Portrait de Molière par Nicolas Mignard

Tout petit

Dans le Congrès des États-Unis, il y a une règle particulièrement malhonnête, dite « révise and extend » (réviser et étendre). Un député peut dire « Bla-bla-bla », puis « Je réserve le droit de réviser et étendre mon discours », et ça veut dire que les records officiels montreront n’importe quelle autre chose au lieu de ce qu’il a dit. La seule limite, c’est que cette règle ne s’applique qu’aux discours d’une minute (lien en anglais). Sinon, les archives seraient complètement falsifiées !

À son tour, Langue de Molière revisite parfois certains sujets, s’il y en a plus à dire. Mais je me sens comme si cette fois, je serai coupable de tout ce que je n’aime pas chez le Comgrès. Bon, pas la partie où les membres achètent des actions selon des infos non-publiques qu’ils apprennent en faisant leur boulot. Mais je vais quand même réviser et étendre mes commentaires sur l’accord de « tout ».

En relisant mon livre, j’avais écrit « tout autre personne », parce que j’avais suivi l’exemple de Mme Aurore Ponsonnet, repris ici :

Je ne sais pas vous, mais mon oreille ne se plaignait pas. Cependant, j’ai compris cette règle à dire que puisque « autre » est un adjectif indéfini, c’est un des « autres cas » comme elle le dit, alors « tout » serait invariable chaque fois.

Mais on m’a dit qu’en fait, j’avais tort, et c’était plutôt « toute autre personne ». Ça donne envie d’arracher les cheveux ! Qu’est-ce qui se passe ? Selon Projet Voltaire :

Si « tout » peut être ôté de la phrase, c’est qu’il s’agit de l’adverbe signifiant « entièrement ». Étant invariable, comme tout adverbe, il ne prend pas de « e », même devant un nom féminin.

C’est une tout autre histoire. (= C’est une autre histoire.)

« tout autre » ou « toute autre », Projet Voltaire

Cependant, et c’est ici où j’aurais une dent contre Mme Ponsonnet si c’était possible, selon le même article, elle a tort à dire que « tout » s’accorde seulement devant les cas au féminin ; c’est les indéfinis aussi :

Si, en revanche, « tout » ne peut être ôté de la phrase, il s’accorde. C’est un adjectif indéfini. On peut alors le remplacer par « n’importe quelle ».

Toute autre personne se serait réjouie. (= N’importe quelle autre personne se serait réjouie.)

Mais elle a dit que sans liaison, l’oreille n’est pas satisfait, et voici un cas où ce manque de liaison est obligatoire. En plus, personne ne va me convaincre que l’on fait ce test — « Puis-je ôter le « tout » ? » — en parlant. Il faut donc simplement s’en souvenir.

Une autre erreur du livre, du même genre ? On m’avait convaincu que « des » se transformait en « de » devant tout adjectif. Pourtant, j’ai écrit « Couper de petits rectangles » dans la recette de Canistrellis, et on m’a corrigé que c’était en fait « des petits rectangles ».

Vous faites la guerre contre mes cheveux, hein ? J’ai recherché cette question ; voici l’astuce de l’Office québécois de la langue française :

Lorsqu’il se trouve devant un nom précédé d’un adjectif, le déterminant indéfini pluriel des est généralement réduit à de (ou d’)…

Comme tu as de jolis cheveux !

Des devant un adjectif antéposé

Pas si longtemps avec les cheveux si vous continuez tous comme ça ! Mais ils continuent :

Toutefois, si l’adjectif et le nom forment un nom composé, le déterminant conserve la forme des

  • Des grands-pères
  • Des petits pois

Je ne suis pas si sûr si le changement était correct selon cette règle. Un « petit pois » est un genre de pois, différent d’un pois mange-tout. Un petit rectangle n’est pas un genre de rectangle — on pourrait couper la pâte à n’importe quelle taille.

L’Académie française est un peu ambiguë sur la question. Sans aborder la question de « noms composés », elle dit :

Quand le nom est précédé d’une épithète, au pluriel, des est ordinairement remplacé par de (de belles plages) dans la langue écrite et dans la langue parlée soignée. Mais des, qui n’est ni récent ni incorrect, se rencontre encore.

Avant le XVIIe siècle, on employait indifféremment de ou des…

Dire, Ne Pas Dire

Indifféremment, hein ? J’aime bien ce XVIe siècle avec son indifférence aux articles, son manque d’antibiotiques et de plomberie… euh, bon, peut-être que je préfère l’actualité après tout !

Langue de Molière vous reverra la semaine prochaine pour hisser le pavillon pirate.

19 réflexions au sujet de « Tout petit »

  1. Avatar de Bernard BelBernard Bel

    Je n’avais jamais vu ces règles d’usage… Elles renforcent mon idée qu’il était terriblement compliqué de générer automatiquement des textes bien formés en français. Car les règles sont innombrables. Les grands modèles de langage (LLM) ont contourné le problème en « compilant » les usages.

    Mais ça me fait penser à la centaine de règles que j’ai dû écrire pour avoir des liaisons (plus ou moins) correctes dans la synthèse de parole (text to speech) en français !

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  2. Avatar de C'est en lisant...C'est en lisant...

    Comme toujours, Justin, tes articles concernant notre langue sont un régal pour notre esprit cartésien qui s’exprime pourtant dans une langue dont la grammaire est plus d’une fois incohérente. Je t’apprécie aussi pour nous proposer si souvent des remarques tellement judicieuses.Alors je te partage le lien d’une transcription d’émission intéressante, me semble-t-il, sur la question de l’orthographe : il est question de déterminer la date à laquelle on a estimé qu’existaient les « fautes d’orthographe ». (https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/questions-du-soir-l-idee/quand-est-nee-la-faute-d-orthographe-3684339) J’ai appris là que George Sand disait en faire : nous voilà en éminente compagnie ( j’apprécie infiniment cette auteure).
    Et j’ai remarqué que la transcription de l’émission de radio contient au moins une faute quand on y lit « on a aucune mention de faute d’orthographe… » , au septième paragraphe, au lieu de « on N’a aucune mention…etc » Tu vois : nous sommes de nombreux Français à en commettre et même ceux qui en parlent et y accordent un grand intérêt !!! Perso… Je fais comme je peux et n’ai pas mieux à dire sur les deux points que tu as soulevés. Passe un excellent mercredi.

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  3. Avatar de vanadze17vanadze17

    Que de possibilités de faire des fautes de grammaire française !

    Perso, je ne considère pas de fautes dans l’expression « de petits rectangles ». Dans les recettes, on trouve souvent « couper de petits morceaux »…
    Quant à la règle avec « tout », je pense faire la faute…

    Merci de nous ouvrir les yeux Justin, sur tous ces détails.

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  4. Avatar de AnagrysAnagrys

    J’ai une théorie, qui n’est fondée que sur ma connaissance de l’Histoire — autant dire qu’elle n’est pas fondée, le sujet m’intéresse mais pas au point d’avoir un quelconque titre universitaire dans le domaine. Cette théorie dit que le français est venu bien avant sa grammaire et que cette dernière a été mise en place, de façon parfois arbitraire, en essayant de généraliser des usages qui ne l’étaient pas à l’origine. Le problème de cette grammaire, c’est que bon nombre de locuteurs n’en avaient rien à faire de ce que disait Vaugelas, pour paraphraser Jean-Baptiste, et ont continué à parler « comme on parle cheux nous ».

    « Et Jehanne la bonne Lorraine,
    Qu’Englois brulerent a Rouan,
    Ou sont ilz, Vierge souveraine ?
    Mais ou sont les neiges d’antan ? »
    (orthographe tirée telle quelle de ma copie des œuvres complètes de François Villon, sans rien y changer)

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      1. Avatar de AnagrysAnagrys

        Je pense surtout qu’il s’écrivait comme chacun voulait l’écrire 😊
        Ce petit exercice m’a rendu curieux, je chercherais bien l’une ou l’autre transcription de ce poème datant d’avant l’imprimerie, s’il est encore possible d’en trouver, mon édition doit dater du début du XXe siècle.

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    1. Avatar de Justin BuschJustin Busch Auteur de l’article

      Il y a au moins une règle en anglais qui conforme à cette théorie. Avant le XVIIIe siècle, c’était parfaitement acceptable de mette des adverbes entre le mot « to » et l’infinitif : « to boldly go », « to quickly run ». Mais des profs ont décidé qu’il fallait imiter le latin, où cet usage est interdit. Ce qui n’empêche beaucoup de monde de continuer de le faire !

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    2. Avatar de LadyButterflyLadyButterfly

      Pour te répondre, ayant fait les études qui correspondent (et n’ayant pas pour autant toutes les réponses, vu le sujet !), oui, le français s’écrivait de manière totalement aléatoire jusqu’au moment où on a décidé de fixer, souvent, arbitrairement des règles.

      La grammaire s’établit dès la Renaissance (Marot, pour commencer) et l’orthographe va rester encore un peu fluctuant.

      Plus amusant, quand tu lis les originaux des manuscrits de Zola, Proust et autres, le nombre de « fautes » qu’on peut relever ….et qui, pour ces chers auteurs devenus classiques, n’en étaient pas totalement.

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  5. Ping : Saison 4, Épisode 25 — Blâmez pas La Poste | Un Coup de Foudre

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