Archives pour la catégorie Dimanche avec Marcel

Assiette de madeleines faites maison par Justin Busch

Dimanche avec Mme Cottard

On reprend Du côté de chez Swann. Cette fois, j’ai avancé de 40 pages, et atteint la fin de la partie dit « Un amour de Swann ». Il nous reste 60 pages pour terminer ce pavé, étant la entièreté de « Nom de pays : Le nom », un titre bien mystérieux. Je ferai mon tout pour que la semaine prochaine soit la fin de Swann (est-ce que ça rime à vos oreilles comme aux miennes ?) Mais ne vous inquiétez pas, les amoureux de travaux douloureux, il nous reste 5 tomes de suite !

On plonge tout de suite dans un jeu digne des années collégiennes — n’oubliez pas que ce sont censés être des adultes :

Odette lui avait dit, avec un regard souriant et sournois qui l’observait : « Forcheville va faire un beau voyage, à la Pentecôte. Il va en Égypte », et Swann avait aussitôt compris que cela signifiait : « Je vais aller en Égypte à la Pentecôte avec Forcheville. »… Alors il voulait apprendre si elle était la maîtresse de Forcheville, le lui demander à elle-même.

Puis on lui envoie une lettre anonyme pour lui dire :

…qu’Odette avait été la maîtresse d’innombrables hommes (dont on lui citait quelques-uns parmi lesquels Forcheville, M. de Bréauté et le peintre), de femmes, et qu’elle fréquentait les maisons de passe.

Comme je vous ai dit il y a des semaines, tout le monde sauf Swann, même moi, savait déjà qu’Odette était une cocotte et non pas du Creuset ! Mais ne vous inquiétez pas, notre Swann ne se permet pas à croire aux preuves des yeux :

Quant au fond même de la lettre, il ne s’en inquiéta pas, car pas une des accusations formulées contre Odette n’avait l’ombre de vraisemblance.

Comme il me rappelle moi-même !

Il parle à Odette des contenus de la lettre, sans divulguer leur source, et elle lui rassure que ce sont tous des mensonges. Mais pour cette acte d’omission, Proust nous dit :

En somme il mentait autant qu’Odette parce que, plus malheureux qu’elle, il n’était pas moins égoïste.

L’obsession de Swann ne le permet pas d’arrêter. Il l’affronte afin de demander :

Tu te souviens de l’idée que j’avais eue à propos de toi et de Mme Verdurin ? Dis-moi si c’était vrai, avec elle ou avec une autre.

Elle est offensée, mais ne le nie plus, ce qui amène Swann à penser quelque chose d’imbecile :

Il voulait que la chose affreuse qu’elle lui avait dit avoir faite « deux ou trois fois » ne pût pas se renouveler. Pour cela il lui fallait veiller sur Odette.

C’est pratiquement la demande de mariage, ce dernier. Mais Swann étant un véritable Sherlock Holmes, il doit continuer son enquête parmi des gens de réputation sans faute :

Quelquefois il allait dans des maisons de rendez-vous, espérant apprendre quelque chose d’elle, sans oser la nommer cependant. « J’ai une petite qui va vous plaire », disait l’entremetteuse. Et il restait une heure à causer tristement avec quelque pauvre fille étonnée qu’il ne fît rien de plus. Une toute jeune et ravissante lui dit un jour : « Ce que je voudrais, c’est trouver un ami, alors il pourrait être sûr, je n’irais plus jamais avec personne. »

Combien de mots y a-t-il en français pour les bordels ? On a vu « maison de passe » et « maison de rendez-vous » juste pendant les 100 dernières pages, et je connaissais déjà « maison close ». Je crains à même dire le mot « maison », de peur que l’on en tire la mauvaise idée !

Il ne reste que de trouver un dernier label de qualité venant d’une autre personne de confiance. Ça nous arrive sous la forme de Mme Cottard, amie des Verdurin, qui rencontre Swann dans la rue et lui dit :

« Quand Odette est quelque part, elle ne peut jamais rester bien longtemps sans parler de vous. Et vous pensez que ce n’est pas en mal. Comment ! vous en doutez ? » dit-elle, en voyant un geste sceptique de Swann…Mais elle vous adore !

On peut certainement faire confiance aux amis des Verdurin !

Pourtant, il s’avère que Proust nous amenait le long du mauvais chemin tout ce temps. Juste après cette conversation, Swann se pense :

Jadis ayant souvent pensé avec terreur qu’un jour il cesserait d’être épris d’Odette, il s’était promis d’être vigilant, et dès qu’il sentirait que son amour commencerait à le quitter, de s’accrocher à lui, de le retenir. Mais voici qu’à l’affaiblissement de son amour correspondait simultanément un affaiblissement du désir de rester amoureux. 

Et après un rêve bizarre où Odette le quitte pour Napoléon III, sauf que c’est vraiment Forcheville, il décide de la quitter définitivement, avec les mots qui terminent « Un amour de Swann » :

« Dire que j’ai gâché des années de ma vie, que j’ai voulu mourir, que j’ai eu mon plus grand amour, pour une femme qui ne me plaisait pas, qui n’était pas mon genre ! »

Je n’ai jamais connu un si fort désir de gifler Proust et Swann également qu’en lisant ces mots. On a passé la première partie du livre en entendant encore et encore qu’il avait épousé une femme de mauvaise réputation. Puis on a passé la grande majorité du livre avec l’histoire qui semblait être celle de cette femme. Et maintenant il s’avère que ce sera probablement toute autre personne ! (Il faut se souvenir que pour Proust, « définitivement » veut dire « jusqu’à 10 pages plus tard ».)

Pas cool, Marcel. Pas cool du tout.

Assiette de madeleines faites maison par Justin Busch

Dimanche avec la princesse des Laumes

On reprend Du côté de chez Swann. Cette fois, j’ai avancé de 40 pages — on est maintenant à 100 pages de la fin.

Je n’aime pas interrompre Swann quand il est en train de se plaindre dans sa tête, mais parlez pour vous-même, mon brave :

Swann retrouva rapidement le sentiment de la laideur masculine, quand, au delà de la tenture de tapisserie, au spectacle des domestiques succéda celui des invités.

Et pour info, c’est son avis en regardant deux hommes « alors qu’ils avaient été longtemps pour lui les amis utiles ». Je n’aimerais pas entrer dans la tête de certaines afin de connaître leurs pensées à cet égard, mais quel ami, celui-ci.

Il suit des observations sur les monocles portés par tel ou tel homme, ce qui m’amène à en conclure que Swann est en fait à une convention d’imitateurs du Pingouin. Mais ne vous inquiétez pas ; l’événement se révèle enfin un récital de flûte, auquel assistent un bon nombre d’aristocrates. Parmi ses rangs on trouve des marquises et des vicomtesses, mais aussi l’insupportable princesse des Laumes :

Pour montrer qu’elle ne cherchait pas à faire sentir dans un salon, où elle ne venait que par condescendance, la supériorité de son rang, elle était entrée en effaçant les épaules

Elle me rappelle quelqu’une. Et ce n’est pas juste mon avis :

Cependant Mme de  Gallardon était en train de se dire qu’il était fâcheux qu’elle n’eût que bien rarement l’occasion de rencontrer la princesse des Laumes, car elle souhaitait lui donner une leçon en ne répondant pas à son salut.

Comme je comprends ! Il y a une ancienne copine de classe de mon lycée qui, si jamais je la revoyais dans la vie, je lui jetterais un verre d’eau en plein visage, en récompense d’une insulte jamais oubliée. (Je n’ai jamais fait ça à personne, mais celle-ci m’a humilié de façon aussi choquante que pas méritée.) Proust se montre au moins efficace en évoquant des souvenirs, non ?

Mais Proust a un rôle pour Mesdames de Gallardon et des Laumes, une conversation qui recadre Swann après 470 pages :

Gallardon : Tiens, tu as vu ton ami M. Swann ?

Laumes : Mais non, cet amour de Charles, je ne savais pas qu’il fût là, je vais tâcher qu’il me voie.

Gallardon : C’est drôle qu’il aille même chez la mère Saint-Euverte… Oh ! je sais qu’il est intelligent… mais cela ne fait rien, un Juif chez la sœur et la belle-sœur de deux archevêques !

Laumes : J’avoue à ma honte que je n’en suis pas choquée.

Gallardon : Je sais qu’il est converti, et même déjà ses parents et ses grands-parents. Mais on dit que les convertis restent plus attachés à leur religion que les autres, que c’est une frime, est-ce vrai ?

Ici, j’ai triché, et fait des recherches sur Google. Il s’avère que Proust va aborder plus tard l’affaire Dreyfus. Mais dans ce contexte, j’aurais cru Mme Gallardon très à l’aise en Espagne de 1492, ou juste à travers la frontière allemande une décennie après la mort de Proust.

Cependant, je me permettrai une digression. Il se passe que pendant des décennies, le sujet des conversions de certaines intellectuels britanniques du protestantisme (ou rien) au catholicisme pendant le XIXe siècle — Chesterton, le cardinal John Henry Newman, plus tard C.S. Lewis — est une passion pour moi. De tout ce que j’ai lu à cet égard, je trouve cette remarque mal informée. Mais peut-être que Proust veut suggérer autre chose, que Swann ne peut pas échapper à ses racines. Le contexte jusqu’à maintenant ne permet pas d’en tirer une conclusion.

On reprend vite la méchanceté de la princesse :

Mais la princesse voyant que M. de Froberville continuait à regarder Mme de Cambremer, ajouta moitié par méchanceté pour celle-ci, moitié par amabilité pour le général : « Pas agréable… pour son mari ! je regrette de ne pas la connaître puisqu’elle vous tient à cœur, je vous aurais présenté », dit la princesse qui probablement n’en aurait rien fait si elle avait connu la jeune femme. 

Elle partage une blague avec Swann sur Mme de Cambremer qui n’a aucun sens en traduction anglaise, mais dont je ne comprends rien en français non plus :

Enfin ces Cambremer ont un nom bien étonnant. Il finit juste à temps, mais il finit mal ! dit-elle en riant.

Il ne commence pas mieux, répondit Swann.

En effet cette double abréviation !…

C’est quelqu’un de très en colère et de très convenable qui n’a pas osé aller jusqu’au bout du premier mot.

Mais puisqu’il ne devait pas pouvoir s’empêcher de commencer le second, il aurait mieux fait d’achever le premier pour en finir une bonne fois. 

Ha… ha ? Je suis perdu.

On finit sur une autre douzaine de pages où Swann pense à Odette, et ici, il me semble que l’on a sauté dans les temps, car Proust nous dit que c’est en fait plusieurs ans depuis la rupture avec les Verdurin. Je crois que l’on aura le mariage la semaine prochaine — n’oubliez pas que dans la première partie du livre, Swann est déjà marié à Odette — mais au moins on a passé un moment en parlant de quelque chose d’autre. Même si c’était la princesse Pénible !

Assiette de madeleines faites maison par Justin Busch

Dimanche avec le baron de Charlus

On reprend Du côté de chez Swann. Cette fois j’ai avancé de 53 pages. On est enfin aux trois quarts du livre.

De tous les néologismes anglais moches, parmi les pires est « negging », expression inventée par les dragueurs professionnels pour décrire un processus où on est censé attirer une femme en lui disant des choses négatives sur elle. Je vois que le français a importé ce terme. La théorie, telle que je la comprends, est qu’en quelque sorte, la cible voudra gagner l’approbation de la personne qui vient de la critiquer. Ça me semble un peu trop « échecs à 7 dimensions » — mais j’étais étonné de voir que Proust avait exactement cette idée il y a un siècle. Voici une partie d’un discours dirigé envers Odette :

« Ce qu’il faut savoir, c’est si vraiment tu es cet être qui est au dernier rang de l’esprit, et même du charme, l’être méprisable qui n’est pas capable de renoncer à un plaisir…tu n’es même pas une personne, une créature définie, imparfaite, mais du moins perfectible. Tu es une eau informe qui coule selon la pente qu’on lui offre, un poisson sans mémoire et sans réflexion… »

Mais Odette ne le prend pas au sérieux :

À défaut du sens de ce discours, elle comprenait qu’il pouvait rentrer dans le genre commun des « laïus » et scènes de reproches ou de supplications dont l’habitude qu’elle avait des hommes lui permettait, sans s’attacher aux détails des mots, de conclure qu’ils ne les prononceraient pas s’ils n’étaient pas amoureux, que du moment qu’ils étaient amoureux, il était inutile de leur obéir, qu’ils ne le seraient que plus après

Swann doit passer un certain temps sans Odette, car elle voyage avec les Verdurin, et ça lui rend fou :

Certains jours, au lieu de rester chez lui, il allait prendre son déjeuner dans un restaurant assez voisin dont il avait apprécié autrefois la bonne cuisine et où maintenant il n’allait plus que pour une de ces raisons à la fois mystiques et saugrenues, qu’on appelle romanesques ; c’est que ce restaurant (lequel existe encore) portait le même nom que la rue habitée par Odette : Lapérouse.

Est-ce que je vous dis assez souvent le point auquel je n’en peux plus de Swann ? Non, ce serait impossible.

Il me semble presque inutile d’ajouter qu’Odette ne le traite comme une relation sérieuse. Après tout, elle ne veut même pas le voir devant d’autres personnes :

Bien qu’elle ne lui permît pas en général de la rejoindre dans des lieux publics, disant que cela ferait jaser

Ça ne l’empêche pas de — excusez-moi, je vais vomir — lui demander de l’argent pour voyager avec les Verdurin :

Elle lui écrivit que les Verdurin et leurs amis avaient manifesté le désir d’assister à ces représentations de Wagner, et que, s’il voulait bien lui envoyer cet argent, elle aurait enfin, après avoir été si souvent reçue chez eux, le plaisir de les inviter à son tour. De lui, elle ne disait pas un mot, il était sous-entendu que leur présence excluait la sienne.

Swann dit non, mais où sommes-nous dans la codépendance toxique à souhaits ? Les deux passent tout leur temps en se méprisant, l’un de l’autre ; pourtant, il ne peut la quitter pour rien, malgré le fait qu’il pense à elle comme juste un objet, et elle — je ne sais toujours pas si elle aime quoi que soit chez Swann au-delà de son argent.

Je ne peux pas vous dire si ce sont les personnages littéraires dont j’ai le plus envie de les gifler. Pourquoi ? Parce que ça fait trop longtemps depuis la fois où j’ai lu Le Rouge et le Noir. Mais le concours entre ces deux et Julien Sorel pour les palmarès de personnage le plus énervant de la littérature est si, si serré. À un millimètre près. Si vous n’êtes pas d’accord, vos suggestions sont les bienvenues.

De toute façon, je n’ai rien à citer des 30 dernières pages que j’ai lues. Pourquoi ? Parce qu’il me semblait que Swann allait finir par donner l’argent à Odette après tout. J’en reste convaincu. Mais nous sommes passés à une série de pensées obsessives sans fin qui avait lieu complètement dans la tête de Swann : elle est fidèle, elle ne l’est pas ; elle veut le quitter, elle ne le veut pas. Toute ce dont je suis certain, c’est qu’Odette n’a pas envie d’être liée à Swann, mais n’a pas de problème à être liée soit à Forcheville soit au baron de Charlus, un ami de Swann qui rend visite à Odette à chaque fois où Swann le lui demande.

J’ai l’impression que tout se passe dans le passé par rapport à Swann, et qu’il finira par donner l’argent du voyage. Je vous ai dit, je le connais trop bien !

Assiette de madeleines faites maison par Justin Busch

Dimanche avec le comte de Forcheville

On reprend « Du côté de chez Swann ». Cette fois, j’ai avancé de 32 pages, et on est maintenant aux deux tiers du livre. (« Alléluia », vous dites ?)

Ah, l’amour romantique a encore une fois montré son visage dès que j’ai repris le livre !

Sans doute si on lui avait dit au début : « c’est ta situation qui lui plaît », et maintenant : « c’est pour ta fortune qu’elle t’aime »… même s’il avait pensé que c’était vrai, peut-être n’eût-il pas souffert de découvrir à l’amour d’Odette pour lui cet état plus durable que l’agrément ou les qualités qu’elle pouvait lui trouver : l’intérêt, l’intérêt qui empêcherait de venir jamais le jour où elle aurait pu être tentée de cesser de le voir. 

Honnêtement, si on (pas la chanteuse Lizzo ou similaire ; ça doit être quelqu’une grosso modo acceptable) me disait « Tu me plais tant que tu me fais des macarons tous les jours ; tu en rates un et je te quitte ! », j’aurais des pensées pareilles. Alors je ne méprise pas Swann pour ça. En fait, deux pages plus tard, je pleurais à son compte :

En effet, si ce mois-ci il venait moins largement à l’aide d’Odette dans ses difficultés matérielles qu’il n’avait fait le mois dernier où il lui avait donné cinq mille francs, et s’il ne lui offrait pas une rivière de diamants qu’elle désirait, il ne renouvellerait pas en elle cette admiration qu’elle avait pour sa générosité

Swann, toi con, je te connais trop bien — même si quelqu’une te dirait qu’il n’y avait jamais une « rivière » de diamants. Comme j’avais envie de le gifler en lisant ça !

Mais à chaque fois où Proust nous donne l’idée que quelqu’un ou autre est pitoyable après tout, il le suit — sans exception — avec un autre comportement qui nous fait encore une fois changer d’avis. À moins qu’il le tue, comme le pauvre M. Vinteuil. Alors, face au comte de Forcheville à une autre soirée chez les Verdurin, Swann se pense :

Certes Swann avait souvent pensé qu’Odette n’était à aucun degré une femme remarquable, et la suprématie qu’il exerçait sur un être qui lui était si inférieur n’avait rien qui dût lui paraître si flatteur à voir proclamer à la face des « fidèles », mais depuis qu’il s’était aperçu qu’à beaucoup d’hommes Odette semblait une femme ravissante et désirable, le charme qu’avait pour eux son corps avait éveillé en lui un besoin douloureux de la maîtriser entièrement dans les moindres parties de son cœur.

C’est juste après cet épisode, quand Odette le renvoie de chez elle un soir, qu’il commence à soupçonner qu’elle ne lui est pas fidèle. (Comme si tout le monde s’attendait autrement !) Swann commence donc à surveiller sa maison la nuit — vous savez, comme dans toutes les relations saines.

Ça ne rend rien — mais un soir, Odette lui demande d’envoyer des lettres pour elle au bureau de poste. Swann ne peut pas résister à les vérifier — toutes sont inintéressantes sauf une, qui porte l’adresse de Forcheville. Swann ne s’empêche pas — il lit la lettre, qui révèle que oui, Forcheville était là, seul avec Odette. Néanmoins, la lettre manque d’expressions d’affection, alors Swann décide qu’elle ne le trompe pas de façon qui compte vraiment.

J’ai encore plus envie de gifler le type.

Mais la fin de cet épisode sordide dans la vie de Swann, chez les Verdurin, arrive enfin. Il y a un argument vraiment bête entre Swann et les Verdurin, où ils souhaitent qu’Odette parte de leur maison dans leur voiture plutôt qu’avec Swann. Après ça, ils se disent tout genre de calomnies sur lui. Pour sa part, Swann rentre avec des pensées hostiles :

Mais de même que les propos, les sourires, les baisers d’Odette lui devenaient aussi odieux qu’il les avait trouvés doux, s’ils étaient adressés à d’autres que lui, de même, le salon des Verdurin, qui tout à l’heure encore lui semblait amusant, respirant un goût vrai pour l’art et même une sorte de noblesse morale, maintenant que c’était un autre que lui qu’Odette allait y rencontrer, y aimer librement, lui exhibait ses ridicules, sa sottise, son ignominie.

Et c’est juste après ça où il y a un autre dîner chez les Verdurin où on apprend que :

Et il ne fut plus question de Swann chez les Verdurin.

Mais ce n’est pas à dire que l’on a vu la fin de la relation entre Swann et Odette, aussi toxique soit-elle, fondée sur de mauvaise foi soit-elle. Proust nous a donné l’idée dans la première partie du livre, en parlant de la famille du narrateur, que Swann était quelqu’un d’important et bien éduqué, et maintenant, en voyant son passé, c’est difficile de voir pourquoi on se soucierait du type. Je reviens sur le mot « goujat », que j’ai utilisé pour le décrire la semaine dernière — rien n’a changé mon avis, mais personne dans son milieu a le droit de le critiquer, vu leurs propres défauts. J’aimerais bien croire qu’il y aura une meilleure fin pour Swann, mais je suis à deux doigts de lui dire, « À l’Enfer avec tes soi-disant amis, mais toi aussi ! »

Assiette de madeleines faites maison par Justin Busch

Dimanche avec Mme de Crécy

On reprend « Du côté de chez Swann ». Cette fois, j’ai avancé de 55 pages, car je devais savoir comment finissait un certain dîner.

Je continue de remarquer que la traduction part de plus en plus loin du français original. Où le texte de la phrase suivant en caractères gras apparaît :

Swann partit chez Prévost, mais à chaque pas sa voiture était arrêtée par d’autres ou par des gens qui traversaient, odieux obstacles qu’il eût été heureux de renverser si le procès-verbal de l’agent ne l’eût retardé plus encore que le passage du  piéton.

en version anglaise, le traducteur décrit plutôt un policier qui manie maladroitement son cahier afin de noter une amende (le reste est fidèle aux limites des deux langues). Ce n’est rien en ce qui concerne les vrais personnages du livre, mais c’est pour me rassurer que je ne rate pas grand-chose que je dois suivre les deux textes en même temps.

Swann continue de se révéler un saligaud du premier rang en affaires du cœur :

il la retrouverait le lendemain chez les Verdurin : c’est-à-dire de prolonger pour l’instant et de renouveler un jour de plus la déception et la torture que lui apportait la vaine présence de cette femme qu’il approchait sans oser l’étreindre.

L’expression anglaise qui vient à mon esprit, c’est « leading on » ; amener quelqu’un nulle part sans cesse. Ce n’est pas une bonne chose du tout.

Mais cette nuit, Odette ne se trouve pas chez Prévost (un resto parisien, pour être clair), et Swann et son cocher Rémi cherchent tous les restos du quartier pour la retrouver. C’est ainsi que les deux se retrouvent dans la voiture de Swann, et si Proust est si elliptique qu’un naïf comme moi n’a pas compris le dénouement de l’affaire, même moi, je comprends la suite :

Mais il était si timide avec elle, qu’ayant fini par la posséder ce soir-là

Cependant, ce n’est pas juste une autre affaire pour Swann, jusqu’à maintenant un goujat sans pareil. Son comportement change :

On ne recevait plus jamais de lettre de lui où il demandât à connaître une femme. Il ne faisait plus attention à aucune, s’abstenait d’aller dans les endroits où on en rencontre.

Proust en tire une leçon extravagante :

Les êtres nous sont d’habitude si indifférents, que quand nous avons mis dans l’un d’eux de telles possibilités de souffrance et de joie, pour nous il nous semble appartenir à un autre univers, il s’entoure de poésie, il fait de notre vie comme une étendue émouvante où il sera plus ou moins rapproché de nous.

Mais ne vous inquiétez pas, Swann reste lui-même :

il se rendait compte que les qualités d’Odette ne justifiaient pas qu’il attachât tant de prix aux moments passés auprès d’elle.

Quelle pensée romantique ! Je suis très peu expérimenté à cet égard, mais il me semble impossible de garder une telle pensée dans la tête et rester fidèle en même temps.

Après des mois de ça (il me semble ; le temps est plutôt fluide chez Proust), elle se sent assez à l’aise autour de Swann pour lui dire ce qu’elle pense vraiment de sa maison. Ce n’est pas important en soi ; c’est plutôt que pour la première fois, Proust laisse tomber un nom qui explique ce que Mme de Crécy est vraiment :

« Tu ne voudrais pas qu’elle vécût comme toi au milieu de meubles cassés et de tapis usés », lui dit-elle, le respect humain de la bourgeoise l’emportant encore chez elle sur le dilettantisme de la cocotte.

Pour ceux qui sont encore plus naïfs que moi, la cocotte de laquelle Proust parle n’est pas un produit de chez Le Creuset.

Or, on commence à voir qu’il y a quelque chose de pire que de fréquenter une cocotte. (Tout à coup, je me demande ce que vous pensez tous de toutes les photos comme celles-ci sur ce blog, où je mets un saucisson dans une cocotte ; un vrai cochon, ce Justin.) Swann commence à penser que les Verdurin sont de chics types, car c’est chez eux où il a rencontré Odette. Le con ; ils sont les pires !

Comme tout ce qui environnait Odette et n’était en quelque sorte que le mode selon lequel il pouvait la voir, causer avec elle, il aimait la société des Verdurin…« Décidément, sauf quelques rares exceptions, je n’irai plus jamais que dans ce milieu. C’est là que j’aurai de plus en plus mes habitudes et ma vie. »

Naturellement, c’est immédiatement après cette pensée que Proust commence à parler d’un certain Comte de Forcheville qui « précipita la disgrâce de Swann » pendant son premier dîner chez les Verdurin. Je n’ai pas envie de citer la quinzaine de pages qui suivent, parce que les jeux de mots sont franchement au-delà de mes compétences en français ; pourtant, je les ai trouvés également énigmatiques en anglais. L’important, c’est que ce Forcheville trouve qu’il aimerait avoir l’attention de Mme de Crécy, et en service à ce but, il provoque Swann à commettre le péché mortel chez les Verdurin — dire du bien de personnes qu’ils ne trouvent pas dignes de leurs dîners.

Franchement, après tout ce que l’on a entendu du caractère de Swann, c’est difficile de compatir trop avec lui. Mais c’est le génie de Proust : encore et encore, il nous fait penser du mal de quelqu’un, puis nous fait regretter son sort parce que ce qui lui arrive est quand même injuste par rapport à ce qu’il mérite.

Assiette de madeleines faites maison par Justin Busch

Dimanche avec les Verdurin

On reprend encore une fois Du côté de chez Swann. Cette fois, je n’ai avancé que de 30 pages.

Si on n’était pas déjà convaincus que les Verdurin étaient une belle paire d’ordures, on apprend rapidement que Mme fait semblant d’être malade autour de ses invités :

Peut-être aussi, à force de dire qu’elle serait malade, y avait-il des moments où elle ne se rappelait plus que c’était un mensonge et prenait une âme de malade.

Il suit plusieurs pages de parler sur l’expérience de Swann en écoutant le pianiste à la soirée. Après des extases, on apprend que :

ne se sentant plus d’idées élevées dans l’esprit, il avait cessé de croire à leur réalité

Monsieur manque, ou plus précisément a abandonné, de vie intérieure, ayant visé toute son attention sur ses clients et le défilé de femmes qui passent par sa vie (dont on en a parlé la dernière fois). Il se passe que la musique qui a provoqué Swann de réfléchir sur ces affaires a été écrit par un certain Vinteuil — est-ce qu’il est le professeur du village, mort dans l’obscurité sans être reconnu pour ses compositions ? Le livre est très ambigu sur ce point — certainement, Swann pense que c’est impossible :

Je connais bien quelqu’un qui s’appelle Vinteuil, dit Swann, en pensant au professeur de piano des sœurs de ma grand’mère.

— C’est peut-être lui, s’écria Mme Verdurin.

— Oh ! non, répondit Swann en riant. Si vous l’aviez vu deux minutes, vous ne vous poseriez pas la question.

Mais il serait hyper-Proustien pour ceci d’être le cas après tout ça !

Puis Swann lâche — et il faut supposer que Proust est hyper-ironique ici, en lui donnant un air d’ennui — qu’il connaît M. le Président :

…je déjeune justement demain avec le Préfet de police à l’Élysée.

— Comment ça, à l’Élysée ? cria le docteur Cottard d’une voix tonnante.

— Oui, chez M. Grévy, répondit Swann, un peu gêné de l’effet que sa phrase avait produit.

Imaginez dire ça de nos jours, avec les photographes et les journalistes partout. Impossible de garder un tel secret.

Vous souvenez-vous que Swann avait tombé amoureux d’une certaine Odette de Crécy ? Voici comment l’ordure gère l’affaire :

Et, d’autre part, préférant infiniment à celle d’Odette la beauté d’une petite ouvrière fraîche et bouffie comme une rose et dont il était épris, il aimait mieux passer le commencement de la soirée avec elle, étant sûr de voir Odette ensuite. 

Il y a une expression argotique en anglais qui me vient à l’esprit, « side chick » (une façon très dédaigneuse, ainsi qu’hyper-informelle, de dire maîtresse). Franchement, je suis dégoûté. La situation ne s’améliore pas (à mes yeux), après l’une de ses très rare visites chez elle, quand il se pense :

« Ce serait bien agréable d’avoir ainsi une petite personne chez qui on pourrait trouver cette chose rare, du bon thé. »

Très romantique, notre Swann. Il y a des domestiques pour ça.

Des pages passent où Swann se convainc qu’Odette lui rappelle un certain tableau du peintre italien, Botticelli. Cette partie semble être lá pour nous dire qu’il cherche vraiment une raison pour s’intéresser à elle. Ce n’est pas le coup de foudre s’il doit inventer des raisons, c’est certain.

Mais notre séjour chez les Verdurin se termine avec une autre de leurs conversations condescendantes sur leurs invités. Vous allez vraiment les aimer :

— À moi, elle me l’aurait dit, répliqua fièrement Mme Verdurin. Je vous dis qu’elle me raconte toutes ses petites affaires ! Comme elle n’a plus personne en ce moment, je lui ai dit qu’elle devrait coucher avec lui.

Honnêtement, et je ne sais pas s’il y a une meilleure façon de dire ça, Mme Verdurin devrait vraiment s’occuper de ses oignons. Ce n’est pas son affaire !

Assiette de madeleines faites maison par Justin Busch

Dimanche avec Mme de Guermantes

On reprend « Du côté de chez Swann ».Cette fois, j’ai avancé de 45 pages.

La mère du narrateur lui dit qu’il est obsédé par Mme de Guermantes — un fait inconnu à ceux qui ont lu les 240 premières pages — alors il faudra assister au mariage de la fille du docteur du village, car elle sera là. Je dois vous demander cela sincèrement, car je n’ai aucune idée — était-il commun en France à l’époque d’aller aux mariages de n’importe qui ? Sans être invité ?

De toute façon, notre « héros » s’y rend, et décide qu’elle ressemble trop à Mme Sazerat, souvent mentionnée dans le texte sans jamais apparaître vraiment. J’espère pour la pauvre Sazerat que ça restera le cas ; sinon, il y aura tôt où tard des calomnies sur son caractère. Il se plaint :

cette dame en son principe générateur, en toutes ses molécules, n’était peut-être pas substantiellement la duchesse de Guermantes, mais que son corps, ignorant du nom qu’on lui appliquait, appartenait à un certain type féminin, qui comprenait aussi des femmes de médecins et de commerçants.

J’ai une amie qui ressemble exactement, dans tous les détails, à une femme qui travaille chez l’ancienne vétérinaire de M. Descarottes, sauf pour avoir environ 25 ans de plus, mais je ne dirais jamais que ça rebondit à défaveur de l’une ni l’autre.

Puis le rebondissement le plus prévisible du livre (à ce point) arrive. Puisqu’elle est une femme qu’il a mentionné pendant plus d’une phrase :

Et aussitôt je l’aimai, car s’il peut quelquefois suffire pour que nous aimions une femme qu’elle nous regarde avec mépris comme j’avais cru qu’avait fait Mlle Swann et que nous pensions qu’elle ne pourra jamais nous appartenir, quelquefois aussi il peut suffire qu’elle nous regarde avec bonté comme faisait Mme de Guermantes et que nous pensions qu’elle pourra nous appartenir. 

Mais qui suis-je pour critiquer ? Du côté de chez Justin, Véronique, Julie, Émilie et Anne-Élisa passent le bonjour à Mme de Guermantes. Au fait, pendant cet épisode, le narrateur a peur de « devoir renoncer à être jamais un écrivain célèbre. » Du sarcasme ?

Si j’ai bien compris, jusqu’à ce point le narrateur reste ado. Alors quand tout ça est suivi par :

Comme j’aurais donné tout cela pour pouvoir pleurer toute la nuit dans les bras de maman !

je dois vraiment me demander s’il a compris comment marchent les relations amoureuses qui arrivent encore et encore dans sa tête.

C’est ainsi — après quelques pages de souvenirs de promenades du côté des Guermantes — que l’on termine enfin la première partie du tome, « Combray ». Ici , on passe à la deuxième partie, « Un amour de Swann ». Et là, Proust commence par nous présenter la famille Verdurin, un docteur et sa femme.

Je note ici un changement aigu dans le langage. La traduction anglaise passe tout à coup à un style très informel par rapport à la première partie. Je ne sais pas si

le plus souvent leur peintre favori d’alors, « lâchait », comme disait M. Verdurin, « une grosse faribole qui faisait s’esclaffer tout le monde »

donne vraiment la même impression, mais la traduction de « grosse faribole », « a damned funny yarn », c’est choquant vu le langage fleuri des pages précédentes.

Les Verdurin me rappellent mon ex-belle-famille, ce qui n’est pas un compliment :

De même si un « fidèle » avait un ami, ou une « habituée » un flirt qui serait capable de le faire « lâcher » quelquefois, les Verdurin, qui ne s’effrayaient pas qu’une femme eût un amant pourvu qu’elle l’eût chez eux, l’aimât en eux, et ne le leur préférât pas, disaient : « Eh bien ! amenez-le votre ami. »

Eux aussi, ils avaient l’attitude de « Tu peux passer les fêtes avec ta famille, pourvu que vous êtes tous chez nous ». Si ce n’était pas assez, Proust dit de M Verdurin, « Il n’avait jamais d’avis qu’après sa femme ». Je connais trop cette famille.

De toute façon, Swann se retrouve invité chez les Verdurin en tant qu’intérêt d’une Mme de Crécy. Le narrateur le reproche ainsi :

Car le désir ou l’amour lui rendait alors un sentiment de vanité…qui lui faisait désirer de briller, aux yeux d’une inconnue dont il s’était épris…

On appelle ça la projection. Au moins le narrateur avoue que :

je commençai à m’intéresser à son caractère à cause des ressemblances qu’en de tout autres parties il offrait avec le mien.

Il y a plus sur la relation entre Odette de Crécy et Swann, ce qui est assez peu flatteur envers les deux. Mais c’est une dernière histoire chez les Verdurin qui finira ce numéro :

« Tu sais, avait dit Mme Verdurin à son mari, je crois que nous faisons fausse route quand par modestie nous déprécions ce que nous offrons au docteur…il ne connaît pas par lui-même la valeur des choses et il s’en rapporte à ce que nous lui en disons. »… l’an suivant, au lieu d’envoyer au docteur Cottard un rubis de trois mille francs en lui disant que c’était bien peu de chose, M. Verdurin acheta pour trois cents francs une pierre reconstituée.

J’écris ces billets peu à peu en lisant, alors j’avais écrit le tout ci-dessus avant de lire cette partie. Je dis ça, je dis rien.

Assiette de madeleines faites maison par Justin Busch

Dimanche avec les Vinteuil

On reprend Du côté de chez Swann avec un cœur lourd, parce que finir la semaine la plus déprimante de chaque année avec exactement ce que j’ai lu dans ce livre cette semaine…je ne peux que citer le grande philosophe Calimero, qui nous dit « Ça, c’est injuste, c’est vraiment trop injuste. » J’avance de 40 pages cette fois ; on a terminé 40 % du premier tome, mais l’épreuve que je me suis mise, je n’aimerais pas la revivre.

Vous souvenez-vous des Vinteuil, le prof de piano et sa fille ? Je me suis demandé la dernière fois si l’odeur d’amandes amères liée à Mlle Vinteuil voulait dire quelque chose de sombre. Avant de continuer, j’aimer donner tout le crédit pour ça à la première ligne de L’amour aux temps du choléra, qui dit « L’odeur d’amandes amères rappelait toujours au docteur Urbino le sort de l’amour sans retour. » Je déteste ce livre-là, qui a donné au jeune moi la fausse idée que patienter 50 ans pour quelqu’une est noble. Mais le lien entre les amandes (vraiment, la cyanure) et la mort est gravé dans mon esprit. De toute façon…

On apprend qu’une femme est venue vivre chez les Vinteuil, et que tout le monde le croit un scandale sauf M. Vinteuil, qui se convainc qu’elle est là pour des raisons désintéressées.

À partir d’une certaine année on ne la rencontra plus seule, mais avec une amie plus âgée, qui avait mauvaise réputation dans le pays et qui un jour s’installa définitivement à Montjouvain. On disait : « Faut-il que ce pauvre M. Vinteuil soit aveuglé par la tendresse pour ne pas s’apercevoir de ce qu’on raconte, et permettre à sa fille, lui qui se scandalise d’une parole déplacée, de faire vivre sous son toit une femme pareille. Il dit que c’est une femme supérieure, un grand cœur et qu’elle aurait eu des dispositions extraordinaires pour la musique si elle les avait cultivées. Il peut être sûr que ce n’est pas de musique qu’elle s’occupe avec sa fille. »…L’amour physique, si injustement décrié, force tellement tout être à manifester jusqu’aux moindres parcelles qu’il possède de bonté, d’abandon de soi, qu’elles resplendissent jusqu’aux yeux de l’entourage immédiat.

Désolé pour la longue citation, mais ça explique en même temps le comportement de cette femme et la dénégation de M. Vinteuil. Bref, sa fille a pris une amante lesbienne sous leur toit. Proust dit ça de manière si elliptique que j’ai dû relire cette partie plusieurs fois pour la comprendre.

Puis, la tante Léonie meurt. Le narrateur avoue qu’il avait mal compris l’attitude de Françoise à son égard. Il avoue en plus qu’il avait développé l’habitude de dire du mal de sa tante afin de contrarier Françoise. J’avais dit plus tôt que je me méfiais des commentaires du narrateur, selon qui tout le monde se révèle de caractère lamentable tôt ou tard.

Puis le narrateur décrit une pensée pendant ses balades qui m’a fait arrêter tout court

Parfois à l’exaltation que me donnait la solitude, s’en ajoutait une autre que je ne savais pas en départager nettement, causée par le désir de voir surgir devant moi une paysanne que je pourrais serrer dans mes bras. 

Ah oui ? On attrape souvent n’importe quelle paysanne par hasard ? Je sais que le livre a plus de 100 ans, et les mœurs ont changé, mais pas comme ça, je pense. Ce n’est que le début d’une longue digression sur son désir de trouver n’importe quelle fille de la région. « Heureusement » pour elles, cette partie se termine par un rappel que le narrateur est, en fait, aussi incapable de s’exprimer que moi.

ne pouvant me résigner à rentrer à la maison avant d’avoir serré dans mes bras la femme que j’avais tant désirée, j’étais pourtant obligé de reprendre le chemin de Combray en m’avouant à moi-même qu’était de moins en moins probable le hasard qui l’eût mise sur mon chemin. Et s’y fût-elle trouvée, d’ailleurs, eussé-je osé lui parler ?

Je n’en peux plus de ce type.

Je ne vais rien citer des 10 dernières pages de ma lecture de cette semaine. Un certain temps passe — il ne m’est pas clair combien, et M. Vinteuil meurt. Le narrateur espionne Mlle Vinteuil et sa copine par la fenêtre et écoute leur conversation. Il s’avère qu’elle méprise son père disparu, mais aime l’entendre dans la bouche de sa copine. Proust appelle ça du sadisme, mais je ne suis pas sûr de qui est la victime. Le narrateur dit encore et encore que Mlle Vinteuil est en deuil, mais ça me semble sa naïveté. Quand c’est moi qui appelle quelqu’un naïf, cette personne est vraiment un danger à soi-même.

M. Vinteuil avait ses défauts, mais je crois qu’il n’était pas un mauvais type, et cette partie était extrêmement dure à lire. Je ne garde pas beaucoup d’espoir que le reste s’améliorera, mais si le narrateur arrête de parler de ses fantasmes féodales envers les femmes du quartier, ce sera un soulagement.

(Ne me dites pas que ça arrive si vous l’avez déjà lu. Laissez-moi garder un peu d’espoir.)

Assiette de madeleines faites maison par Justin Busch

Dimanche avec Françoise

Bienvenue encore une fois au billet de plus en plus bien nommé, Dimanche avec Marcel (maintenant avec des contenus 50 % parus le dimanche !). Cette fois, j’ai avancé de 50 pages ; on est maintenant fini avec le premier tiers de Du côté chez Swann, mais vu le manque de chapitres, ça ne veut dire absolument rien. On parle de plusieurs thèmes aujourd’hui, mais vu que la malheureuse cuisinière Françoise est le sujet de deux parties de cette tranche du livre, cette semaine est dédiée à elle. Encore une fois, mes citation en français viennent de la version trouvée chez Wikisource.

On commence avec une digression sur M. et Mlle Vinteuil. M. est le professeur de piano de Combray ; Mlle est sa fille. Je mentionne cette partie seulement pour les mettre en jeu, car Proust a l’habitude de présenter des personnages, ne rien faire avec, puis y revenir des dizaines de pages plus tard. M. est possédé de deux traits importants : une « pudibonderie excessive » qui le mène à éviter Swann à tout prix, et un esprit dont « il craignait de les ennuyer et de leur paraître égoïste s’il suivait ou seulement laissait deviner son désir », au point où il cache toutes ses compositions de ses visiteurs.

Mlle Vinteuil, pour sa part, n’entre dans l’intrigue que pour se faire remarquer à cause de son odeur de frangipane. La traduction anglaise le rend comme si c’était juste « amande amère » (mentionnée aussi en français). Comme la cyanure ? Je me demande si ce sera important plus tard.

On reprend les aventures de la monstrueuse Tante Léonie. Elle rêve apparemment d’un incendie tel que :

la maison était la proie d’un incendie où nous avions déjà tous péri et qui n’allait plus bientôt laisser subsister une seule pierre des murs, mais auquel elle aurait eu tout le temps d’échapper sans se presser

Puis on entend parler que la relation entre la visiteuse hebdomadaire Eulalie et Françoise est beaucoup plus toxique qu’imaginée. Eulalie met des idées dans l’esprit de Léonie que Françoise lui vole de l’argent. Pour sa part, Léonie se dit ces trucs à haute voix, comme ça :

elle se prononçait à elle-même les excuses embarrassées de Françoise et y répondait avec tant de feu et d’indignation que l’un de nous, entrant à ces moments-là, la trouvait en nage

Le narrateur est certain que Françoise entendait aussi ce théâtre : à sa place, j’aurais tout de suite quitté le boulot plutôt que subir ça. Mais Françoise répond par faire encore plus d’efforts pour se montrer fiable. On y reviendra.

Il suit un épisode ridicule, la question d’un certain M. Legrandin. Est-ce qu’il a insuffisamment rendu le bonjour du père du narrateur ? Est-ce que c’était pour montrer qu’il était fâché pour telle ou telle raison ? On y reviendra.

De nulle part, on revient à Françoise. On en a entendu parler à plusieurs fois à ce point, toujours de manière positive. Mais maintenant, on entend plutôt qu’elle fait son tout pour s’interposer entre tante Léonie et tout autre domestique de la maison, au point où :

si cet été-là nous avions mangé presque tous les jours des asperges, c’était parce que leur odeur donnait à la pauvre fille de cuisine chargée de les éplucher des crises d’asthme d’une telle violence qu’elle fut obligée de finir par s’en aller.

Quelle méchante ! Pourtant, je me doute que notre narrateur prend tout pour le pire ; tôt ou tard, la réputation de chaque personnage se noircit dans son récit.

C’est donc le tour de M. Legrandin pour y subir. Il s’avère qu’après tout, il est aussi faux. Il avait dit ailleurs qu’il avait une sœur à Balbec ; pourtant, quand la famille du narrateur mentionne un voyage à suivre à cette ville, il n’offre pas de faire une introduction.

On a enfin d’où le nom « Swann’s Way » en anglais :

Car il y avait autour de Combray deux « côtés » pour les promenades, et si opposés qu’on ne sortait pas en effet de chez nous par la même porte, quand on voulait aller d’un côté ou de l’autre : le côté de Méséglise-la-Vineuse, qu’on appelait aussi le côté de chez Swann parce qu’on passait devant la propriété de M. Swann pour aller par là, et le côté de Guermantes. 

Pendant des décennies, je croyais que « way » ici voulait dire « sa façon de vivre ». Mais non, c’est juste littéralement le chemin qui passe par chez lui.

Et pourquoi est-ce que l’on apprend ça ? Le narrateur, son père et son grand-père prennent une balade par ce chemin. Il rencontre Gilberte, la fameuse Mlle Swann qui est amie de Bergotte, raison suffisante pour que le narrateur soit tombé amoureux d’elle sans la connaître. Alors, face à l’objet de sa passion, il dit quoi ?

Absolument rien.

Dites-donc, je lis un roman ou ma biographie ?

J’ai tout à coup tout genre de questions sur la relation entre Mlle Swann et Bergotte, car elle est mineure, et lui, il a au moins ses 30 ans. Et ils voyagent ensemble ailleurs en France ?!? Mais je sais enfin ce qui veut dire « Du côté de chez Swann » et il faudra que ça suffise pour l’instant.

Assiette de madeleines faites maison par Justin Busch

Vendredi avec Bergotte

Dimanche avec Marcel devient de plus en plus le pire nommé billet du blog, vu qu’il n’a toujours pas apparu deux fois le même jour, peu importe dimanche. Mais je me suis rendu compte hier (car j’avais mis un rappel dans mon calendrier) que dimanche est Chandeleur. Et samedi est le 1er, alors j’ai mon billet habituel là en plus. Entre tout ça et la balado, c’est Proust qui doit « boogie », comme on dit en anglais (ça vient de « bouger » mal prononcé).

Cette fois, on avance de 45 pages, ce qui est une amélioration. Mais c’est vous qui allez le prendre cher à cause de cette nouvelle, car je vais le citer avec l’aide de Wikisource.

La dernière fois, on a terminé sur la nouvelle que le narrateur n’a plus jamais revu son oncle Adolphe. Ça n’a pas dû trop le déranger, parce dans le paragraphe suivant, il s’est lancé directement sur son sujet favori — la lecture.

Proust passe 10 pages en parlant de son amour de la lecture, qui n’est pas gâché par quelque chose qu’il n’aime pas. Êtes-vous prêts pour ce divulgâcheur ? C’est vous tous. Et moi. Je laisse Proust l’expliquer :

la simplification qui consisterait à supprimer purement et simplement les personnages réels serait un perfectionnement décisif.

Oui, ce qu’il aime le plus chez les livres, c’est l’absence des personnages réels. Au fait, je suis désormais très impressionné par la traduction, n’ayant fait la comparaison entre ça et le français original jusqu’à maintenant. Le rythme de la traduction est exactement le même que celui du texte original.

Je vous laisse à déchiffrer mon intention en disant ça.

Je veux vous donner le goût de ces 10 pages sur ses extases de lire. Ça me rappelle juste un peu ce que je fais ici :

C’est ainsi que pendant deux étés, dans la chaleur du jardin de Combray, j’ai eu, à cause du livre que je lisais alors, la nostalgie d’un pays montueux et fluviatile, où je verrais beaucoup de scieries et où, au fond de l’eau claire, des morceaux de bois pourrissaient sous des touffes de cresson.

Ah, la nostalgie d’un pays plus beau que le sien, qui n’est guère réel dans sa quotidienne. Il y a maintenant un beau 1 550 articles ici sur ce sujet. Je compatis.

Alors, qu’est-ce qu’il lisait pendant deux étés ? Les livres d’un certain Bergotte — ne le cherchez pas, il est fictif — un écrivain qui, tout comme Proust, traîne ici et là sur les souvenirs évoqués par ses sujets. On reprendra Bergotte en bas, mais ici Proust passe au sujet de comment le narrateur a découvert cet écrivain. Il était recommandé par un certain Bloch, un ami peu accepté par la famille du narrateur. Bloch est bel et bien fou, mais à l’avis du narrateur, il a fini par être rejeté parce que :

Mon grand-père, il est vrai, prétendait que chaque fois que je me liais avec un de mes camarades plus qu’avec les autres et que je l’amenais chez nous, c’était toujours un juif, ce qui ne lui eût pas déplu en principe — même son ami Swann était d’origine juive — s’il n’avait trouvé que ce n’était pas d’habitude parmi les meilleurs que je le choisissais.

Mais Bloch manque aussi des grâces sociales. Il se fait exiler parce que :

étant venu déjeuner une heure et demie en retard et couvert de boue, au lieu de s’excuser, il avait dit : « Je ne me laisse jamais influencer par les perturbations de l’atmosphère ni par les divisions conventionnelles du temps… »

C’est un cinglé, lui ! Ça dit, Proust reprend l’explication de son amour de l’écriture de Bergotte. Il chante les louanges de ses nombreuses digressions et ajoute :

J’étais déçu quand il reprenait le fil de son récit. 

Ici, M. Swann rentre brièvement dans l’histoire. Il s’avère qu’il connaît Bergotte, qui dîne souvent chez lui, et est apparemment un très proche ami de Mlle Swann. Le narrateur se croit donc prêt à tomber amoureux de Mlle Swann, car si elle est amie de Bergotte, elle doit être très spéciale elle-même.

On termine cette fois sur la visite du Curé chez tante Léonie. C’est un épisode bien ennuyeux pour le narrateur ainsi que pour le lecteur, et la seule raison pour le mentionner, c’est qu’il s’avère que Françoise, la cuisinière de la famille, n’aime pas Eulalie, qui fréquente tante Léonie. Ce sera peut-être important plus tard.

À jeudi (si ça continue) !