Dimanche avec la Vierge de Balbec

Vous ne pensiez pas qu’une petite chose comme le bouleversement complet de ma quotidienne allait annuler Dimanche avec Marcel, non ? C’est trop important (et j’ai toujours trop mal aux genoux pour passer beaucoup de temps en rangeant le nouvel appartement). On reprend donc « À l’ombre des jeunes filles en fleurs ». Cette fois, je n’ai avancé que de 15 pages.

La dernière fois, notre jeune ingrat vient d’arriver en Vieux-Balbec, dit Balbec-en-Terre. En attendant l’arrivée de sa grand-mère et Françoise, il visite l’église de Balbec, possédée d’une statue du Christ avec une histoire tirée directement de l’histoire de la Somme :

Balbec-en-terre, où je me trouvais, n’était ni une plage ni un port. Certes, c’était bien dans la mer que les pêcheurs avaient trouvé, selon la légende, le Christ miraculeux dont un vitrail de cette église qui était à quelques mètres de moi racontait la découverte…

Mais plutôt que le Christ attendu, c’est une statue de la Vierge qui fait la renommée de l’église de Balbec. Le narrateur nous dit qu’il avait été impressionné par des moulages au musée du Trocadéro, mais une fois face à la vraie :

c’était elle enfin, l’œuvre d’art immortelle et si longtemps désirée, que je trouvais, métamorphosée ainsi que l’église elle-même, en une petite vieille de pierre dont je pouvais mesurer la hauteur et compter les rides.

Rien ne suffit jamais pour celui-ci ! Quand je me suis retrouvé face au Premier Consul passe les Alpes, Le Radeau de la Méduse, Le Serment des Horaces et Jeanne d’Arc d’Ingres en l’espace d’une journée, je ne me suis pas dit : « Bah, c’était mieux en photos dans mon manuel scolaire » !

Il y a un autre train à prendre pour passer de Vieux-Balbec à Balbec-plage, et c’est au quai où nous apprenons que :

je retrouvai ma grand’mère mais l’y retrouvai seule — car elle avait imaginé de faire partir avant elle, pour que tout fût préparé d’avance (mais lui ayant donné un renseignement faux n’avait réussi qu’à faire partir dans une mauvaise direction), Françoise qui en ce moment sans s’en douter filait à toute vitesse sur Nantes et se réveillerait peut-être à Bordeaux.

La bienheureuse Françoise sera donc peut-être épargnée une semaine de ces anti-vacances.

Je note une deuxième expérience où le narrateur se révèle mon opposé, sur le train vers Balbec-plage :

À tout moment le petit chemin de fer nous arrêtait à l’une des stations qui précédaient Balbec-Plage et dont les noms mêmes (Incarville, Marcouville, Doville, Pont-à-Couleuvre, Arambouville, Saint-Mars-le-Vieux, Hermonville, Maineville) me semblaient étranges…De même, rien moins que ces tristes noms faits de sable, d’espace trop aéré et vide, et de sel, au-dessus desquels le mot ville s’échappait comme vole dans pigeon-vole…

Pour le narrateur, ces noms inconnus sont tristes et sans signification. Pour un plus vieux Justin, arrivant en France pour la première fois :

Mais je veux que vous regardiez cette carte du RER B d’autre façon, comme je l’ai vu. Je ne connaissais aucun de ces endroits, et pour moi chacun et tout aurait pu être le site du château de Cendrillon, pour autant que je sache.

Je découvre la Seine-Saint-Denis

J’avoue ici que je devais beaucoup à un chapitre d’Orthodoxie par G.K. Chesterton, « L’Éthique du pays des fées », mais je note que j’étais déjà au courant de la réputation de la Seine-Saint-Denis. C’est tout une question d’attitude. Quelle tristesse pour le jeune narrateur qu’il ne puisse pas regarder tous ces endroits inconnus comme un champ de possibilités, avec espoir plutôt qu’avec cynisme. Franchement, avec toutes les vies fantasmatiques qu’il vit dans sa tête, je trouve ça plus que surprenant.

Le narrateur et sa grand-mère arrivent enfin au Grand-Hôtel, où j’étais surpris à lire :

Tandis que j’entendais ma grand’mère, sans se froisser qu’il l’écoutât son chapeau sur la tête et tout en sifflotant, lui demander avec une intonation artificielle : « Et quels sont… vos prix ?… Oh ! beaucoup trop élevés pour mon petit budget »

À l’époque, on pouvait négocier les prix avec les hôtels ? Essayez ça chez Accor ou Hilton de nos jours !

Le narrateur est émerveillé par un ascenseur :

le directeur vint lui-même pousser un bouton : et un personnage encore inconnu de moi, qu’on appelait « lift » (et qui à ce point le plus haut de l’hôtel où serait le lanternon d’une église normande, était installé comme un photographe derrière son vitrage ou comme un organiste dans sa chambre), se mit à descendre vers moi avec l’agilité d’un écureuil domestique, industrieux et captif. 

Il faut se souvenir qu’il s’agit des années 1890. Mais quelle description de ce machin quotidien !

On finit cette fois sur un instant qui serait reçu plutôt différemment à notre époque :

ayant vu qu’elle voulait m’aider à me coucher et me déchausser, je fis le geste de l’en empêcher et de commencer à me déshabiller moi-même, elle arrêta d’un regard suppliant mes mains qui touchaient aux premiers boutons de ma veste et de mes bottines.

— Oh, je t’en prie, me dit-elle. C’est une telle joie pour ta grand’mère.

Quelle époque, quand les ascenseurs étaient quelque chose de bizarre, mais déshabiller ses parents ados du sexe opposé, non !

7 réflexions au sujet de « Dimanche avec la Vierge de Balbec »

  1. Avatar de C'est en lisant...C'est en lisant...

    Encore un article qui me plaît beaucoup par tes commentaires spontanés. Néanmoins lorsque je me suis trouvée devant Monna Lisa (je viens juste de lire qu’il faut deux n dans cette abréviation de « Madonna » : https://grandpalais-immersif.fr/actualite/la-joconde-mona-lisa-ou-monna-lisa!), j’ai pensé « Comme il est rikiki, ce tableau ! » Car mon imagination lui avait donné un caractère immense ! Alors une statue de la vierge peut bien avoir pris un coup de vieux ! Emoji: smiley qui fait un clin d’oeil.

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    1. Avatar de AnagrysAnagrys

      C’est pour ça que dans la Salle des États, il convient de ne pas suivre la masse et de se retourner, ce qui se trouve en face vaut largement le déplacement, et en plus bien peu la regardent !
      (tu peux chercher « Noces de Cana » chez moi)

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  2. Ping : Saison 4, Épisode 30 — Adieu, Elbe-en-Irvine | Un Coup de Foudre

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