On reprend maintenant « À l’ombre des jeunes filles en fleurs ». Cette fois, j’ai avancé de 30 pages.
Vous souvenez-vous du point de départ de cette série, où notre narrateur-bébé se mettait à pleurer si sa mère ne venait pas le coucher dans sa chambre à Combray ? Mais au moins, l’excuse à l’époque était sa jeunesse, et maintenant, il a grandi, d’accord ? Voici pourquoi « grandir » n’a rien à voir avec « devenir adulte » :
Et quand ayant passé la soirée dehors avec Saint-Loup je songeais pendant le trajet du retour au moment où j’allais pouvoir retrouver et embrasser ma grand’mère… je finissais par me coucher, lui en voulant un peu de ce qu’elle me privât, avec une indifférence si nouvelle de sa part, d’une joie sur laquelle j’avais compté tant, je restais encore, le cœur palpitant comme dans mon enfance, à écouter le mur qui restait muet et je m’endormais dans les larmes.
C’est lui qui l’a dit !
Le saviez-vous ? Véronique Sanson était censée s’échapper à Michel Berger pour se marier avec Proust, pas Stephen Stills :
J’avais vu descendre de voiture et entrer, les unes dans la salle de danse du Casino, les autres chez le glacier, des jeunes femmes qui, de loin, m’avaient paru ravissantes. J’étais dans une de ces périodes de la jeunesse, dépourvues d’un amour particulier, vacantes, où partout — comme un amoureux la femme dont il est épris — on désire, on cherche, on voit la beauté.
« Mais Justin », me dites-vous, « qu’est-ce que vous racontez ? » Stephen Stills a écrit une chanson en 1970 où il a chanté : « Quand tu ne peux pas être près de celui que tu aimes, aime celui qui est près de toi. » Évidemment, Proust était là avant lui.
(Les élèves de ce blog auront remarqué qu’aucune histoire française ne m’a autant traumatisé que celle-ci. Il y a des références partout.)
Il suit des pages où le narrateur poursuit cette bande sans leur parler, et on entend le genre de compliments qui expliquent pourquoi ça fait 12 ans depuis mon dernier rendez-vous, car nous sommes trop similaires :
une autre, au visage blanc comme un œuf dans lequel un petit nez faisait un arc de cercle comme un bec de poussin
Une malheureuse attire son attention sans avoir essayé, dans un instant digne du Gendarme et les extra-terrestres :
cette jeune fille coiffée d’un polo qui descendait très bas sur son front m’avait-elle vu au moment où le rayon noir émané de ses yeux m’avait rencontré ?
Suis-je le seul à me souvenir de Mlle de Stermaria ? Ça fait 200 pages depuis la dernière fois où il s’est intéressé à elle. Oubliez-la, elle n’est pas de retour. Il est trop attiré par cette nouvelle inconnue :
Je savais que je ne posséderais pas cette jeune cycliste si je ne possédais aussi ce qu’il y avait dans ses yeux.
Impossible que je sois le seul à penser à Michel Galabru imité par les extra-terrestres du film avec les rayons émanant des yeux. Mais il nous dit qu’elle n’est pas idéale, car :
une jeune fille rousse à la peau dorée était restée pour moi l’idéal inaccessible
Ah, je me trompais ; c’est plutôt Charlie Brown le narrateur !
Le strip suit également ses tentatives malheureuses pour faire la connaissance d’une petite fille rousse… dont il est amoureux et à laquelle il ne trouve jamais le courage d’adresser la parole.
Charlie Brown
Comme j’ai dit plusieurs fois au passé, je connais trop ce type :
Aussi, je pouvais me dire avec certitude que, ni à Paris, ni à Balbec, dans les hypothèses les plus favorables de ce qu’auraient pu être, même si j’avais pu rester à causer avec elles, les passantes qui avaient arrêté mes yeux, il n’y en avait jamais eu dont l’apparition, puis la disparition sans que je les eusse connues, m’eussent laissé plus de regrets que ne feraient celles-ci, m’eussent donné l’idée que leur amitié pût être une telle ivresse.
Il ne va donc pas gaspiller l’opportunité, non ?
Je rentrai parce que je devais aller dîner à Rivebelle avec Robert
GAAAAAHHHHHJ ! Une quinzaine de pages pour rien. Arrêtez d’être moi, vous !
Mais ce sera peut-être important plus tard :
J’avais entendu une dame dire sur la digue : « C’est une amie de la petite Simonet »
J’ai souvent cherché depuis à me rappeler comment avait résonné pour moi, sur la plage, ce nom de Simonet, encore incertain…
je ne cessai plus de me demander comment je pourrais connaître la famille Simonet ; et cela par des gens qu’elle jugeât supérieurs à elle-même
Quelque part, Gilberte soupire « Je sais ».
Mais revenons à nos saumons :
le ciel, du même rose qu’un de ces saumons que nous nous ferions servir tout à l’heure à Rivebelle
On finit avec la liste de visiteurs qu’il voit à cause d’Aimé, le maître d’hôtel :
On frappa ; c’était Aimé qui avait tenu à m’apporter lui-même les dernières listes des étrangers.
Aimé, avant de se retirer, tint à me dire que Dreyfus était mille fois coupable…
Ce ne fut pas sans un léger choc au cœur qu’à la première page de la liste des étrangers, j’aperçus les mots : « Simonet et famille ».
Dommage, j’étais prêt à lire la polémique sur Dreyfus, après les deux dernières semaines de polémiques. La prochaine fois, peut-être !


