Le jour où je me suis convertie, par Claire Koç

En 2022, je vous ai parlé de l’un des livres les plus importants de ma vie, Claire, le prénom de la honte. À l’époque, j’ai dit que « [Q]uant au dernier chapitre, c’est rien d’autre que La Marseillaise moderne » et en ai conclu en disant que « c’était l’histoire de mes propres pensées ». Après avoir lu ce livre, qui est sorti en novembre de l’année dernière, je peux donner le résumé en une phrase :

En tout ce qui compte, elle parle pour moi.

Avant de continuer, je vous ai dit au passé que l’une de choses que j’admire la plus chez les Français, c’est que vous vous occupez largement de vos propres oignons. Je ne sais toujours pas quelles sont les croyances de la grande majorité de mes amis francophones, ni les partis politiques de personne. Mais ici, impossible de parler du livre sans parler des croyances personnelles. Si ça vous dérange, pas de souci et on se reverra demain.

Dans son premier livre, sorti en 2021, Mme Koç nous avait dit :

Pour ma part, j’ai toujours rêvé d’une assimilation totale, ce qui sous-entend d’être baptisée, car je voulais me fondre pleinement dans la culture religieuse et historique de la France qui fut longtemps considérée comme la fille aînée de l’Église.

Claire, le prénom de la honte, p. 191

J’en ai tiré la conclusion que son intérêt à l’Église était plutôt en tant qu’instrument, que si elle voulait se convertir, c’était parce qu’elle la percevait comme « la chose française à faire ». Et j’ajouterai que l’on fait ce choix pour de telles raisons tous les jours, partout au monde : pour se marier, pour assimiler… peut-être que « Paris vaut bien une messe », ça vous parle ? Je ne juge pas. Mais Mme Koç raconte être rejetée par un prêtre parce que son mari s’est marié avant dans l’Église, et on sait tous que ça fait des problèmes. Je croyais donc que c’était la fin de l’affaire, que on n’entendrait plus rien sur le sujet.

Mais c’est exactement ici où je me suis trompé. Si on a vraiment compris la France de ce blog, elle tourne autour de deux axes, celui de Sainte-Jeanne-d’Arc et celui de Louis de Funès. C’est une façon de dire que ce qui m’attire est autant la France des cathédrales que la France du Corniaud. Si vous pouviez voir les messes aux États-Unis, qui sont plus des concerts de rock que des événements sacrés, puis les larmes aux yeux quand une messe a commencé pendant ma dernière visite à la Sacré-Cœur, tout serait clair. Mme Koç ayant plus de classe que moi, elle choisit une meilleure métaphore et parle plutôt de la France comme l’union de Marie et Marianne. La structure du livre suit ses rencontres avec les deux.

Mme Koç lance son histoire aux Seychelles, où elle est enfin baptisée. Elle n’est toujours pas bien éduquée dans la foi, mais on savait déjà du premier livre que c’était important à elle. Puis on remonte dans les temps. En fait, avant le rejet du prêtre en France, elle avait été catéchumène, avait suivi des cours, mais juste au dernier moment, le père lui avait dit « qu’il doit réfléchir à « mon cas » et qu’une enquête sera ouverte sur mon époux ; comme si nous avions commis un crime » (p. 40).

Je n’ai pas envie de critiquer l’Église ; les lois sont là pour des raisons. Mais elle remarque, pas sans justice, que un certain criminel « a reçu plus de compassion que moi, une femme dont le seul « tort » est d’avoir épousé un homme divorcé » (Ibid.). On voit ici un parallèle important avec sa lutte pour se naturaliser — autant que certains Français la décourageaient de devenir citoyenne, certains religieux faisaient la même chose. Mais si on connaît Claire Koç, on sait qu’elle trouvera un chemin.

On tourne vers l’incendie de Notre-Dame de Paris. Elle remarque que « il transcende les frontières et devient une tragédie mondiale…Quant à moi, j’ai ressenti une étrange sensation. Une impression de communion qui ne m’a plus quittée. « (pp. 44-46). Elle avait déjà ressenti l’appel de l’Église, mais cet épisode renforce pour elle que même si l’Église elle-même est universelle, son incarnation française est pourtant la lumière des nations.

Elle cherche d’autres chemins et considère également le protestantisme et l’église orthodoxe. Mais à la fin, elle sait — c’est l’Église catholique ou rien. On trouve certainement un héritage protestant en France aussi, mais je comprends ses sentiments — au-delà des plages normandes, le site de la Grande Croisade, le Tour passe encore et encore par des lieux de culte catholiques.

Ici commence la polémique. Elle diagnostique une crise spirituelle en France, comme partout ailleurs :

Quoi qu’il en soit, il est certain que notre monde est en quête de sens, que ce soit par le biais de la spiritualité ou d’autres moyens, pour construire un avenir épanouissant et durable.

Page 65

Elle remonte encore plus dans le temps pour nous parler de sa première rencontre avec une statue de Marie dans une église, puis nous demande : « Pourquoi ne pas reconnaître le courage de la Vierge Marie, qui a osé s’opposer aux normes de son époque ? » (P. 75) Elle invoque d’autres exemples — Jeanne d’Arc, Sainte-Thérèse, et Saint-John-Vianney — puis nous invite à considérer deux choses. 1) de nos jours, on comble l’écart spirituel avec des croyances ténèbres — elle cité de nombreux exemples de références à la sorcellerie dans la culture, et 2) on ne cherche plus les solutions de nos ancêtres. Elle demande :

[P]ourquoi ces militantes ne s’approprient-elles pas la représentation de Jeanne d’Arc, pourtant accusée elle aussi de sorcellerie et brûlée vive en place publique ? Cette dernière est considérée au mieux comme franchouillarde, au pire comme le symbole d’un mauvais camp politique.

P. 80

Elle retrouve sa réponse dans la mauvaise influence de la culture américaine, et il me tue, mais je suis malheureusement d’accord. Ce blog n’existerait pas si je ne m’étais pas retrouvé en 2020 face à l’autodestruction de mon pays dans les émeutes « largement paisibles ». C’était le jeune moi, admirateur de Jeanne d’Arc, qui était de retour pour chercher des racines plus solides en France pour me sauver. Mais c’était en fait ma rencontre avec Marianne, et ici on tourne vers la sienne.

À ce point, je suis sûr que beaucoup de monde disent à l’écran, « Mais la République, c’est laïque ! Il n’y a plus de place pour ça ! » C’est ici où je note avec un certain plaisir que Mme Koç a redécouvert, sans le savoir, la sagesse des Pères fondateurs américains, surtout John Adams. Elle écrit :

La France est un pays chrétien ; la République, elle, est laïque. Sans m’aventurer dans un exercice philosophique pour lequel je n’ai pas la prétention de revendiquer quelque compétence que ce soit, je pense qu’il est possible de se définir à la fois comme chrétien et comme laïc.

P. 125

Ceux qui parlent aux États-Unis d’un « mur de séparation » ont mal compris que le but de notre Premier Amendement n’était pas d’établir un gouvernement athée, mais de permettre que les habitants du Maryland pouvaient vivre leur foi catholique en même temps que ceux du Massachusetts, leur foi protestante. Pour effectuer ça, il faut que la loi n’accorde une place privilégiée à aucune religion.

Et c’est ça que je trouve la vraie beauté de ce livre. On a bel et bien établi dans son premier tome sa fidélité à la République. Ce n’est dans aucun sens un appel à l’intégralisme ou à la nostalgie pour les Bourbon. Elle nous rappelle :

Les rois de France, la Révolution, le peuple français et Napoléon ont tous joué un rôle majeur dans la construction de notre nation, façonnant la mémoire de notre pays au fil des siècles. Être français, c’est éprouver une fierté inébranlable et une admiration profonde pour la longue et riche histoire de France.

P. 140

Quel est donc son but ? En restaurant une place pour le christianisme dans l’espace public, Claire Koç espère que tout le monde, soit croyant soit athée, se rattachera à nouveau aux racines qui ont donné à la France l’histoire la plus glorieuse au monde.

Pas surprenant que le livre termine donc pas avec une prière ou un texte républicain mais avec une citation du général de Gaulle :

Je suis un Français libre. Je crois en Dieu et en ma patrie. Je ne suis l’homme de personne.

P. 187

14 réflexions au sujet de « Le jour où je me suis convertie, par Claire Koç »

  1. Avatar de Agatheb2kAgatheb2k

    Concernant le dilemme du prêtre (il a une hiérarchie à laquelle il doit en référer) qui l’a rejetée, c’est tout simplement que l’homme ne peut pas désunir un couple qui a été uni par Dieu lors d’un mariage religieux, et donc, que son mari divorcé, pour l’Église est toujours uni à sa première épouse et donc bigame et ne peut pas se marier religieusement une seconde fois…
    Chez nos voisins espagnols plus fervents que nous, ils ont aujourd’hui un autre problème => https://www.ladepeche.fr/2024/01/29/une-veritable-honte-et-une-aberration-en-espagne-une-representation-du-christ-jugee-trop-effeminee-fait-polemique-11729512.php
    😉

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    1. Avatar de Justin BuschJustin Busch Auteur de l’article

      Il me semble qu’il avait refusé de lui convertir tout court, qui ne touche même pas la question de mariage. J’imagine que c’est à voir avec la mettre dans une situation irrégulière, mais ce n’est dit nulle part, c’est juste moi qui devine.

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      1. Avatar de Agatheb2kAgatheb2k

        Si c’est pour sa conversion, il a peut-être pouvoir de « jugement » (rien à voir avec un tribunal, la seule peine encourue est son refus) et a dû estimer que sa démarche n’était pas sincère (les Jésuites par exemple sont experts en la matière de te cuisiner pour savoir ce que tu penses réellement). Cela me fait penser aux prérogatives des rabbins quand quelqu’un veut se convertir au judaïsme, il faut contacter le bon, celui qui sera plus libéral ! 😉

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  2. Avatar de C'est en lisant...les2olibrius

    Ce qui me gêne… C’est que quelqu’un soit veuille faire le portrait d’un Français-type, soit parle « au nom des Français » s’il n’est pas un élu ni investi d’une fonction officielle par l’État… Habiter ou travailler en France ne garantit pas qu’on soit Français. Écrire en français ne le garantit pas non plus. En revanche vouloir vivre en tant que citoyen de ce pays, c’est-à-dire selon ses lois, fonde son appartenance à la Nation française. Il n’existe pas un seul et unique modèle de Français, ce que prouve justement l’évolution de l’Histoire du pays. Tu dis chercher les « croyances de la grande majorité »… or la foi n’est plus la loi. Les lois créent une Nation laïque. Quant à la politique, les débats télévisés et les votes en donnent une idée… selon tout le « gradient » de ses multiples partis et ça en fait des nuances! La nation d’aujourd’hui n’est plus du tout celle d’hier; elle évolue sans cesse. Souvent je te perçois comme bien plus français que moi qui n’ai jamais cuisiné ni mangé tel mets d’ici ni appris la liste des départements ni pensé que la France soit un meilleur choix qu’un autre pays. Je sais juste que je n’ai pas envie de ne plus être citoyenne française. Pourquoi vouloir à tout prix enfermer les gens dans des cases imperméables ? « Le Français » est polymorphe mais respecte les lois qu’il renouvelle, nouveau Sisyphe, dans son présent pour trouver son avenir. Je ne partage pas les vues de ton auteur préféré. C’est son avis. Pour moi laïque signifie: sans se référer à une religion quelconque.

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    1. Avatar de Bernard BelBernard Bel

      100% d’accord !
      Je suis « né » dans le catholicisme. Fermement croyant jusqu’à 17 ans. Puis j’ai entamé un long parcours philosophique en passant par le bouddhisme, diverses pratiques « mystiques », pour en arriver à un athéisme « pragmatique ». Par exemple, je ne crois pas à la réincarnation, mais si je me trompe je ferai avec !
      Plus sérieusement, ma position sur la laïcité est celle de Spinoza, ou simplement le premier « remède » d’Epicure : « Les dieux ne s’occupent pas des humains. » Autrement dit, nul besoin de s’en occuper sauf pour combler un besoin de croyance en un « arrière monde ». Je respecte ce besoin mais je préfère que ceux qui en vivent n’envahissent pas l’espace public, idem pour les fumeurs qui doivent rester dans leur espace privé…

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  3. Avatar de scriiiptor (pour scriiipt.com)scriiipt

    Définir la laïcité est un écueil sur lequel bon nombre d’entre-nous pouvons tomber. Il faut bien différencier les discours politiques (actuels), et l’esprit de la Loi de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat.
    Pour comprendre il faut revenir un peu aux sources, la France de la fin du 19ème siècle et du début du 20ème siècle est très partagée (parfois violemment). D’un coté les tenants du catholicisme pratiquant et de l’autre des anticléricaux acharnés (je simplifie un peu). Le coté « Fille ainée de l’Eglise » irritait très fortement les valeurs républicaines. La loi de 1905 le pose le principe de la liberté de conscience et celui du libre exercice des cultes. Parallèlement, elle affirme son intention de sécularisation en confiant à l’État les biens confisqués à l’Église et en supprimant la rémunération du clergé par l’État. En gros, chacun est libre de ses croyances, et l’état ne doit pas intervenir et soutenir financièrement l’Eglise.
    Associer l’idée d’être français avec une conversion au catholicisme est assez bizarre de mon point de vue. C’est probablement lié à l’histoire personnelle de chaque famille. Le même type de confrontation intervient entre familles de religions différentes surtout quand ces familles sont très attachées à leurs traditions.
    Comme dit « les2olibrius » il n’existe pas aujourd’hui de français type. Certes la France a été la fille ainée de l’Eglise, et Jeanne d’Arc est une figure importante. Néanmoins, il faut se souvenir que la France a aussi été déchirée par les guerres de religion entre protestants et catholiques, que la Révolution Française a aussi été une période de terribles affrontements entre catholiques vendéens et révolutionnaires, que l’affaire Dreyfus a provoqué bon nombre de bagarres…
    Pour mémoire, il n’existe pas dans la loi française de crime (ou de délit) de Blasphème, contrairement à d’autres pays. Et c’est l’un des beaux principes de la culture française, pouvoir en toute liberté se moquer de la religion…
    Je trouve donc la vision de cette auteur étrange de mon point de vue. Je pense que son vécu la place dans une situation où la religion est importante (quelle qu’elle soit). Et donc, elle doit prendre position, et même elle doit chercher un « camp » pour la défendre contre un autre.
    A mon avis la nationalité n’a rien à y voir. Cet auteur aurait très bien pu faire le choix de s’éloigner de toute forme d’appartenance religieuse, et personne ne lui en aurait tenu rigueur.
    Ne pas se marier à l’église, et ne pas avoir de cérémonie religieuse n’est pas choquant… en France.

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  4. Avatar de encuisineavecpelaencuisineavecpela

    Ton article est très intéressant ! J’adorerai déguster une pâtisserie avec toi et en discuter tranquillement…
    Par contre, je ne suis pas d’accord avec toi, sur le fait que les français se mêlent de leurs oignons, non, non.
    Et puis en deux mots, l’église qui a ses règles,ses lois, oui, mais moi par exemple, mes parents ont fais le choix de ne pas me baptisé. Quand j’ai voulu me marier, tout le monde criaient que j’allais être ka brebis égarée, finalement après une demande à une personne de plus haut placé à l’église, j’ai pu me marier à l église sans être baptisée. Alors…

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    1. Avatar de Justin BuschJustin Busch Auteur de l’article

      En disant que les Français ne se mêlent pas dans les oignons des autres, c’était largement sur la question des croyances. Aux États-Unis, il est souvent le casque on demande trop de questions sur ces sujets à partir d’une première rencontre. Mais il n’y a aucun pays au monde entier sans ses fouineurs !

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  5. Avatar de vanadze17vanadze17

    Bien d’accord que la religion ne fait pas partie de la nationalité française, et que cette auteure fait fausse route en voulant les associer. Mais je comprends qu’il soit difficile pour un étranger de comprendre toutes les subtilités de notre culture, sachant que tout évolue très vite.
    Je voudrais raconter une anecdote. Une amie s’est vue refuser le baptême de sa fille parce que le prêtre s’est finalement aperçu que la maman avait été divorcée d’un premier mariage… à quelques jours du baptême !

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    1. Avatar de scriiiptor (pour scriiipt.com)scriiipt

      C’est les trucs qui arrivent de temps à autre. En fait, ça dépend beaucoup du prêtre du coin et s’il est « souple » ou pas… On d’accord qu’on connait tous quelqu’un qui va faire « ces trucs religieux » plus par tradition que par réelle croyance. Mariage à l’église et baptême, très peu pour moi, mais si ça fait plaisir aux potes.
      J’ai croisé des prêtres qui comprenaient que les gens le faisaient sans être vraiment pratiquant, et ils laissaient passer. Et d’autres qui insistaient lourdement… Ces derniers reviennent un peu plus en force ces derniers temps on dirait.

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