Je découvre Antoine

On continue maintenant le Projet 30 Ans de Taratata, cette fois avec Antoine. « Mais Justin », vous me dites, « il a 80 ans et n’était pas sur scène cette nuit-là ». Et vous avez raison. Cependant, c’était sa chanson « Les Élucubrations » jouée par Tryo, notre dernier groupe, alors il faut continuer avec leur source. Ce sont les règles du Projet, après tout.

Antoine à une séance d’autographes, Photo par David.Monniaux, CC BY-SA 3.0

Pierre Antoine Muraccioli est né en 1944 à Madagascar. Sa famille était là parce que son père était ingénieur en travaux publics — alors il a aussi habité à Saint-Pierre-et-Miquelon, au Cameroun, et à Marseille, tous avant ses 12 ans, avant de s’installer en Haute-Savoie. Il est devenu élève-ingénieur et a suivi un parcours plus comme le mien que j’aimerais penser. Nous nous déprimions tous les deux pendant ces études à cause de chagrins d’amour — mais où j’ai changé de cours, il a continué et obtenu un diplôme avec un classement très bas. D’autre part, il a utilisé cette expérience pour se lancer dans l’écriture de musique, où il a connu un plus grand succès que moi, alors j’imagine qu’il serait offensé par la comparaison. De toute façon

En 1965, toujours un élève à la fac, Antoine sort son premier single, Autoroute européenne N° 4. Là, il est l’homme orchestre, jouant de la guitare et de l’harmonica, ainsi que chantant. À mes oreilles, il sonne exactement comme Iggy Pop ou Three Dog Night, mais ces autres commençaient leurs carrières en même temps, alors impossible qu’ils se connaissaient. C’était juste dans les eaux, comme on dit en anglais.

L’important, c’est que ça lui vaut l’opportunité de sortir son premier album en 1966, intitulé « Les Élucubrations d’Antoine », d’après ce qui serait son plus grand tube. Cette chanson doit être le premier « diss track » au monde — ce que les rappeurs américains appellent une chanson écrite pour insulter d’autres rappeurs. Ici, il se fout de la gueule d’Yvette Horner (qui il suggère devrait quitter son accordéon) et de Johnny Hallyday, qui devrait être dans une cage. En anglais, on dirait qu’il fallait avoir des couilles en laiton pour tenter une telle chose !

Peut-être la chanson qui montre la plus sa personnalité sur cet album est « Qu’est qui ne tourne pas rond chez moi ? » où il annonce « Je ne croooooooois à rien ! » Antoine est là pour épater la bourgeoisie, comme on dit. Et tout le monde l’aimait, sauf pour Johnny, qui rétorque avec « Cheveux longs et idées courtes », où il dit que personne ne change le monde en criant dans un micro.

Son prochain disque, sorti aussi en 1966, « Antoine rencontre Les Problèmes » est largement du à ce dernier groupe, mieux connu plus tard comme Les Charlots. Antoine n’écrit que deux chansons pour cet album, dont « Contre-élucubrations problématiques », où il se moque de Johnny : « Nous ferons ce qu’il faut pour être les premiers, Ta cage est déjà réservée ». Fallait pas mordre à l’hameçon, Johnny. L’autre contribution d’Antoine est « Je dis ce que je pense et je vis comme je veux », où il s’assied dans un Volkswagen Combi et se comporte en général comme un sale hippie :

L’année suivante, 1967, voit un troisième disque avec un changement de direction, « Je reprends la route demain ». La chanson éponyme continue l’attitude insouciante, mais la musique est moins « caféinée », si vous me suivez, plus introspective. J’ai eu du mal à trouver d’autres morceaux de cet album.

Tout change radicalement plus tard en 1967 quand il sort encore un autre album. Cette fois, il a coupé les cheveux — quoi ? — porte désormais une moustache, et chante des choses qui pourraient venir d’un roman satirique de Douglas Adams. Ça commence avec une autre chanson éponyme, « Madame Laure Messenger, Claude, Jérémie, et l’Existence de Dieu », où deux poissons rouges se disputent sur ce dernier sujet :

J’ai eu du mal d’en trouver plus sur YouTube, mais Internet Archive a tout l’album disponible gratuitement. Il y a plus d’une diversité de styles — « L’anniversaire de Beethoven » ne sonne comme rien d’autre jusqu’à ce point — et si « Je partirai bientôt » a un peu le même air de « Je m’en fous et je quitte », cette fois, c’est plus… joyeux ? Je doute que c’était une réussite vu la difficulté de retrouver l’album, mais il semble s’en profiter plus.

Je saute plusieurs albums difficiles à trouver, mais en 1970, il sort Ra Ta Ta, un autre album où la chanson éponyme est étonnante vu son début. Il mène le public en applaudissant, et les paroles ne semblent pas lourdes du tout :

Encore une fois difficile de trouver d’autres chansons de l’album, mais j’ai trouvé un autre clip avec « J’aime le bon vin » ainsi que Ra Ta Ta. Cette fois, c’est un conte de son goût pour boire le vin de Communion. Je l’ai mis au bon moment dans ce lien.

En 1971, il sort un autre album, Larraldia, dont j’ai trouvé au moins le single ‘Scusez-moi, m’sieur Antoine, en duo avec Danièle Gilbert, inconnue pour moi avant. C’est assez charmant ; les paroles sont des questions peu importantes avec des réponses marrantes :

En 1974, il part en voyage autour du monde pendant 6 ans, en voilier. Apparemment, il enregistrait pendant ce temps ; j’ai trouvé tout son album de 1976, Corcovado, complet dans une seule vidéo sur YouTube. Mais c’est ici où j’arrête. Sa musique est largement difficile à trouver, avec presque aucune info disponible sur ses classements et son accueil par le public. Le fait qu’il y a des clips de l’INA ici me dit qu’il continuait de trouver un rapport avec son public en live, mais c’est assez évident que sa carrière à partir de « Madame Laure Messenger » est largement une réaction contre son image originale. Et ses voyages, qui continuaient après son retour en 1980, me disent qu’il voulait vraiment juste tout plaquer. Je compatis énormément.

Que penser d’Antoine ? Il me semble qu’il était plus qu’un coup étonnant, mais que le renommé n’était pas à son goût. Et ça va ; la vie des stars est souvent moins heureuse que nous ne le pensons. Mais entre le fait que sa musique après les deux premiers albums reste largement cachée, et son manque d’intérêt à régler la situation, je n’ai franchement pas envie d’en creuser plus. Il faut ajouter, cependant, que le sale caractère personnel de ses premiers albums se révèle une fausse image pour la publicité vu ce qui s’est passé après.

Ma note : Je ne change pas de chaîne, mais je ne le suis pas plus loin.

13 réflexions au sujet de « Je découvre Antoine »

  1. Avatar de scriiiptor (pour scriiipt.com)scriiiptor (pour scriiipt.com)

    Si je me souviens bien, Antoine est surtout devenu un  »voyageur », il partait en bateau et revenait de temps en temps en France pour chanter une de ses anciennes chansons et se refaire un peu d’argent pour poursuivre ses voyages.
    Je me suis revu son parcours en voyant sa page wikipédia (https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Antoine_(chanteur)) . J’avais oublié qu’il avait fait de la pub pour Atoll…

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    1. Avatar de AnagrysAnagrys

      En revenant dessus, je me demande… je me demande si Antoine n’a pas fait cette publicité Atoll juste largeur Johnny, plus ou moins à la même époque, faisait la pub pour Optic 2000. Ça serait assez drôle 😁

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      1. Avatar de Justin BuschJustin Busch Auteur de l’article

        On dépasse mes connaissances ici, mais j’ai l’impression qu’avec plus d’années derrière lui, Antoine n’avait vraiment plus envie de poursuivre des rivalités. D’autre part, peut-être que Johnny restait l’exception.

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  2. Avatar de vanadze17vanadze17

    J’aimais bien Antoine et ses élucubrations envers Johnny (que je n’aimais pas trop, déjà à l’époque) !
    Mais je garde un bon souvenir d’Antoine, le navigateur, rencontré à Paris à l’occasion du Salon nautique (tous les ans en décembre).
    Il se trouvait juste à côté de moi, et on a pu bavarder avec lui, il est très sympathique.
    Je précise que, s’il ne sort plus souvent de disques, il sort de très beaux livres de photos, issus de ses voyages autour du monde.

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  3. Avatar de AnagrysAnagrys

    J’aimerais juste préciser un point sur le fille diplôme d’Antoine : les Écoles Centrales ne font pas de classement de leurs élèves, soit ils sont diplômés, soit ils ne le sont pas (situation plus qu’exceptionnelle, il faut vraiment chercher pour ne pas avoir le diplôme).
    Donc Antoine est ingénieur de l’École Centrale de Paris, au même titre que par exemple Gustave Eiffel… ou beaucoup de beau monde 😊

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