Dune : Deuxième partie

Attention : divulgâcheurs suivent

Au cas où le français québécois ne vous parlerait pas, on va discuter le film de Denis Villeneuve qui vient de sortir. Je mets un bloc « lire la suite » après la photo afin que vous puissiez sortir maintenant si ça vous dérange.

Alors, soit vous avez cliqué dans un courriel soit vous utilisez le lecteur WordPress, qui ignore les « lire la suite ». Pour être clair :

Êtes-vous sûr ? C’est pas M. Descarottes qui sera responsable si vous continuez à lire !

Ben, à vous.

Dimanche après-midi, je suis allé chez AMC pour regarder Dune : Deuxième Partie. AMC, c’est comme Pathé, mais les films sont largement dans une langue que je n’ai aucune envie d’entendre. Aussi, les bonbons sont follement chers et les paquets sont à moitié vides :

Il n’y a rien au-dessous du nom « Red Vines »

Et juste pour vous donner une dernière chance à vous détourner, voici un nouveau resto rapide dans le même centre commercial, qui vend des « corn dogs » (les québécois disent « saucissons à bâtonnet »), à la coréenne. Sans tout le kimchi, c’est grosso modo le plat préféré de La Fille. Je me demande si elle voudra le goûter :

Alors, le film. Je vais parler d’exactement ce dont mon ami voulait savoir, comment il est différent du livre. Dès que j’ai quitté le ciné, je lui ai envoyé un texto : « Je viens de voir #Girlboss : Barbie dans l’espace ». Évidemment, ce n’était pas un compliment de ma part. Si vous avez lu ce que j’ai dit la semaine dernière à propos de la culture chauvine des Fremen, vous pouvez déjà deviner où je vais.

Il y a des changements qu’il faut faire pour rendre un livre « tournable », pour abuser la langue. Les fans du Seigneur des Anneaux se plaignent que Tom Bombadil n’a pas apparu dans les films de Peter Jackson, mais ce personnage existait complètement en dehors de l’intrigue dans les livres. Le personnage de Thufir Hawat n’a pas apparu dans Dune 2, mais je n’ai pas de problème avec ce choix, même si l’histoire de comment les Harkonnen lui font tourner la veste est une des choses les plus intéressantes dans le roman. Il faut couper par ici et par là, et ce n’est pas ma plainte.

Le film commence avec une bataille où les Fremen se cachent sous le sable pour surprendre les soldats des Harkonnen. C’est très bien joué, et si le but est de montrer que Paul n’est (toujours) pas le centre de tout, un Fremen le fait de façon efficace en lui disant à la fin « C’est pas toi qu’ils cherchaient, c’était nous ». J’ai trouvé ce moment très percutant.

Après cette bataille, Paul et sa mère, Jessica, se trouvent au sein d’un sietch, les villages sous-terrains où habitent les Fremen. Et beaucoup de monde ne sont pas heureux de les voir. Paul a tué un Fremen, Jamis, et retourne avec le cadavre, et seulement ceux qui voyageaient avec Paul savent que la faute était à Jamis. Mais Stilgar, le chef des Fremen, croit que Paul est peut-être le Lisan al-Gaib, la Voix venue d’Ailleurs prophétisée pour sauver les Fremen, et il protège Paul. À ce point, tout va bien.

Mais à partir de ce moment, tout part en vrille. Quand Paul reçoit son surnom Fremen, Muad’Dib, quelqu’un — j’oublie si c’est Paul ou Chani, sa fiancée — donne un petit discours devant les Fremen à propos du fait que leur société est parfaitement égalitaire. Rien ne pourrait être plus loin de la vérité dans les livres. Ce moment n’est rien qu’un clin d’œil vers la moralité suffisante du public, qui ne soutiendrait jamais une telle société même contre un pouvoir cruel comme les Harkonnen, car les Bons doivent être les Parfaits, surtout en Amérique du Nord. Les Fremen ne sont pas les méchants de Dune (dans sa suite, Le Messie de Dune, c’est tout autre question), et franchement, ce discours n’a pas de vraies conséquences plus tard. S’il a été supprimé j’aurais été plus heureux. Mais c’est juste un avant-goût.

Plus tard, Jessica dit a son fils qu’elle se soumettra à l’épreuve pour devenir une Révérende Mère. Paul lui demande si ce sera dangereux. Encore une fois, pour un moment #Girlboss, elle s’adresse au public plutôt qu’à son fils et dit avec un sourire narquois, « C’est mortel aux hommes ». Ce moment est une trahison envers les deux personnages. Paul a été grandi par sa mère avec toutes les connaissances possibles des Bene Gesserit. Il sait déjà très bien que ce rituel est souvent mortel, même pour les femmes (les seules qui le survivent jusqu’à son arrivée). Pour sa part, Jessica se soucie énormément de son fils et n’aurait jamais adopté une attitude si sarcastique et froide en ce moment dangereux.

Mais la plus grande trahison du film n’est pas son traitement de Paul, mais plutôt de Chani. Dans ce film, elle devient de plus en plus hostile à Paul, en fonction de son ascendance au pouvoir. À la fin, elle n’accepte pas que Paul prenne pour épouse la fille de l’empereur, et le quitte tout court en faisant une crise devant tous les nobles, puis elle monte sur un ver des sables, juste car c’est cool. Il est évident qu’elle mènera la résistance à Paul dans un troisième film. Encore une fois, rien ne pourrait être plus loin du livre, mais au-delà de ça, ce choix nie tout ce qui rend les femmes puissantes dans l’univers de Dune.

Cette série se déroule au futur, mais dans un contexte aussi féodal que notre Moyen-Âge. Les mariages ne sont pas par amour, mais pour avancer vers des objectifs politiques. C’est souvent le cas dans ce monde que l’amour pousse les hommes à faire des choix imprudents, en conflit avec les exigences du pouvoir. Dans le livre, Paul fait une promesse à Chani que malgré le mariage par pouvoir, il n’aura des enfants qu’avec elle — un choix garantit à ne pas établir une dynastie aux yeux des nobles. (Ça arrivera quand même pour d’autres raisons.) Cette promesse donne lieu à la conversation finale du livre entre Jessica et Chani, où elles reconnaissent leur place dans l’Histoire-en-majuscule, à mon avis la meilleure fin de toute la science-fiction. Et Denis Villeneuve jette cette fin pour un dernier moment où une femme montre sa colère, car c’est la seule forme de pouvoir à laquelle la culture nord-américaine croit.

Je dois donc dire qu’il aurait pu être une version de ce film que j’approuverais sans hésiter. Si on supprimait quelques paroles qui sont là pour flatter le public, et changeait le comportement de Chani afin qu’elle comprenne exactement le même genre d’alliance fait entre les tribus Fremen, je m’en plaindrais très peu.

11 réflexions au sujet de « Dune : Deuxième partie »

  1. Avatar de C'est en lisant...les2olibrius

    Dans cet article-ci j’ai bien compris l’intégralité de ton point de vue et comme dans le Dune1 j’étais fort déçue par la Jessica de Villeneuve, je pense que ta perception de cette oeuvre-ci serait très proche de la mienne si je regardais ce deuxième opus que je ne verrai pas avant la saint Glin Glin ( car je n’ai pas prévu d’aller au cinoche et j’attendrai qu’il passe à la télé. Ce n’est pas dans ma wishlist, comme disent les jeunes webmestre dont je fréquente les sites de comptes-rendus de lecture) Passe un excellent vendredi. 🌈☀️

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    1. Avatar de C'est en lisant...les2olibrius

      Tiens, mon portable a fait de webmestre un adjectif de « jeunes », invariable comme les adjectifs anglais. Ne le corrige pas… la machine a l’air de savoir combien j’apprécie la jeunesse pour son foisonnement d’idées !

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      1. Avatar de C'est en lisant...les2olibrius

        Ben… je me permets de croire qu’en « culture » française j’ai encore beaucoup à t’apprendre 🤣 et que j’ai beaucoup à apprendre de toi! 💐

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  2. Avatar de LadyButterflyLadyButterfly

    J’ai vu le Dune partie 2 mardi soir ; ça tombe bien. Je suis un peu plus indulgente que toi, même en restant critique aussi, surtout vis à vis du rôle de Chani. Le coup du « je me rebelle et je prends un ver des sables » de la fin m’a achevée !

    Ceci dit, je pense que le fait que Lady Jessica explique « oui, c’est mortel pour les hommes » à son fils, alors qu’elle l’a élevé selon les principes du Bene Gesserit, est surtout destiné au public – et en particulier aux personnes qui ne connaissent pas les livres. Cela fait partie du même processus en écriture, un peu artificiel mais très utilisé (et bien pratique, j’avoue), quand, dans un roman, on place un des informations dans un dialogue alors que dans la vie réelle, jamais personne ne parlerait de cela. Je ne sais pas si tu vois ce que je veux dire, mais à mon sens, le dialogue entre Paul et sa mère est conçu dans ce but.

    Evidemment, pour les fans, c’est énervant, on est bien d’accord.

    J’ai tiqué aussi sur « la société égalitaire des Fremen ». Je me suis dit que c’était la vision de Villeneuve – 2024. Le film de Lynch en 84 ne montre pas tout à fait la même chose, si ma mémoire est bonne.

    Il me manque tout de même des éléments dans ce film, même si je l’ai apprécié : ex : mais où est la Guilde Spatiale ? On parle vite fait des Grandes Maisons vers la fin, mais la Guilde (avec l’importance de l’Epice), passe totalement à la trappe.

    Je reconnais que Chalamet, que je trouvais un peu fade, joue bien le passage de Paul au Mahdi.

    Bref, je pense que je reverrais le film dans quelques mois, quand il sortira en DVD (en l’empruntant à la médiathèque, par ex.).

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    1. Avatar de Justin BuschJustin Busch Auteur de l’article

      Toutes les guildes tombent à côté (CHOM et les Ixiens ne sont pas mentionnés non plus), mais d’accord, la Guilde Spatiale est particulièrement importante, et son absence est une lacune. Et d’accord sur Chalamet ; je n’étais pas ravi quand il a été annoncé, mais le passage au Mahdi était bien fait.

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  3. Avatar de scriiiptor (pour scriiipt.com)scriiipt

    Je n’ai pas grand chose d’autre à ajouter par rapport à mon commentaire dans l’article précédent. Si ce n’est qu’il faut parfois se contenter de lire (et uniquement lire) les livres…
    Depuis quelques années, les progrès technologiques du cinéma permettent enfin de mettre en images des choses fabuleuses de manière réaliste et immersive… Néanmoins, ça ne signifie pas qu’il faille absolument mettre en image tous les chefs-d’œuvre de la science-fiction ou du fantastique. Ce serait juste bien que pour une fois, on puisse avoir une œuvre originale faite pour le petit ou grand écran, comme Star Trek, Star Wars, galactica battlestar, etc…
    Alors voilà, Dune, c’est bien en bouquin… Est-ce que ça vaut le coup d’aller le voir au ciné ? Bonne question… Ce n’est pas vraiment indispensable à mon avis.

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  4. Avatar de vanadze17vanadze17

    Je fais partie de ces gens qui ne vont pas voir les films issus de livres que j’ai beaucoup appréciés ! J’ai été trop déçue et souvent, donc je ne prends plus de risques !!!
    Je tiens à garder intact le souvenir d’une histoire, de
    certains personnages ou situations ; et sans oublier mon goût pour « la belle écriture ».
    Par exemple la série sur « la servante écarlate » de Margaret Atwood…

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  5. Ping : Saison 2, Épisode 51 — Brouteurs, tricheurs et mensonges | Un Coup de Foudre

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