La sobriété de plaisir

Il y a une semaine, j’ai fait la connaissance d’un nouveau blog (à moi, mais l’autrice ne l’a lancé que fin 2023), « Ask Someone Else First« . Malgré le nom, c’est tout en français ; cependant, je me suis trompé au début que c’était le travail d’une expatriée américaine, car elle a parlé d’avoir été à New York. Je regrette l’erreur. Mais laissez tomber. L’un des premiers billets que j’ai lu là-bas a semé une graine chez moi, et je ne vais pas arrêter d’y penser à moins que j’ajoute mon propre grain de sel.

Dans « Je veux me souvenir de tout », elle a écrit avec passion et sensibilité sur une décision qu’elle a prise de baisser sa consommation d’alcool. Moi, je suis arrivé au même endroit, par un chemin très différent, mais c’est quelque chose dont je galère à l’expliquer à mes amis français. Et je regrette surtout n’avoir rien dit samedi soir.

Défense de boire, Photo par worker, Domaine public

C’est bien connu en Europe que nous n’avons pas le droit à boire de l’alcool jusqu’à nos 21 ans. C’est apparemment bien cru que nous cherchons tous de fausses cartes d’identité pour éviter cette interdiction. Pas moi. Ce n’est pas parce que je suis vertueux ou respectueux des lois ; je ne suis ici pour me vanter de rien. C’est tout simplement parce que ma plus grande peur depuis toujours est aller en prison, et surtout à cause de quelque chose que je n’ai pas fait.

Évidemment, si j’ai eu une telle carte, je l’aurais fait et aurais mérité quel que ce soit en tant que punition. Mais avec ma chance, j’aurais été condamné juste pour y avoir pensé. Ça valait mieux de l’éviter tout court.

Alors je n’ai jamais rien bu jusqu’à mes 18 ans, à l’université. Cette année-là, je vivait dans un dortoir avec un groupe d’étudiants dans leur dernière année d’études (n’oubliez pas que ça fait 4 ans aux États-Unis ; ils avaient donc tous leurs 21 ou 22 ans). Ils étaient tous ennuyés que je refusais absolument d’en prendre, rabat-joie que je suis. ([Ça n’a jamais changé. — M. Descarottes])

Un samedi soir, ils ont décidé de changer la situation. Ils ont promis d’arrêter de me harceler sur le sujet si je prendrais un verre avec eux. Mais saisissant l’opportunité, en sachant que je n’avais aucune idée du goût de ces choses, ils m’ont donné un cocktail, un « amaretto sour », enrichi avec assez d’alcool pour compter pour 4 verres. Ils avaient vraiment envie de me voir ivre.

Il s’avère que je ne répond pas à l’alcool comme la plupart du monde. Il me rend déprimé à partir du premier verre, et je me souviens très bien de chaque instant. Je perds le contrôle du corps comme tout le monde, mais l’esprit reste horriblement clair, juste déprimé. C’est donc une façon de me torturer. Mes ancêtres polonais et russes seraient certainement déçus que leur espèce de descendant ne peut même pas tenir un verre.

Ce soir-là, sans avertissement, quelques minutes après avoir vidé le verre, j’ai commencé à pleurer sans cesse. Je suis venu d’avoir été rejeté pour un rendez-vous par une fille (de nos jours, chercheuse en physique nucléaire ; toutes mes déceptions sont de qualité), alors j’ai répété encore et encore que tout le monde me détestait, que j’allais passer toute ma vie seule. Un des élèves m’a mis au lit.

Le lendemain, ils m’ont offert leurs excuses. Personne n’avait aucune idée que je réagirais de telle façon. Mais la leçon avait été bel et bien apprise.

Pour cette raison, je ne bois presque jamais rien. Pour certains dîners, vous voyez des bouteilles de vin ici. Je me permets exactement un verre à chaque fois, jamais plus que ça. Je peux apprécier le goût. Mais l’alcool ne m’apporte aucun plaisir, juste des cauchemars.

Alors, samedi soir. Tout ce que je vous ai raconté était la vérité. Mais je n’ai pas mentionné une chose. Au début de la soirée, l’hôte m’avait offert une flûte d’un vin pétillant (faut pas dire champagne pour ce truc californien), car c’était la première soirée tarot de la nouvelle année. Je l’ai acceptée, en croyant qu’un verre n’en serait pas trop. Mais il l’a rempli avant que je ne puisse le refuser. Puis on a fait son commentaire sur la galette pour ma copine imaginaire.

J’ai réussi à ne pas pleurer. Et tout s’est passé comme je vous ai dit. Mais je suis au courant que j’avais l’esprit déprimé. (Par contre, aucun alcool ne s’est impliqué dans les événements de vendredi soir.) J’ai la malédiction de me souvenir de tout. Mais l’alcool noircit tout, et c’est donc hyper-important que je l’évite. Je perds encore et encore ma guerre contre la bise, mais je dois leur faire comprendre qu’il ne me faut absolument pas participer à cette coutume.

15 réflexions au sujet de « La sobriété de plaisir »

  1. Avatar de C'est en lisant...les2olibrius

    C’est très rare de rencontrer quelqu’un qui me comprend quand je dis que je ne bois pas d’alcool. Mon gendre est de notre club… Immanquablement des gens qui nous connaissent depuis longtemps veulent remplir notre verre au cours d’un repas de famille. C’est vraiment vexant de lire non seulement de l’incompréhension mais aussi du mépris dans leur regard parce que nous revendiquons notre différence. Cette intolérance m’indispose autant que celle des gens qui parlent de leur religion ou de leur parti pris politique par prosélytisme ! Leur suffisance leur paraît justifiée par la foule des convertis. Ils n’arrivent même pas à comprendre que tu puisses être malade d’avoir bu ne serait-ce qu’un fond de verre et ils insistent ! Passe sans aucun d’entre eux un excellent mardi ! 🌈☀️

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    1. Avatar de AngeliqueMamy Horse

      Plus personne ne se permet de remplir mon verre depuis longtemps. De toute façon je le laisserai (boira qui veut).
      Ça peut sembler très impoli mais mon père est un alcoolique qui n’aime pas picoler seul. Du coup, je suis bien entraînée à dire NON d’un seul regard.

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  2. Avatar de Agatheb2kAgatheb2k

    Même chose, j’ai l’alcool triste, mais mon seuil de tolérance est plus élevé (3 kieliszek wódki, et là je parle polonais) que le tien. Aux repas officiels, je me limite à un verre de vin qui fait tout le repas et se sacrifie pas aux 3 couleurs, pas de mélanges !
    Ceci dit, je déteste que l’on m’oblige à boire plus que ma raison ne me l’autorise (en Pologne, tu retournes ton verre vide sur la table et c’est clair, on ne t’embête plus. Là-bas, les enfants d’alcooliques qui ont vécu l’enfer à la maison ne touchent pas à l’alcool, sauf par curiosité si tu es correct dans ta proposition de dégustation), et comme il y a quand même des boissons que j’aime (j’ai le souvenir des apéritifs au ti-punch chez une collègue dont le mari venait des Antilles), j’ai pour principe de ne pas en avoir à la maison…
    Certains ont fait la pari de proposer un mois de janvier sans alcool en France (=> https://dryjanuary.fr/) ce qui fait parler dans les chaumières, mais je vais quand même ouvrir une bouteille de vin blanc pour mes conserves de mousse de foies de volailles ! 😉

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  3. Avatar de AngeliqueMamy Horse

    Alors si ça peut te rassurer, je ne bois pas d’alcool et tant pis pour ce que les autres en disent/pensent.
    D’abord, je n’aime pas le vin, ni la bière, encore moins la gnole locale. J’aime le thé 😋☕.
    Chacun son truc.

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  4. Avatar de vanadze17vanadze17

    D’accord avec le fait que je déteste aussi les gens qui insistent pour vous servir quand vous dites Non ! Pour moi, c’est impoli d’insister.
    Perso, je bois un petit peu de vin, dans les grandes occasions ou au restaurant. Je n’aime pas les alcools forts, sauf un fond de verre de cognac, c’est ma région, mais pas souvent et en bonne compagnie !

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  5. Avatar de shannon75S.S.

    Merci Justin pour le partage de mon billet ! Au début, je disais que je ne buvais pas et c’était incompris, aujourd’hui, je m’en fiche complètement de ce qu’on pense de moi, je pense à ma santé avant tout. L’alcool ne réussit à personne, c’est la deuxième cause de mortalité en France et ça pourrait être évité. C’est une drogue légale qu’on trouve partout, très difficile de se sevrer pour un alcoolodépendant. On vit mieux sans ! Merci pour ton témoignage 🙂

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