Assiette de madeleines faites maison par Justin Busch

Dimanche avec la princesse des Laumes

On reprend Du côté de chez Swann. Cette fois, j’ai avancé de 40 pages — on est maintenant à 100 pages de la fin.

Je n’aime pas interrompre Swann quand il est en train de se plaindre dans sa tête, mais parlez pour vous-même, mon brave :

Swann retrouva rapidement le sentiment de la laideur masculine, quand, au delà de la tenture de tapisserie, au spectacle des domestiques succéda celui des invités.

Et pour info, c’est son avis en regardant deux hommes « alors qu’ils avaient été longtemps pour lui les amis utiles ». Je n’aimerais pas entrer dans la tête de certaines afin de connaître leurs pensées à cet égard, mais quel ami, celui-ci.

Il suit des observations sur les monocles portés par tel ou tel homme, ce qui m’amène à en conclure que Swann est en fait à une convention d’imitateurs du Pingouin. Mais ne vous inquiétez pas ; l’événement se révèle enfin un récital de flûte, auquel assistent un bon nombre d’aristocrates. Parmi ses rangs on trouve des marquises et des vicomtesses, mais aussi l’insupportable princesse des Laumes :

Pour montrer qu’elle ne cherchait pas à faire sentir dans un salon, où elle ne venait que par condescendance, la supériorité de son rang, elle était entrée en effaçant les épaules

Elle me rappelle quelqu’une. Et ce n’est pas juste mon avis :

Cependant Mme de  Gallardon était en train de se dire qu’il était fâcheux qu’elle n’eût que bien rarement l’occasion de rencontrer la princesse des Laumes, car elle souhaitait lui donner une leçon en ne répondant pas à son salut.

Comme je comprends ! Il y a une ancienne copine de classe de mon lycée qui, si jamais je la revoyais dans la vie, je lui jetterais un verre d’eau en plein visage, en récompense d’une insulte jamais oubliée. (Je n’ai jamais fait ça à personne, mais celle-ci m’a humilié de façon aussi choquante que pas méritée.) Proust se montre au moins efficace en évoquant des souvenirs, non ?

Mais Proust a un rôle pour Mesdames de Gallardon et des Laumes, une conversation qui recadre Swann après 470 pages :

Gallardon : Tiens, tu as vu ton ami M. Swann ?

Laumes : Mais non, cet amour de Charles, je ne savais pas qu’il fût là, je vais tâcher qu’il me voie.

Gallardon : C’est drôle qu’il aille même chez la mère Saint-Euverte… Oh ! je sais qu’il est intelligent… mais cela ne fait rien, un Juif chez la sœur et la belle-sœur de deux archevêques !

Laumes : J’avoue à ma honte que je n’en suis pas choquée.

Gallardon : Je sais qu’il est converti, et même déjà ses parents et ses grands-parents. Mais on dit que les convertis restent plus attachés à leur religion que les autres, que c’est une frime, est-ce vrai ?

Ici, j’ai triché, et fait des recherches sur Google. Il s’avère que Proust va aborder plus tard l’affaire Dreyfus. Mais dans ce contexte, j’aurais cru Mme Gallardon très à l’aise en Espagne de 1492, ou juste à travers la frontière allemande une décennie après la mort de Proust.

Cependant, je me permettrai une digression. Il se passe que pendant des décennies, le sujet des conversions de certaines intellectuels britanniques du protestantisme (ou rien) au catholicisme pendant le XIXe siècle — Chesterton, le cardinal John Henry Newman, plus tard C.S. Lewis — est une passion pour moi. De tout ce que j’ai lu à cet égard, je trouve cette remarque mal informée. Mais peut-être que Proust veut suggérer autre chose, que Swann ne peut pas échapper à ses racines. Le contexte jusqu’à maintenant ne permet pas d’en tirer une conclusion.

On reprend vite la méchanceté de la princesse :

Mais la princesse voyant que M. de Froberville continuait à regarder Mme de Cambremer, ajouta moitié par méchanceté pour celle-ci, moitié par amabilité pour le général : « Pas agréable… pour son mari ! je regrette de ne pas la connaître puisqu’elle vous tient à cœur, je vous aurais présenté », dit la princesse qui probablement n’en aurait rien fait si elle avait connu la jeune femme. 

Elle partage une blague avec Swann sur Mme de Cambremer qui n’a aucun sens en traduction anglaise, mais dont je ne comprends rien en français non plus :

Enfin ces Cambremer ont un nom bien étonnant. Il finit juste à temps, mais il finit mal ! dit-elle en riant.

Il ne commence pas mieux, répondit Swann.

En effet cette double abréviation !…

C’est quelqu’un de très en colère et de très convenable qui n’a pas osé aller jusqu’au bout du premier mot.

Mais puisqu’il ne devait pas pouvoir s’empêcher de commencer le second, il aurait mieux fait d’achever le premier pour en finir une bonne fois. 

Ha… ha ? Je suis perdu.

On finit sur une autre douzaine de pages où Swann pense à Odette, et ici, il me semble que l’on a sauté dans les temps, car Proust nous dit que c’est en fait plusieurs ans depuis la rupture avec les Verdurin. Je crois que l’on aura le mariage la semaine prochaine — n’oubliez pas que dans la première partie du livre, Swann est déjà marié à Odette — mais au moins on a passé un moment en parlant de quelque chose d’autre. Même si c’était la princesse Pénible !

13 réflexions au sujet de « Dimanche avec la princesse des Laumes »

  1. Avatar de AnagrysAnagrys

    Pas trop sûr de moi concernant « cambremer », mais j’imaginerais bien que dans la tête des interlocuteurs ils verraient bien le mot finir comme celui de Cambronne.
    Je n’ai pas vraiment d’idée pour la première partie.
    Si mes souvenirs sont bons (j’écris sans vérification) il me semble qu’il s’agit d’une localité de Normandie.

    Aimé par 1 personne

    Répondre
    1. Avatar de Justin BuschJustin Busch Auteur de l’article

      Moi aussi ! Proust s’imagine souvent très malin mais je ne suis pas sûr que tout tombe comme il croit. Personne ici semble reconnaître les deux mots. Et vu que je le lis d’abord en traduction, ça n’a aucun sens en anglais.

      Aimé par 1 personne

      Répondre
      1. Avatar de BillieBillie (IEQH)

        Peut-être qu’à l’époque c’était incroyablement hilarant. Ça aurait été bien une note de l’éditeur (j’imagine que le texte a dû être un peu revu depuis sa parution pour coller au français d’aujourd’hui).

        Aimé par 1 personne

      1. Avatar de Jean- le solognotJean- le solognot

        Des cousins certainement La famille de Froberville est partie se réfugier outre atlantique avant la révolution française certains à Madagascar , A la Réunion ce village du même nom doit être leur berceau

        Aimé par 1 personne

  2. Ping : Saison 4, Épisode 2 — 5 Ans de Français | Un Coup de Foudre

  3. Ping : Dimanche avec le baron de Guermantes | Un Coup de Foudre

Répondre à encuisineavecpela Annuler la réponse.