Portrait de Molière par Nicolas Mignard

Tirez !

Lundi, je vous ai dit que j’avais fini Final Fantasy V. Aujourd’hui est Langue de Molière, pas la suite de mon post pour reprendre le jeu — mais c’est quand même le jeu qui est responsable du post du jour. Peut-être que vous vous souvenez de cette photo :

C'est un bal dans un palais. On dit « La princesse Lenna est mignonne mais la princesse Sarissa est canon ! »

Ce n’était pas la première fois où j’ai entendu le mot « canon » utilisé de cette façon. Mais c’est sans question l’un des usages qui me rend le plus perplexe de toute la langue française.

Ce mot existe tel quel en anglais. Et il y a plusieurs sens partagés entre les deux langues. Quand on parle de droit canon, la loi de l’Église, on dit « canon law » en anglais, une traduction exacte. Quand on chante une chanson où tout le monde chant la même partition, mais commence à des moments différents, comme dans la comptine anglaise « Are You Sleeping. Brother John? », ça s’appelle « chanter en canon ». Quoi, vous ne reconnaissez pas ce titre ? Allez :

Ah, oui, j’oublie parfois qui fait tout en anglais et tout en français. Cette comptine est beaucoup mieux connu aux États-Unis sous un titre français, avec des paroles pareilles, « Frère Jacques » :

Mais ce n’est pas la fin de nos canons en commun. Lié au droit canon, il y a l’idée des livres ou des histoires qui font autorité. On parle également en anglais qu’en français du canon biblique. On a tendance parmi les communautés anglophones de fans de telle ou telle série d’abuser du nom quand il s’agit de l’adjectif. On dit donc « C’est canon que les Bisounours sont les ancêtres de Dark Vador » quand le bon usage serait plutôt « C’est canonique que les Bisounours… ». Mais c’est assez proche.

Cependant, ce que je trouve absolument bizarre, c’est que le français utilise uniquement « canon », avec un seul « n » au milieu du mot, pour les sens liés aux armes à feu, où le mot équivalent en anglais utilise deux « n », « cannon ». L’une des erreurs les plus fréquentes que je vois pas des francophones écrivant en anglais, c’est de doubler les consonnes partout. En français, on écrit « passionnant » ; l’anglais est « passionate ». En français, on écrit « raisonnable », l’anglais est « reasonable ». C’est donc étonnant que ceci est un « cannon » en anglais, mais « canon » en français :

Canon à Yorktown, Virginia, Photo par Mobilus In Mobili, CC BY 2.0

Mais vous aimez tant ce mot que vous l’utilisez pour toute la gamme d’armes à feu où l’anglais a une diversité de vocabulaire. Ceci est un « fusil à canon double » fabriqué en France vers 1784 :

Fusil à canon double par Nicolas Bouillet, Photo par Metropolitan Muséum of Art, Domaine public

En anglais, on appelle la partie dite « canon » un « barrel ». Même chose chez les « rifles » en anglais ; ce sont des « fusils à canon rayé » en français.

Ce qui est encore plus étonnant, c’est que le français fait ça malgré le fait que les mots n’ont pas d’histoire en commun. Le « cannon » anglais vient de « canon » en français du temps de Guillaume le Conquérant, mais à son tour, le français l’a emprunté à l’italien « cannone », venant originalement du latin « canna », d’où la canne de « canne à sucre ». Mais l’autre « canon », celle de l’Êglise et de la Guerre des Bisounours, ça vient du grec « kanōn », ce qui veut dire une règle ou un modèle.

Mais ce que je trouve le plus bizarre de toute cette histoire ? Alors que mon dictionnaire bilingue Oxford est au courant de tous ces sens de canon, il semble que le Trésor de la Langue française ne connaît que les « objets en forme de tube ». Le sens de l’adjectif qui m’a lancé sur cette enquête n’y apparaît pas du tout, et le sens de l’église uniquement dans d’autres entrées telles que « canoniste », un spécialiste en droit canon. Je ne m’attendais pas du tout à ce résultat !

Langue de Molière vous reverra la semaine prochaine avec une traduction biblique particulièrement française.

10 réflexions au sujet de « Tirez ! »

    1. Avatar de Justin BuschJustin Busch Auteur de l’article

      Il y avait un moment pendant les années 1970 quand j’aurais dit que oui ; lire les recueils et les journaux de l’époque est une expérience très différente de ceux d’aujourd’hui. Ça fait des décennies depuis la dernière fois où on aurait pu publier des réflexions genre Langue de Molière dans un journal considéré sérieux, malheureusement.

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