J’ai essayé

C’est encore une fois le temps pour ma plainte annuelle (2021, 2022, 2023) sur le seul sujet qui m’énerve presqu’autant que mon frère. Presque.

Pourquoi est-ce que je me suis embêté avec des milliers d’heures d’efforts ? Au moment de publication, j’aurai écrit 1326 articles de 732 mille mots en total, vu plus de 250 heures de films, cuisiné autant de recettes, et enregistré plus de 30 heures de la balado…désolé, podcast. J’ai fait un engagement tout au début, ce qui est bien connu parmi ceux qui sont ici depuis un moment, que tout serait en français ici. Et encore une fois après des vacances dans un pays francophone, je me demande pourquoi. Mais ça pique encore plus cette fois, car les racines du blog se trouvent au Québec.

J’ai pris très tôt une décision de ne pas utiliser aucun anglicisme où il y avait le moindre choix. J’aurais dit « fin de semaine » au lieu de week-end, mais un ami m’a vite persuadé que ça aurait l’air bien cinglé ([Enfin, plus cinglé — M. Descarottes]). Je résiste au maximum les emprunts superflus — je dis « réunion », pas « meeting » ; « responsable », pas « manager ». Et où les Français ont jété tout court l’éponge, je cherche toujours des mots québécois pour combler les écarts — « divulgâcheur » au lieu de « spoiler », « balado » au lieu de « podcast », etc.

Et pourquoi est-ce que je fais ça ? On croit aux États-Unis que les francophones — les Français, bien sûr, mais surtout les Québécois — ont une attitude plutôt mécontente en ce qui concerne la langue anglaise. Que vous nous croyez des impérialistes qui s’attendent à ce que tout le monde parle anglais. La dernière fois où le Québec a essayé de quitter le Canada est bien dans mes souvenirs vivants, ayant été lieu en 1995. Je n’exprime aucun avis sur le sujet de ce que ce soit une bonne idée ou pas, mais je comprends bien que ça part du sens que la promesse dun pays bilingue qui respecte sa culture est bien plus théorique que réelle. Je vois régulièrement qu’au Québec, même les noms des films en anglais sont traduits où ils passent sans plainte en France (par exemple, Die Hard 4 est sorti sous le nom Vis libre ou crève ; les films Matrix sont devenus « La Matrice »). Je suis sensible à ce genre de signal.

Je suis bien au courant qu’en famille avec des anglophones purs et durs, ce voyage n’allait jamais marcher comme je l’aurais espéré tout seul. Surtout car il est devenu important à mon frère de parler au-dessus de moi et d’écraser mes efforts dès le départ — une personne normale serait ravie d’avoir quelqu’un qui connaît la langue locale, mais il lui fait plus plaisir de m’embêter comme ça. N’importe quoi. Ce qui compte, c’est que j’ai su qu’il me fallait l’accepter aux repas ainsi que d’autres fois.

Mais enfin, je ne peux pas faire pour vous ce dont vous n’avez pas envie. Si je m’approche de l’accueil de mon hôtel et dis « Bonsoir, nous sommes la famille Busch et nous avons réservé deux chambres » et le réceptionniste me répond « And you’re here for how many nights? » (T’es ici pendant combien de nuits ?), on a déjà établi deux choses : 1) en fait, il m’a bien compris sans difficulté, et 2) ce n’est pas le Yankee imperialist qui a insisté sur l’anglais. Je vous ai dit après le tout premier jour que j’avais fait la gueule après une telle réponse dans un resto et ça a amené le serveur à se corriger. D’autres fois, dont au comptoir d’Air Canada en quittant Montréal, j’ai dit « quoi ? » en réponse à l’anglais. Pourtant, je n’aime pas du tout me comporter comme ça.

Et franchement, il y en a beaucoup que l’on ne sait pas quand on apprend juste assez d’anglais pour faire du service aux clients. À l’aéroport, j’ai demandé à un employé où était le bon comptoir pour Air Canada. Il m’a demandé où j’allais, et quand je lui ai répondu « Los Angeles, mais par Toronto », il m’a dit « You have to go to Toronto? » (Il te faut aller à Toronto ?) avec un ton complètement inapproprié. S’il comprenait mieux l’anglais, il aurait su que son intonation voulait dire « Vous devez vraiment y aller ? Vous ne pouvez pas quitter mon pays en direct ? ». Les hispanophones qui travaillent dans les restos rapides ici font souvent pareil, car ils utilisent la négation de façon qui marche en espagnol, mais suggère à un anglophone qu’ils sont en train de réagir négativement même avant de recevoir une réponse. J’imagine que je fais certaines telles erreurs, alors j’essaie d’être compréhensif, mais quand on change de langue comme ça, ça signale qu’à son avis, son anglais est meilleur que mon français. Je vais donc remarquer un ton insultant.

Il y a un dessin qui circule sur Internet :

©️2015 Louleloup

Je me demande de plus en plus si les francophones veulent l’inverse — que le reste du monde apprennent seulement à dire « bonjour ». À ce point, je déconseillerais l’effort à ceux qui n’ont que des buts touristiques.

Je suis gravement déçu par cet aspect de mon voyage. Comme l’année dernière, mes parents ont fini leur séjour en pensant que j’ai un niveau hyper-mauvais — c’était seulement un appel téléphonique (en rentrant de LAX !) d’une amie qui voulait m’emprunter mon lecteur DVD qui les a montré qu’en fait, je sais ce que je fais. Mais mettez de côté ma vanité. Voici un exemple typique du genre de plainte dont nous entendons parler en anglais :

Comme 82,5 % des fonctionnaires de la RCN, je travaille en anglais. Penser, parler, écrire et lire en anglais, tous les jours, représente un effort mental immense pour moi, malgré mon bilinguisme. Chaque journée de travail m’épuise.

À moins d’un changement radical, les réunions « bilingues » auxquelles j’assisterai continueront d’être une supercherie ne contenant que deux mots de français, « bonjour » et « merci ».

Dérives linguistiques dans la fonction publique canadienne, Anna Pellerin Petrova, Le Devoir

Elle n’a pas la moindre idée de comment ces mots tombent sur mes oreilles. C’est vos concitoyens qui m’ont montré qu’ils ne veulent que bonjour et merci, madame !

J’ai essayé.

18 réflexions au sujet de « J’ai essayé »

  1. Avatar de Agatheb2kAgatheb2k

    Les relations familiales sont souvent compliquées…
    Un de mes frères se conduirait comme le tien, je le bannirais de mon entourage en faisant un deuil rapide, en aucun cas je ne le reverrais à moins d’un problème grave chez nos parents (ce qui n’est pas près d’arriver à moins d’une inondation au cimetière !)… Vis ta vie, sans chercher à prouver quoi que ce soit, à qui que ce soit ! Ta fille a besoin de voir ses grands-parents, l’oncle n’est pas indispensable à sa construction mentale s’il doit être source de conflit. Un peu d’humour et le fâcheux sera oublié !
    Le dessin, je le reçois au premier degré, certes je comprends que tu veux un café, mais avant de me demander ton café tu dois d’abord me dire bonjour, auquel cas une conversation pourra s’engager, je te demanderai en quoi je puis t’être utile et là tu pourras me dire ce que tu veux ou ce que je peux faire pour toi ! 😉
    Si, un jour, en France, tu sollicites l’aide des forces de l’ordre dans la rue, n’oublie surtout pas de les saluer avant de leur demander ton chemin ! 😉

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    1. Avatar de Justin BuschJustin Busch Auteur de l’article

      Le dessin m’est arrivé à la Grande Arche de La Défense, la seule fois pendant toute cette semaine-là où j’ai oublié de dire bonjour au femme du guichet. Elle continuait à répéter bonjour à quel que je dise, et j’ai enfin compris mon erreur. Alors quand j’ai trouvé le dessin plus tard, je me suis reconnu là-dedans. Mais elle aussi !

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  2. Avatar de C'est en lisant...les2olibrius

    Tu confirmes ma certitude que la valeur des mots ne se comprend parfaitement que dans sa langue maternelle et j’ajoute que certaines situations humoristiques ne peuvent pas se transposer d’un groupe humain à l’autre ni parfois d’une époque à l’autre ou d’un âge à l’autre ( Je ne peux pas ressentir les choses exactement comme toi et inversement ! Je ne ris plus de ce qui me donnait des fous-rires autrefois et je déteste certains humoristes qui ont un grand succès.) La politesse est affaire de vie en société. La prévenance aussi. Leur perception diffère donc selon les milieux dans lesquels on vit ( en fait… Tu n’es plus le même Busch que les autres membres de ta famille ! Seule La Fille peut te comprendre désormais !). Quant au rire, il est éminemment personnel ( certaines personnes comme moi peuvent rire une heure après et pas du tout sur l’instant !). Enfin… le personnage du dessin humoristique est certes malpoli mais la femme l’est aussi : son obstination à donner une leçon sans l’exprimer clairement est incorrecte. Il aurait fallu exprimer tout simplement son désir de relations respectueuses conventionnelles pour être polie aussi ! (« Oh monsieur, permettez-moi de vous dire bonjour d’abord et de vous demander quelque égard en retour ») Je te souhaite un vendredi sans aucun agacement ni aucune raison de t’attrister. 🌈☀️

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  3. Avatar de vanadze17vanadze17

    La vie familiale n’est pas toujours un long fleuve tranquille ! Même si je n’ai pas de frère comme le tien. Oublie-le un peu, et surtout pendant tes vacances. Tu n’as pas à subir cela.
    Je comprends aussi ton désarroi face à des personnes qui te répondent systématiquement en anglais. Mais je crois que Montréal est une ville davantage bilingue que Québec. Et je salue les québécois qui trouvent la bonne traduction alors qu’ici mes compatriotes ne montrent pas du tout l’exemple (et ça me fait rager).

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  4. Avatar de scriiiptor (pour scriiipt.com)scriiipt

    Mais que les conventions sociales peuvent être compliquées… Elles le sont déjà au sein d’un seul pays, avec toutes ses composantes culturelles. Et on rajoute à cela d’autres éléments qui complexifient les relations entre humains (relations familiales et conventions de relations familiales), relations entre pays voisins, xénophobie ouverte ou refoulée entre pays voisins à la langue commune, etc…
    Le Québec n’est pas la France, même si on y parle français, et le rapport à la langue française et à la francophonie n’est pas vécu par tous les canadiens vivant au Quebec de la même façon. Tout ça pour dire, que quoi qu’il arrive, statistiquement, il y a toutes les chances de tomber mal à un moment ou à un autre. Va falloir le prendre avec humour et philosophie.
    Pour le coté familial, comme on dit « on choisi ses amis et pas sa famille »… Je ne commente pas plus.
    Le dessin est drôle, il est lisible dans beaucoup de langues j’ai l’impression. « Bonjour, merci et au revoir », c’est un peu la base des relations humaines si on veut que cela se passe bien. Dans les relations professionnelles et les relations entre clients et consommateurs, la politesse devrait être essentielle, sinon ça peut vite partir en cacahuète.

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  5. Avatar de FilimagesFilimages

    Ça me rappelle une anecdote qui m’est arrivée en Belgique, un autre pays où la loi rend obligatoire le bilinguisme (les Belges doivent apprendre le français et le néerlandais). Le nord du pays est principalement néerlandophone, le sud du pays est principalement francophone. Les deux parties se « chamaillent » régulièrement.
    Je ne parle pas un mot de néerlandais, mais je ne suis pas hors-la-loi car je ne suis pas belge. J’arrive donc sans appréhension à l’accueil d’un hôtel dans une ville du nord de la Belgique, et je m’exprime en français au réceptionniste. « Bonjour, etc… ». Accueil froid et regard réprobateur. Je pense qu’il ne parle pas français et continue en anglais. Il ne respecte pas les lois de son pays et, en plus, il travaille dans le tourisme. Bref, je remplis les papiers pour les formalités d’entrée et, en voyant ma carte d’identité, le réceptionniste s’aperçoit que je ne suis pas belge, mais français. À ce moment précis, j’ai eu droit à un grand sourire et il me dit dans un français impeccable : « Ah, vous êtes français ! Il fallait le dire ! »… 🙄

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  6. Avatar de AnagrysAnagrys

    Il faut dire que pour pratiquer ton français, tu n’es peut-être pas allé dans la ville idéale, j’ai été frappé à Montréal par le bilinguisme de cette ville : dans le moindre magasin où tu entres, on te dit « hello / bonjour », ne sachant pas si tu es natif anglophone ou francophone. Si tu veux un Québec plus francophone, il suffit simplement d’aller à Québec, là-bas je n’ai pas souvenir que la question se soit posée.

    Je trouve la BD amusante, si d’aventure je me trouvais dans une situation similaire je crois que j’ajouterais le « bonjour », suivi d’un « excusez-moi » – je le dis d’autant plus volontiers que ça m’est déjà arrivé. Sinon, une autre version du même style est la pancarte qu’on trouve dans certains bistrots à Paris (ville pourtant pas vraiment connue pour la politesse de ses serveurs !) :
    – un café : 3,00€
    – un café, s’il vous plaît : 2,00€
    – bonjour, un café, s’il vous plaît : 1,20€
    Je ne sais pas s’ils appliquent ce tarif différencié, mais ça m’amuserait que ça soit le cas, ça ferait du bien à quelques personnes !

    Concernant les titres de films, c’est encore plus drôle quand le titre en France est traduit… en anglais ! L’exemple évident est la série « The Hangover », dont le titre ici a été traduit ici en… « very bad trip » (« Lendemain de veille » au Québec)…

    Dans tous les cas, ton français écrit est plus que correct, un certain nombre de personnes dont c’est officiellement la langue maternelle font beaucoup moins bien que toi ! Ceci dit, je n’ai pas encore testé ta ballado-diffusion, je ne parle donc que de l’écrit, pas de l’oral 🙂

    Très bonne journée !

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  7. Ping : Saison 3, Épisode 15 — Le reste de l’histoire | Un Coup de Foudre

  8. Avatar de Marie-Luce, miaougrapheMarie-Luce, miaougraphe

    C’est assez typique de Montréal, même des francophones se font répondre en anglais… À l’extérieur de la région métropolitaine, c’est mieux, quoi que tu peux tomber sur des gens trop contents d’avoir une opportunité de pratiquer leur anglais… 😉 Je comprends la frustration, j’ai vécu l’inverse à Ottawa et durant mes études à Concordia où je m’exprimais en anglais et entendant mon accent, on me répondait en français.

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  9. Ping : Mes plaintes, version californienne | Un Coup de Foudre

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