Portrait de Molière par Nicolas Mignard

C’est rude

Il y a certains mots français qui me font mal à la tête car ils ressemblent à des mots anglais mais n’ont rien à voir : dont, car, bribe. Mais c’est presque pire quand un mot français veut dire la même chose que tous les sens d’un mot sauf le plus commun. C’est le cas avec notre sujet du jour, « rude ».

En français, bien que je n’aie plus la source, je suis certain que la première fois où j’ai vu « rude », c’était dans l’expression « la concurrence est rude ». Ici, « rude » veut dire vigoureux, redoutable, etc. Et c’est certainement un sens du mot rude en anglais ; on dit exactement la même chose en traduction, comme « I thought of trying to do this as a job in Paris, but the competition is rude« . Je vous cautionne ; dans ce sens, ce mot est beaucoup plus commun en français qu’en anglais. Si vous le dites en anglais, c’est ce que l’on appelle un « ten-dollar word » (mot qui vaut 10 dollars) — onze dollars si vous êtes M. Dogg, le rappeur et aficionado de marijuana. Vous apparaîtrez donc un peu snobinard. Heureusement pour moi, j’en suis déjà réputé.

Un autre sens de « rude » en français est pénible, comme « Rude journée de dix heures de marche, par un froid rigoureux et dans des vallées complétement désertes ». Et on dit en anglais, par exemple, « A rude awakening », littéralement un éveil rude, une leçon de la vie qui est un sale coup.

Il y a un sens partagé, juste légèrement snobinard en anglais, car largement britannique, qui est plus positif que les autres. Ça peut dire courageux ou hardi, par exemple, « Il n’y a pas de brume qui tienne, sans une avarie, jamais le capitaine ne serait venu s’aplatir ici contre. C’était un rude marin, que nous connaissions tous. » En anglais, on trouve grosso modo le même sens : « But judging by the breadth and depth of offerings at this year’s American Film Market, the indie movie business is still in rude health. » (Cet exemple veut dire que l’industrie de films indépendants a bel et bien survécu la pandémie.)

Mais de loin, le sens le plus commun en anglais, ne se trouve pas dans les dictionnaires français. Il s’agit de quelque chose de plus malicieux en anglais que les sens les plus proches en français. C’est malpoli. De la même page que l’un de nos exemples précédents, « I spent the rest of the evening thinking how dreadfully rude they were.. » Ça veut dire « J’ai passé le reste de la soirée en pensant à quel point ils étaient malpolis ». On peut dire que quelqu’un est grossier avec ce mot en français, mais c’est juste leur caractéristique. Le dictionnaire Ortolang dit du sens le plus proche en français, « (en parlant de la nature, de l’esprit d’une pers., d’une manière d’être ou de faire) une nature forte, franche, un peu rude et dure de fibre ». En anglais, on parle plutôt de « rude comments », des commentaires malpolis.

Alors croyez-moi, c’était une rude surprise de découvrir à quel point ce mot est utilisé en français. Enfin, une langue où être rude n’est pas toujours rude.

Langue de Molière vous reverra la semaine prochaine pour parler des pronoms réflexifs. Juste y penser me fait mal à la tête.

6 réflexions au sujet de « C’est rude »

  1. Avatar de Bernard BelBernard Bel

    La phrase « je ne veux pas qu’il n’existe pas tout court en français » n’est pas vraiment compréhensible avec cette double négation… Peut-être remplacer par « je veux bien qu’il existe aussi en français » ? Ou autre chose ?

    C’est amusant que le CNRTL affiche le logo Ortolang sur la page de son (excellent) dictionnaire TLF… Le projet Ortolang a démarré bien plus tard, une fois le dictionnaire terminé. Pour moi, c’est le rappel d’une collaboration qui m’a fait perdre beaucoup de temps. Je me suis laissé entraîné dans des projets qui ne correspondaient pas à mes centres d’intérêt — ça ressemble à un mariage raté ! 😉

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  2. Avatar de C'est en lisant...les2olibrius

    « Rude » tu as dit « rude »?… Ah oui : Evin de son prénom pour filer comme un hors-bord… avec Bernard et Bianca afin de sauver… Penny, je crois?
    Euh, pardon mais en plein pays de Mamyland et en babysitting, ce mot prend des sens particuliers pour moi… !

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    1. Avatar de Justin BuschJustin Busch Auteur de l’article

      Oh, ça fait chaud au cœur d’entendre parler d’Evinrude ! J’adorais ce film en tant qu’enfant !

      Au fait, l’auteur du livre original a tiré ce nom très inhabituel d’une manufacture de moteurs hors-bord qui venait du Wisconsin.

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  3. Ping : Saison 2, Épisode 24 — Paris vous aime | Un Coup de Foudre

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