Le tuvoiement

Langue de Molière est de retour avec une observation sur l’usage plutôt différent que d’habitude.

Je chante les louanges du vouvoiement ici presque depuis le début. Je vous dis souvent que je traduis chaque cas de « you » en anglais par « tu » car nous sommes beaucoup trop proches de tout le monde. Et en général, vous trouverez que mes concitoyens ont une certaine peur d’être « usted » en espagnol ou « vous » en français. Mais. Mais il y a une chose où je vous dirai que les américains n’ont pas complètement tort dans leur attitude.

Je trouve qu’à travers les cultures, personne n’utilise jamais les deuxième prénoms d’autres personnes à moins qu’ils soient en colère. Vous savez juste en les lisant qu’il y a une grosse différence entre « Justin, arrête ça » et « Justin Eliot Busch, arrête ça tout de suite ! ». Dit autrement, personne n’a jamais utilisé « Eliot » autour de moi sauf pour mes parents quand j’étais jeune et les gens aux labos qui doivent vérifier les noms avant une prise de sang.

Alors, de notre point de vue, le vouvoiement est un peu comme utiliser le deuxième prénom. Si on utilise « vous » avec nous, nous imaginons que c’est-à-dire que nous avons bel et bien f’d up. (Je me suis récemment surpris à utiliser « j’ai » pour former le passé dans une conversation qui se déroulait autrement en anglais.)

Et vous savez qui fait leur tout pour renforcer cette impression ? Les expatriés. Je ne peux rien citer directement, mais je remarque certaines tendances. Par exemple, avec certains qui étaient anciennement mes profs chez l’Alliance française mais sont maintenant mes collègues en tant que responsables de l’OCA ? Après plusieurs années de vouvoiement par Zoom ou même en personne, nous nous tutoyons tout à coup, sans jamais avoir eu « la conversation ». J’ai rencontré plusieurs inconnus pour la première fois ce week-end ; je me suis présenté avec « vous », puis ils ont vu une certaine tarte et tout à coup, nous nous tutoyons aussi sans « la conversation ». (Quand je le dis comme ça, il me semble que je parle « des oiseaux et des abeilles », comme on dit en anglais. Mais c’est juste de la politesse, je le jure !)

Cependant, d’autres sautent entre les deux sans montrer aucun signe de se souvenir d’où nous étions la dernière fois. J’ai tout un tas de courriels à ce point où les mêmes personnes sont vous une première fois, tu une deuxième fois, puis vous encore et ainsi de suite. C’est un effet déroutant, mais en plus ça tend de suggérer que les limites sont en fait plutôt floues. J’appelle ce comportement le « tuvoiement », car on ne sait jamais quelle est la bonne chose à dire. Il faut espérer que l’autre personne vous donnera un indice avant que vous n’ouvriez la bouche.

Et bien sûr, il était aussi la fameuse « boulette » que je ne cesse jamais de mentionner. Cette fois-là, on est passé du tutoiement au vouvoiement en une phrase. Si on voulait signaler que le vouvoiement signifiât être en colère, je ne peux pas imaginer un meilleur exemple.

Tout ça, c’est-à-dire qu’il nous semble que la vraie distinction est que tout le monde se tutoie à moins qu’il y ait une grande différence d’âge ou rang ou que l’on soit en colère. En fait, on m’a expliqué pourquoi cette situation est arrivée il y a longtemps — « quand nous (les expatriés) sommes ensemble pour un événement, nous sommes tous des amis et il serait compliqué s’il y avait juste un ou deux personnes qui se vouvoyait ». J’ai répété ça à un ami belge, et j’ai cru qu’il allait faire une crise cardiaque ! Cet avis est loin d’être universel.

Je n’ai pas de bonne réponse au tuvoiement. J’ai toujours du mal à corriger des gens quand ils m’appellent « Julien », ce qui arrive de plus en plus, car je ne veux offenser personne. (Quand les anglophones m’appellent « Jason », je ne suis pas timide. Il m’étonne que « Justin » soit si difficile en chaque langue que je parle !) Si je ne vais pas corriger mon propre prénom, je ne vais pas corriger un pronom non plus. Honnêtement, je m’en fiche. Juste choisissez-en-un et je l’utilise, d’accord ?

Langue de Molière vous reverra la semaine prochaine pour traîner dans les airs.

18 réflexions au sujet de « Le tuvoiement »

  1. Bernard Bel

    Dans tous les films francophones, les couples se vouvoient jusqu’au moment où ils ont couché ensemble… C’est un marqueur fiable (même si l’on n’a pas eu droit à la scène de voltige) et irréversible. Bon. Ça n’apporte aucune réponse aux questions que vous posez, mais ça m’a toujours amusé ! 😉

    Donc, par prudence, dans les rencontres d’expatriés, je vous conseillerais de vouvoyer systématiquement les femmes mariées (en présence de leur conjoint) et de tutoyer leurs conjoints afin de marquer la différence. Surtout si la dame a « covoituré » ! 🙂

    Dans mes débuts de carrière, alors que j’étais prof de lycée (il y a un siècle), je tutoyais les élèves et eux me vouvoyaient. Mais j’avais remarqué que c’était exactement l’inverse pour les prof chahutés…

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  2. LadyButterfly

    Ah, le vouvoiement, l’éternelle question ! Il y a véritablement les « pro » vous et les anti.

    Exemple : le milieu professionnel. On arrive dans un métier, et tu commences à vouvoyer ton/ta chef/fe (N+1 et encore plus tes autres N+2 et cie). Et là, ça ne loupe pas. On te dite « Oh, tu sais dans notre branche (…ici le milieu professionnel en question, ça fonctionne pour un tas de métiers), on se tutoie ». Tu es sous le coup de le surprise (surtout quand tu es jeune, nouveau, et j’en passe). « Ah ? Heuu….. Tout le monde ? ». Et avec de grands sourires, on te rassure: « ici c’est convivial ».

    Bon, tu appliques la règle. Avec les collègues, c’est facile, tu bosses, tu ne vas pas t’amuser à les appeler « monsieur » ou « madame », on n’est plus dans les années 50 ou 60.
    Et un jour, tu tombes sur l’exception qui ne tutoie pas (généralement, du genre « petit chef »). Pas très aimable, on t’appelle pour te demander un truc et on s’adresse à toi comme ça « Mais dites-moi Agnès, vous pourriez m’expliquer…. ». Et si ça devient plus épineux : « Madame A. ! Je vous avais déjà dit que… ».

    Typique dans le milieu du travail et la liste est longue (j’ai exercé dans des domaines différents et ça l’a fait à tous les coups).

    Alors oui, on vouvoie beaucoup dans les cas de colère: « je ne vous permets pas de me tutoyer », c’est la grande phrase qu’on trouve encore sur les réseaux sociaux alors que, depuis la création des blogs il y a 20 ans, la règle, justement, c’est le tutoiement. (je n’ai jamais vouvoyé personne sur un blog).

    Le vouvoiement, je l’utilise : dans les magasins, dans la rue, les transports, pour m’adresser à une personne âgée, à quelqu’un que je ne connais pas mais en dehors de ma sphère amicale. Mais par ex., si mon conjoint me présente quelqu’un qu’il connaît déjà (et que, forcément, il tutoie), je ne vais certainement pas vouvoyer la personne.

    Le vouvoiement a un effet également néfaste qui met à l’écart. En choisissant de tutoyer une personne mais de vouvoyer une autre sous prétexte de « respect » (le plus souvent, parce qu’on n’a pas envie de lui parler ou de se lier avec cette personne), on envoie un signal de rejet. Exemple ? On va vouvoyer une personne qui paraîtra plus âgée (moi, parce que j’ai les cheveux gris et qu’on voit que j’ai une bonne cinquantaine d’années) mais on va se permettre de tutoyer ma fille qui est adulte (23) mais qui « a l’air plus jeune que son âge », comme si elle était une enfant. Une fois, quelqu’un a même osé tutoyer aussi mon conjoint (qui est plus jeune que moi) mais me vouvoyer, histoire de bien nous faire comprendre que nous étions un couple sans doute… un peu bizarre….

    Bon, ça ne fait pas avancer le schmilblick comme dirait Coluche et on reste avec nos « vous » et nos « tu » :)

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  3. Agatheb2k

    Le vouvoiement permet de conserver une certaine distance, celle d’un comptoir par exemple dans un commerce, ou de respecter une hiérarchie (j’ai toujours vouvoyé mon boss) alors qu’entre collègues nous étions parfois dans la même galère, alors le tutoiement égalitaire permettait de ramer dans la même direction, de faire tourner la boîte, et ce, même si le chef n’avait pas les capacités requises sur le terrain !

    Par contre, même en devenant plus intime avec des personnes croisées durant ma vie professionnelle, j’ai continué à en vouvoyer certaines, même après la fameuse conversation, parce que 15 ans d’âge nous séparaient, ainsi qu’une différence de milieu, alors qu’avec d’autres je n’ai pas eu ce problème…

    Tutoiement de rigueur dans les blogs, j’ignore pourquoi, mais c’est sans importance, c’était aussi de rigueur sur les forums que j’ai fréquentés autrefois, le vouvoiement n’était utilisé que pour s’adresser à la cantonade. 😉

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  4. Shanny

    Julien ? Pourtant, même en France, il y en a des « Justin », alors certes, ils ne sont plus tout jeunes, mais j’en connais ! Il y a même une marque de saucisson qui s’appelle « Justin Bridou », c’est dire ! Je compatis, mon prénom est irlandais et en France, personne n’est capable de le dire correctement, c’est pour ça que « Shanny » au moins, tout le monde comprend (encore que, parfois on m’appelle « Shanna »).

    C’est vrai que sur internet, le tutoiement est de rigueur parce que c’est censé être un espace moins rigide que « la vraie vie », le tutoiement est plus cool et plus amical. J’ai toujours un peu de mal quand on me vouvoie en commentaire, j’ai l’impression d’avoir fait quelque chose de répréhensible…

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    1. Justin Busch Auteur de l’article

      Même ceux qui se souviennent que mon prénom est Justin ont l’habitude de le prononcer à l’espagnole pour des raisons qui m’échappent. Je suis tombé sur des publicités de Justin Bridou sur Internet il y a longtemps, alors j’en fais référence pour les corriger.

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  5. biche*

    j’y vais de mon petit commentaire 🙂

    j’utilise beaucoup le vouvoiement, c’est pour moi une marque de respect tout simplement . J’ai plus de difficultés avec le tutoiement. Je n’ai d’ailleurs jamais tutoyé mes beaux-parents. Par exemple Justin il ne me viendrait pas à l’idée de vous tutoyer ! Ah ces français, comme ils sont compliqués ! 😀

    biche

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  6. vanadze17

    A mon époque, le vouvoiement était pratiqué un peu partout, respect oblige (pour les personnes âgées, les gens que l’on ne connait pas, les profs…)
    Je conçois que le tutoiement de nos jours a fait disparaître les règles de bienséance, ça ne me gêne pas si la personne reste correcte avec moi.
    Quand je rencontre de nouvelles personnes, il m’arrive de vouvoyer pour mettre à distance, parce que mon intuition me dit de ne pas faire confiance…

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  7. scriiipt

    Voilà un excellent questionnement !
    Dans la vie professionnelle on est toujours confronté à ces questions. Actuellement dans le cadre de mon travail, c’est plus simple : on demande à la personne nouvellement recrutée si elle préfère le tutoiement ou le vouvoiement. Le vouvoiement permet de montrer une marque de respect, et aussi un peu de distance. Bien que je trouve qu’entre collègues c’est assez normal de se tutoyer. Le vouvoiement ne venant dans la conversation (ou les mails) que pour faire un peu d’humour.
    Ayant par le passé travaillé avec des contacts espagnols, là par contre le tutoiement était de rigueur, et on se faisait engueuler si on tentait le vouvoiement.
    Quand on ne se connait pas, se faire tutoyer, ou tutoyer quelqu’un est vraiment déplacé à mon avis… Sauf bien entendu dans un cadre plutôt informel, (amis, famille, etc…). Et encore ça va dépendre de l’âge de la personne. J’ai toujours vouvoyé mes grands-parents et mes beaux-parents… Par contre mes enfants tutoient leurs grands-parents… Donc, est-ce que c’est une question d’âge ou plutôt une question générationnelle ?
    Et pour revenir au boulot, je vouvoie aussi bien un jeune de 16 ans et j’appelle une jeune femme de 18 ans Madame. Sauf si on devient collègues, au bout d’un moment je demande si on peut se tutoyer.

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  8. Filimages

    Je n’ai jamais vu l’utilisation du vouvoiement comme une expression de la colère. C’est étonnant.
    Comme beaucoup, il me semble, je vouvoie les gens que je ne connais pas, par respect et politesse. Exceptions : Les enfants, les animaux et les blogueurs. Et ce n’est pas par manque de respect, bien sûr.
    Quand je sais que l’on va se voir souvent et que l’on s’entend bien, je demande si on peut se tutoyer. En général, peu de gens refusent. Comme ça, il n’y a plus de doute ou d’hésitation.

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  9. juliette

    Nous avons eu une voisine à qui j’ai demandé des le début si je pouvais la tutoyer , comme elle a continué la pimbêche à me vouvoyer malgré l’ambiance très conviviale entre les locataires de la maison ( ma tête ne devait pas lui revenir ! ) je l’ai ignorée jusqu’à ce qu’elle déménage un an après : Ouf 😁 bon débarras !

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  10. Ping : Saison 3, Épisode 7 — Vienne avec moi | Un Coup de Foudre

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