait toujours quelque chose qui me parlait. Peut-être que j’avais juste de la chance d’aimer déjà les bons auteurs pour une telle transition !
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Finalement… Je me demande ce qu’est un « mauvais auteur » ? N’est-il pas plus facile de trouver des oeuvres que nous ne recommandons pas même chez un « grand auteur », c’est-à-dire un auteur célébré par une gloire internationale ayant dépassé son siècle… Sur Internet, les poètes fleurissent et certains textes d’inconnus m’émeuvent vraiment alors qu’à l’évidence leur auteur, ou -teure, peine à respecter l’orthographe dans ses remerciements aux commentateurs… Et je suis pourtant certaine d’avoir senti, perçu, reconnu la fibre poétique… Sur Netflix j’ai fait l’expérience d’écouter des humoristes de langue anglaise ( soutenue par les sous-titres bien sûr !) Et j’ai parfois vraiment ri… Peut-être a tort ! 🤔 Bref… La valeur d’un auteur comme l’effet d’un mot ne me paraissent estimables… qu’en fonction de notre culture personnelle. J’avoue que je ne connaissais pas du tout les auteurs qui ont eu tant d’importance pour toi, même si j’ai découvert que deux titres m’étaient familiers.
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