Peut-être que vous connaissez la série américaine « Hogan’s Heroes, » en VF « Papa Schultz ». Peut-être que vous saviez même le fait que le Caporal Lebeau était joué par un français de naissance, Robert Clary. Mais saviez-vous qu’il avait une carrière en tant que chanteur en France avant de déménager aux États-Unis ? Avec l’aide d’un article du site américain Tablet, et Wikipédia pour quelques détails, je vous raconte son histoire.
Robert Max Widerman est né à Paris en 1926, le plus jeune de 14 enfants des parents polonais. (Je sais, c’est toujours Paris avec ces américains-à-être, bande d’obsédés !) Ses parents avaient bien raison de fuir la Pologne sous la « Zone de résidence » créée par l’Empire russe. Malheureusement, ses parents sont déportés de Drancy à Auschwitz, et tués dans la chambre de gaz. Il est aussi déporté, à Buchenwald, mais les Allemands ont reconnu ses talents (surprenant vu qu’ils avaient l’habitude de tuer leurs prisonniers le même jour de leur arrivée). Il devait chanter pour les meurtriers SS tous les deux dimanches. Le reste du temps, il travaillait dans une usine de chaussures. N’essayez pas à imaginer une telle vie, devoir divertir les tueurs de votre famille. C’est l’enfer.
Le 11 avril 1945, Buchenwald a été libéré par les Alliés. Selon ses memoirs, une semaine plus tard, Clary et d’autres prisonniers ont joué dans un spectacle pour des soldats. Il a chanté plusieurs chansons connues chez les soldats, dont « Homeysuckle Rose » et « A Tisket, A Tasket« .
Quelques semaines plus tard, il est revenu à Paris pour une performance à L’Olympia, qui existe toujours. Cette performance n’a pas été bien accueilli — selon M. Clary, il pensait « Mais ils m’ont adoré à Buchenwald ! » — et il a fini par déménager en Côte d’Azur pour travailler dans les stations balnéaires.
En 1947, il a reçu sa chance ! Il y a eu une grève de musiciens aux États-Unis (le système a bien changé, et elle ne pourrait plus se reproduire). Il a été enregistré (toujours en France) par l’agent Harry Bluestone, et sa chanson « Put Your Shoes on, Lucy » (Mets tes chaussures, Lucy) a vendu 500 000 exemples. Le lien est à un enregistrement au Internet Archive. On peut y entendre un fort accent français dans sa voix. Ça va changer.
En 1952, il est apparu dans une pièce de théâtre, devenu un film, « New Faces of 1952 » (Nouveaux visages de 1952). Voilà une chanson qu’il a chanté avec Eartha Kitt — mais qui chante en anglais, et qui en français ? On peut entendre qu’il a bien pratiqué son accent anglais, et maintenant il sonne comme un new-yorkais. La transformation n’est pas toujours finie.
Quelques ans plus tard, il sort l’album « Meet Robert Clary » (Rencontrez Robert Clary), un mélange de chansons en anglais et en français. Maintenant, il est en pleine forme avec sa voix et peut faire tout et n’importe quoi. Voici « If I Only Had a Brain » (Si seulement j’avais un cerveau) du Magicien d’Oz :
Pendant les prochaines années, il est devenu amis avec un autre chanteur venu aux États-Unis, un certain Yves Montand. Peut-être que vous avez entendu parler de lui ? Mais Clary voulait trouver un chemin différent. Bien qu’il ait accepté de chanter en français avec Eartha Kitt, et sorti un album à moitié en français, il ne voulait pas être connu comme un stéréotype et il résistait donc jouer dans des rôles où il serait surnommé « Frenchy » ou chanterait en français. Mais le temps que les années 50s soient finies, il avait développé un acte où il chanterait un peu en français pour un effet humoristique. Voilà « La vie française », presque entièrement en anglais :
Après cette carrière musicale, il est devenu acteur à plein temps (ou presque). Pendant les six ans de Papa Schultz, un album appelé « Hogan’s Heroes Sing the Best of WWII » (Le casting de Papa Schultz chante le meilleur de la SGM) a sorti, et Clary a chanté plusieurs fois pour celui-ci, dont « The Last Time I Saw Paris » (La dernière fois où j’ai vu Paris) :
Mais après ça, il jouait pendant plusieurs années dans des feuilletons. Pendant les années 80s, il servait aussi en tant que témoin de la Shoah, puis il a pris sa retraite. En 2015, M. Clary a été interviewé par le magazine The Hollywood Reporter, à 89 ans d’âge, sur ce sujet. C’était — volontiers — sa dernière interview (il l’a refusée pour Tablet, en disant qu’il avait arrêté).
Quel destin! Un article bien touchant et nécessaire pour pouvoir garder espoir en se remémorant le passé sombre. Merci Justin.
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Merci pour cette découverte ! 😉
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Quel magnifique exemple ! Quelle vie !
Et un détail auquel je suis particulièrement sensible : son articulation, aussi bien dans le chant que dans la parole, est très compréhensible, ce qui est rare aujourd’hui chez les comédiens et autres artistes… C’est peut-être dû au fait qu’il a travaillé la diction pour changer de langue.
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Oh, absolument ! J’ai habituellement autant de difficultés en comprenant les paroles en anglais qu’en français. Il est très exceptionnel à cet égard !
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Pour l’anglais, j’aime bien entendre les Indiens (de l’Inde) dire qu’ils parlent « le véritable anglais » car ils prononcent tous les phonèmes ! Bien sûr, à leur manière… 😉
Mais le problème de la compréhension qui s’altère avec l’âge est surtout celui d’une mauvaise perception de la co-articulation. Un ami (très lettré) de 95 ans se plaignait que dans une émission de philo sur France Culture il entendait « la plage ailée » à propos de Platon au lieu de « l’attelage ailé ». Simplement parce que si on prononce « l’att’lage ailé », le [tl] qui n’existe pas en français sera traduit comme [pl] par une personne âgée. Les jeunes locuteurs abusent de la syncope du [ə] et les vieux locuteurs… ne cmprnnt pls rn 🙂
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