Je vais faire quelque chose plutôt loin de nos sujets habituels, vous apprendre exactement ce qui dit le gros-titre. Pourquoi ? Parce que vous savez tous comment utiliser un dictionnaire — mais ça, c’est tout autre chose, une façon de voir le monde complètement différente. Le fait que ça intéressera certains d’entre vous qui aiment les mangas, c’est juste une prime.
Y a-t-il combien de lignes dans ces trois kanjis ?

Un, deux, et trois, d’accord ? Un bon point pour savoir compter ! Ce sont les numéros pareils en japonais, avec leurs prononciations en hiragana (l’alphabet phonétique) et en romaji (c’est-à-dire notre alphabet latin).
Combien de lignes comptez-vous dans celui-ci, nichi, qui veut dire « jour » ou « soleil » ?

« Mais Justin », vous me dites, « vous avez bien perdu la tête ! C’est évidemment un rectangle avec une ligne au milieu, donc cinq ! » Rendez-moi vos bons points, les enfants, car vous avez tort. Il n’y a que quatre lignes ici selon la méthode japonaise (ou chinoise, en fait). Voici comment les compter :

Comprenez-vous comment ça arrive ? On compte le nombre de fois que le stylo est enlevé du papier ; c’est-à-dire le nombre de coups de stylo, ou traits. Il faut juste savoir que la bonne forme pour le deuxième coup comprend un angle droit.
Pourquoi se soucie-t-on du nombre ? Considérez un caractère plus compliqué, composé de 6 traits :

Mais il n’est pas assez de savoir que ça comprend 6 traits. Après tout, on a déjà vu que le numéro 2, ni, a aussi 2 traits. Comment distingue-t-on les comptes ?
Dans ce cas, on peut considérer que nichi, notre soleil, est ce qu’on appelle un « radical », une pièce réutilisable. Il y a évidemment 2 radicaux dans le kanji en haut, et le plus gros est nichi. Avec ça, on peut maintenant chercher notre dictionnaire comme c’est de la magie :

On choisit le radical comme ça :

Puis le nombre total de traits comme ça.

Attention, les dictionnaires ne sont pas tous égaux à cet égard — certains utilisent le nombre de traits en total, et d’autres utilisent le nombre de traits moins le nombre dans notre radical de choix. Les méthodes sont égaux, mais il faut vérifier quelle méthode suit votre dictionnaire. En ce cas, c’est le total avec le radical, mais dans le Robert du japonais-anglais, The New Nelson, on compte pas les traits du radical. De toute façon, voilà nos résultats :

Il n’y a pas trop de choix, « ね » ? Ici, ね, prononcé « ne », est le japonais pour « hein ». (Il m’étonne que le japonais ne me font pas de gros problèmes avec le français, voiture car croyez-moi, je dis « ne » pour « hein » en anglais tout le temps.)
Alors maintenant nous avons le bon kanji.

On le prononce mune ou shi (selon le contexte d’autres caractères), et ça veut dire « intention » ou « objet » (sens but, pas truc). Mais cette question de contexte, c’est glorieux. Peut-être que vous avez entendu parler de l’un de leurs plus grands journaux, le Mainichi Shimbun ? Voici le titre en kanji :

Mainichi = quotidien, où mai = chaque et nichi est notre soleil d’avant, pour jour. Shimbun veut dire « journal ». C’est littéralement le « Journal quotidien ». Mais voici les noms des jours :

C’est dimanche jusqu’à mercredi ici. Le premier, dimanche, c’est nichiyobi. Mais qu’est-ce qui se passe avec notre soleil ? Au début du mot, il est prononcé nichi, et à la fin, -bi. Presque tous les kanjis ont de nombreuses prononciations selon leurs combinaisons, et il faut mémoriser plus de 2 000 kanjis juste pour lire un journal typique. Le japonais lambda ne peut pas lire un journal jusqu’à avoir atteint le lycée. (Moi, j’ai aucune chance.)
Vous voyez, maintenant ? Il me semble que beaucoup de Français pensent que la langue est parmi les plus difficiles au monde. J’ai des nouvelles. Le japonais n’a pas de numéros de personnes pour les conjugaisons, alors leurs verbes sont plus simples, mais il ne m’a fallu que cinq mois pour lire un journal en français. Contre 14 ans, les amis. 14 ans. C’est tout autre monde là-bas.
Heureuse hasard, hier en librairie, j’ai failli craquer pour une méthode de japonais, une langue que je veux apprendre depuis longtemps. Mais en te lisant, je me dis que je vais peut-être plutôt m’orienter vers le coréen parce que 14 ans rien pour lire un journal, ça donne le tournis !
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Ne te méprends pas, la langue a ses récompenses. Mais c’est vrai, devenir vraiment lettré en japonais est un truc de fou. Je n’étais jamais aussi diligent avec cette langue qu’avec le français non plus !
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C’est la langue pour apprendre la patience !
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Passionnant, merci pour cet aperçu d’une culture que je n’ai aucun espoir de maîtriser un jour ! La langue arabe me semble beaucoup plus facile en comparaison ! 😉
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