Je vous ai menacé que j’allais peut-être écrire sur ce sujet, mon ami que je vois de plus en plus sous l’emprise d’un pays dont il n’a jamais vécu, ni ses parents non plus (et si j’ai bien compris, plusieurs générations avant ça). Ce n’est pas la première fois où nous aurons abordé ce sujet — il croyait sans preuves que la France a dû être sauvé par la Chine afin de rouvrir Notre-Dame. Ça vous donne, malheureusement, une idée du genre de propagande auquel il fait attention. Mais nous revisitons ce sujet parce qu’il a réussi à m’étonner la semaine dernière, et pas de bonne façon.

Sa thèse depuis des années, c’est que les États-Unis sont obligés de céder tout influence en Asie à la Chine, parce qu’elle est déjà la plus grande puissance au monde, et nous devrions donc faire un accord avec eux où la Chine aura exactement l’idée japonaise des années 1930, la Sphère de coprospérité de la Grande Asie orientale, sauf avec la Chine en tête. En échange, selon lui, les chinois devraient laisser l’Amérique du Sud aux États-Unis, façon la doctrine Monroe. Et à ses yeux, ça doit commencer avec l’annexion du Taïwan.
« Heureusement », et seulement un vrai impérialiste pourrait dire une telle chose, il ne croit plus que ce sera après une invasion, car il est certain que les taïwanais vont voter pour exactement ça, une chose qui n’est pas évident vu les attitudes exprimées dans des sondages : moins de 7 % de la population souhaite s’unir à la Chine (lien en anglais, mais vers une source taïwanaise). Et quand je lui ai dit, « Et si le vote est contre, la Chine continentale est obligée de l’accepter, oui ? », il m’a répondu que ça n’arrivera pas parce que la Chine a aussi un scrutin. C’est très soviétique, cette attitude : le vote compte seulement tant que le résultat est selon les souhaits du Parti.
Il faut se souvenir que sa famille a vécu en Indonésie pendant un siècle, et est partie seulement à cause des persécutions contre ceux d’origine chinoise par le gouvernement de Soeharto. On penserait qu’avec une telle histoire, il serait plus sensible aux conquêtes et aux persécutions contre les minorités. On ne pourrait pas avoir plus tort.
En parlant de ses fausses idées sur la restauration de Notre-Dame, je vous ai dit qu’il est tombé dans les griffes d’une communauté identitaire en ligne, qui lui donne des idées de la suprématie des Chinois. Mais je n’ai pas parlé de ses idées les plus inquiétantes. À l’époque, il m’avait appelé pour râler pendant une heure entière que le président Franklin Roosevelt n’aurait jamais dû être né. Comment ça ? Vous voyez, son grand-père Warren Delano (lien en anglais) était trafiquant d’opium, et il aurait dû être condamné à la peine de mort. Et si ça s’était produit, ainsi que la mort pour d’autres trafiquants, ce serait l’empire chinois qui aurait gagné contre le Japon plutôt que l’inverse. On parle donc de fantasmes revanchards.
Récemment — c’est-à-dire la semaine dernière — il m’a expliqué que c’était un mensonge occidental que la Chine était en train de supprimer la langue et la culture tibétaine. Ça, c’est un gros mensonge. Je lui ai envoyé un essai — en anglais ainsi qu’en français — par deux experts français en études tibétaines, qui dit, parmi d’autres choses :
Les écoles tibétaines comme celles des autres ethnies ferment les unes après les autres et les initiatives privées d’enseignement du tibétain le soir ou dans les monastères pendant les vacances sont dorénavant interdites. Les collèges et lycées doivent enseigner uniquement en chinois, et cela concerne aussi la plupart des écoles primaires et même les jardins d’enfants dans les zones rurales.
La nouvelle politique linguistique au Tibet et ses conséquences
Sa réponse ? « La France fait pareil ; cherche « La honte et le châtiment » ». Ce dernier est un livre, publié cette année, par une bretonne, sur la politique de francisation en Bretagne ainsi qu’au Sénégal. Je n’exprime aucun avis sur ses contenus ; je ne l’ai pas lu. Mais je sais qui ne l’a pas lu non plus, et je trouve cette réponse très peu sincère. Est-ce la politique de la France envers le breton ou l’occitan maintenant ? Ben non, même si — et j’ai écrit sur ça avant — j’admire qu’il n’y ait qu’une langue officielle de la République. Il ne sait rien de ça, et franchement, il s’en fout — tout comme son intérêt à tuer les ancêtres de nos présidents, c’est juste une question de trouver n’importe quelle excuse pour justifier la politique du gouvernement chinois.
Je ne vais pas vous dire pourquoi il m’a dit pendant cette même conversation que la Chine est en train « d’éduquer » les Ouïghours. Mais juste hier, il m’a envoyé un article d’un magazine américain pour dire que le concours de l’IA est déjà remporté par la Chine, parce qu’ils construisent plus de centrales pour avoir assez d’électricité. Chaque réclamation faite au nom de la Chine n’est rien que la vérité pour lui ; chaque critique n’est qu’une combinaison de racisme et d’hypocrisie.
Je veux que vous compreniez : il n’est pas du tout unique à cet égard. Ce que j’essaie d’exprimer ici depuis des années en parlant des États-Unis, c’est que nous devenons de plus en plus les Balkans : chaque groupe identitaire n’est que pour lui-même. Je connais ce monsieur depuis 30 ans déjà ; il est mon meilleur ami pendant tout ce temps. Je hais ce que je vois lui arriver, mais je refuse de le quitter, la mode de nos jours chez moi. Ce n’est pas ce qui fait un ami.

Beaucoup de choses ici, donc ça va être long, désolé Justin…
Sur l’envie de Taiwan de se réunir avec la Chine continentale, il ne s’agit que d’un sentiment de ma part mais je crois que la manière dont le Parti s’est occupé récemment d’un autre territoire revenu dans son giron a mis fin à toute possibilité de réunification pacifique pour les cent prochaines années. L’impatience du guide suprême a été fatale à cette idée, impatience au passage très surprenante pour un fin connaisseur des traités de stratégie chinois.
Sur les guerres de l’opium, cet ami semble oublier un… petit… tout petit détail : le fait qu’elles aient été possibles est due à la faiblesse et à la corruption du gouvernement des Qing finissants. Sans vouloir entrer dans une dystopies, si ça guerres n’avaient pas eu lieu, le Japon impérial aurait eu face à lui des armées à la mode du XVIIIe siècle dont il n’aurait fait qu’une bouchée.
Sur le Tibet, je ne suis pas trop sûr de moi, c’est un sujet dont je ne discute pas avec ma moitié, mais il me semble que les tibétains étaient soumis à la politique de l’enfant unique. De mémoire, il y a en Chine une cinquantaine d’ethnies minoritaires, c’est la seule qui était soumise aux mêmes restrictions que les Han (l’ethnie majoritaire).
La politique linguistique française : je ne sais pas pour la Bretagne, mais dans la jeunesse de mes parents tout enfant surpris à parler en alsacien à l’école était sévèrement puni. D’autant plus que les enseignants venus de « l’intérieur » considéraient qu’il s’agissait de la langue des voisins. Il y a eu, en France, une politique active d’éradication des langues et parlers régionaux. On en revient. Mais peut-on excuser un gouvernement d’avoir un comportement de m…. parce-que d’autres l’ont eu avant ? Quand ma mère essayait d’utiliser l’argument « les autres le font aussi » pour négocier un truc avec sa mère, la réponse était invariablement : « et si les autres sautent par la fenêtre, tu le fais aussi ? ». Votre ami aurait-il envie de justifier un massacre quelconque commis par la Chine par le fait que « les Japonais l’ont fait à Nankin » ?
Bon courage Justin, c’est tout à votre honneur de vouloir maintenir le dialogue, s’il s’est fait laver le cerveau ça va être difficile… avec un peu de chance vous pourrez peut-être planter quelques graines de bon sens…
J’aimeAimé par 3 personnes
Ce n’est que mon avis, et je ne suis pas la meilleure personne pour ce faire, mais il me semble que l’on ne peut pas mettre la Bretagne et le Sénégal au même niveau. Pour la Bretagne et les autres régions qui revendiquent l’usage des langues régionales, il faut se replonger dans les histoires matrimoniales des rois de France, qu’il y ait eu une unification du langage commun n’a rien de choquant en soi, hormis la façon avec laquelle on y est arrivés !
Pour le Sénégal, et pas que, toutes les autres colonies françaises doivent connaître, plus ou moins, les mêmes problèmes, cela devait faire partie des fausses promesses d’un avenir meilleur pour ceux qui apprenaient « nos ancêtres les Gaulois »… sauf qu’une fois arrivés en métropole, ceux qui ont osé le faire ont rapidement déchanté, il n’y avait pas de place pour eux… C’est sûrement aussi le lot d’autres pays colonisés par nos voisins ?
J’aimeAimé par 4 personnes
Pas facile de se mettre d’accord mais l’essentiel est de rester amis !😉
J’aimeAimé par 2 personnes
C’est une bretonne qui a mis la Bretagne et le Sénégal ensemble, mais je ne connais pas vraiment les détails de son argument. Dans ce cas, ce qui m’a frappé était le fait que mon ami qui ne parle pas le français a cité ce livre qu’il ne peut pas lire (et qui n’a certainement pas été traduit en anglais).
J’aimeAimé par 2 personnes
Je ne vais pas polémiquer, je ne suis pas experte en science politique, mais j’avais eu une conversation avec Dominique à ce sujet ici => https://dodomartin.wordpress.com/2023/12/24/la-taille-verte/
Je ne sais pas pourquoi, la belle vitrine qu’ils envoient à l’occident déclenche chez moi tous les signaux de la secte et du lavage de cerveau programmé… je voudrais me tromper sur l’intention ! 😦
J’aimeAimé par 1 personne
Le problème avec ces gens-là, ceux qui se font retourner le cerveau, c’est qu’ils se satisfont de ce qu’on leur serine. Ils ne cherchent pas d’autres questionnements !
Malheureusement, avec toutes les fausses informations, il y a tellement de personnes qui ne vérifient rien, et surtout qui sont persuadées d’avoir raison. Comment faire, avec elles ?
Je connais une commerçante qui est persuadée que la Terre est plate…
Tu as raison Justin de conserver le dialogue avec ton ami, mais je pense que ce sera très difficile de le raisonner.
J’aimeAimé par 1 personne
Les Indiens (de l’Inde) ont un avis sur la « terre plate ». Au 4e siècle, un grand mathématicien a écrit : « La Terre est plate jusqu’à 30 kilomètres » (avec une unité de l’époque). C’est précisément l’expérience des navigateurs.
Et aussi sur la politique linguistique. Il y a deux langues administratives en Inde : l’Hindi (qui est parlé au Parlement) et l’Anglais (pour la police et l’armée). Les études secondaires sont diffusées en anglais, mais les études primaires se font dans la langue régionale. De sorte que toute personne éduquée connaît au minimum deux langues, et ça marche très bien. On aurait pu faire la même chose en France pour préserver les langues régionales tout en imposant une langue de communication commune à toute la République. Bon, il est possible qu’en Inde les choses aient changé avec le gouvernement ultra-nationaliste du sinistre Modi.
À Delhi j’avais un comptable Sindhi qui écrivait les livres de comptes en gujarati. C’était légal bien que cette langue ne soit pas celle de la capitale. Mais ça permettait de « simplifier » les audits. 😉
J’aimeAimé par 2 personnes
Ton ami devrait partager ses théories avec Trump. Ça ferait des étincelles ! 😀
J’aimeAimé par 1 personne
Ping : Saison 4, Épisode 21 — Du pain perdu et des jeux | Un Coup de Foudre