Archives mensuelles : Mai 2025

Madeleines à l'orange, trempés dans du chocolat

Dimanche avec l’oncle Sam

On reprend maintenant « À l’ombre de jeunes filles en fleur ». Cette fois, j’ai avancé de 24 pages. Et avez-vous remarqué quelque chose de nouveau ? Oui, de nouvelles madeleines — cette fois, à l’orange et au chocolat, une combinaison très populaire chez les britanniques en particulier. Je ne savais pas jusqu’à maintenant : ce chocolat britannique appartient de nos jours à Carambat. De toute façon

Pour vous rappeler, toute citation du texte vient de Wikisource.

La dernière fois, notre narrateur allait rencontrer un certain M. de Norpois, ancien ambassadeur français, qui allait peut-être l’aider avec sa carrière littéraire. Il est un personnage très différent de moi :

Comme les étrangers de passage qui lui étaient présentés, au temps où il représentait la France, étaient plus ou moins — jusqu’aux chanteurs connus — des personnes de marque et dont il savait alors qu’il pourrait dire plus tard, quand on prononcerait leur nom à Paris ou à Pétersbourg, qu’il se rappelait parfaitement la soirée qu’il avait passée avec eux à Munich ou à Sofia, il avait pris l’habitude de leur marquer par son affabilité la satisfaction qu’il avait de les connaître.

Je rencontre fréquemment des personnes dont leurs enfants étaient des copains de classe de La Fille, qui me disent bonjour, et je n’ai aucune idée de leurs noms où ce que l’on a fait ensemble.

Le narrateur croit que tout va très mal :

Mais les termes mêmes dont il se servait me montraient la Littérature comme trop différente de l’image que je m’en étais faite à Combray, et je compris que j’avais eu doublement raison de renoncer à elle.

6 tomes disent que ce n’est pas comment finit l’histoire. Mais on n’a qu’à attendre jusqu’à 2 pages plus tard, quand Norpois lui dit à qui il devrait parler pour plus de conseils :

après un instant d’hésitation pendant lequel il sembla calculer les conséquences de son acte, il me dit, en me tendant sa carte : « Allez donc le voir de ma part, il pourra vous donner d’utiles conseils »

Il s’avère que Norpois est peut-être moins malin qu’il se pense ; le père du narrateur lui parle d’investissements, et il recommande :

le 4% Russe. « Avec ces valeurs de tout premier ordre, dit M. de Norpois, si le revenu n’est pas très élevé, vous êtes du moins assuré de ne jamais voir fléchir le capital. »

Ce livre a été écrit après la Révolution russe en 1917 ; je ne suis pas sûr en quelle année nous sommes, mais ce conseil va échouer de façon spectaculaire. Puis la conversation tourne vers la Berma, l’actrice que le narrateur avait vue au théâtre la dernière fois, et Norpois se révèle sans jugement d’autre façon, disant :

Bien qu’elle ait fait de fréquentes et fructueuses tournées en Angleterre et en Amérique, la vulgarité je ne dirai pas de John Bull, ce qui serait injuste, au moins pour l’Angleterre de l’ère Victorienne, mais de l’oncle Sam n’a pas déteint sur elle.

Allez-vous-en, Norpois !

Je note que la traduction ne fait pas confiance aux connaissances du lecteur. Pendant le dîner qui suit, Norpois dit « Je serais curieux de juger votre Vatel maintenant sur un mets tout différent » — l’anglais remplace Vatel par chef. Quoi, comme si le lecteur n’a pas écrit « Je découvre l’Oise » et ne sait pas qu’il est réputé d’avoir inventé la crème Chantilly, et de s’être suicidé quand il n’y avait pas assez de poisson pour les invités ?

Il suit des pages sur les relations avec un certain roi Théodose, ainsi que l’empereur d’Allemagne, de qui Norpois râle :

D’abord, c’est un acte d’ingratitude. C’est plus qu’un crime, c’est une faute et d’une sottise que je qualifierai de pyramidale !

Voleur ! Ces mots appartiennent à Antoine de la Meurthe en parlant de l‘exécution du duc d’Enghien. Quelle coïncidence vu que nous venons de parler de Chantilly, le château dudit duc.

Norpois est presque certainement un commentaire par Proust sur son avis des compétences du gouvernement français avant la Première Guerre mondiale. Pauvre Proust — ne savait-il pas que les fonctionnaires du monde étaient, et restent, tous comme ça ?

Tout ça se relie enfin avec le dernier tome quand Norpois mentionne qu’il vient de dîner chez Mme Swann. Il dit de la maison :

Mon Dieu… c’est une maison où il me semble que vont surtout… des messieurs. Il y avait quelques hommes mariés, mais leurs femmes étaient souffrantes ce soir-là et n’étaient pas venues, répondit l’Ambassadeur avec une finesse voilée de bonhomie et en jetant autour de lui des regards dont la douceur et la discrétion faisaient mine de tempérer et exagéraient habilement la malice.

Il élabore sur son mauvais avis de madame :

Il y a eu, il est vrai, dans les années qui précédèrent le mariage, d’assez vilaines manœuvres de chantage de la part de la femme ; elle privait Swann de sa fille chaque fois qu’il lui refusait quelque chose.

Avec ça, Proust a appuyé sur mon bouton le plus sensible, et j’ai dû arrêter. Il me semble que nous sommes loin de finis avec ce conte sordide, et nous le reprendrons la semaine prochaine.

Je découvre Antoine

On continue maintenant le Projet 30 Ans de Taratata, cette fois avec Antoine. « Mais Justin », vous me dites, « il a 80 ans et n’était pas sur scène cette nuit-là ». Et vous avez raison. Cependant, c’était sa chanson « Les Élucubrations » jouée par Tryo, notre dernier groupe, alors il faut continuer avec leur source. Ce sont les règles du Projet, après tout.

Antoine à une séance d’autographes, Photo par David.Monniaux, CC BY-SA 3.0

Pierre Antoine Muraccioli est né en 1944 à Madagascar. Sa famille était là parce que son père était ingénieur en travaux publics — alors il a aussi habité à Saint-Pierre-et-Miquelon, au Cameroun, et à Marseille, tous avant ses 12 ans, avant de s’installer en Haute-Savoie. Il est devenu élève-ingénieur et a suivi un parcours plus comme le mien que j’aimerais penser. Nous nous déprimions tous les deux pendant ces études à cause de chagrins d’amour — mais où j’ai changé de cours, il a continué et obtenu un diplôme avec un classement très bas. D’autre part, il a utilisé cette expérience pour se lancer dans l’écriture de musique, où il a connu un plus grand succès que moi, alors j’imagine qu’il serait offensé par la comparaison. De toute façon

En 1965, toujours un élève à la fac, Antoine sort son premier single, Autoroute européenne N° 4. Là, il est l’homme orchestre, jouant de la guitare et de l’harmonica, ainsi que chantant. À mes oreilles, il sonne exactement comme Iggy Pop ou Three Dog Night, mais ces autres commençaient leurs carrières en même temps, alors impossible qu’ils se connaissaient. C’était juste dans les eaux, comme on dit en anglais.

L’important, c’est que ça lui vaut l’opportunité de sortir son premier album en 1966, intitulé « Les Élucubrations d’Antoine », d’après ce qui serait son plus grand tube. Cette chanson doit être le premier « diss track » au monde — ce que les rappeurs américains appellent une chanson écrite pour insulter d’autres rappeurs. Ici, il se fout de la gueule d’Yvette Horner (qui il suggère devrait quitter son accordéon) et de Johnny Hallyday, qui devrait être dans une cage. En anglais, on dirait qu’il fallait avoir des couilles en laiton pour tenter une telle chose !

Peut-être la chanson qui montre la plus sa personnalité sur cet album est « Qu’est qui ne tourne pas rond chez moi ? » où il annonce « Je ne croooooooois à rien ! » Antoine est là pour épater la bourgeoisie, comme on dit. Et tout le monde l’aimait, sauf pour Johnny, qui rétorque avec « Cheveux longs et idées courtes », où il dit que personne ne change le monde en criant dans un micro.

Son prochain disque, sorti aussi en 1966, « Antoine rencontre Les Problèmes » est largement du à ce dernier groupe, mieux connu plus tard comme Les Charlots. Antoine n’écrit que deux chansons pour cet album, dont « Contre-élucubrations problématiques », où il se moque de Johnny : « Nous ferons ce qu’il faut pour être les premiers, Ta cage est déjà réservée ». Fallait pas mordre à l’hameçon, Johnny. L’autre contribution d’Antoine est « Je dis ce que je pense et je vis comme je veux », où il s’assied dans un Volkswagen Combi et se comporte en général comme un sale hippie :

L’année suivante, 1967, voit un troisième disque avec un changement de direction, « Je reprends la route demain ». La chanson éponyme continue l’attitude insouciante, mais la musique est moins « caféinée », si vous me suivez, plus introspective. J’ai eu du mal à trouver d’autres morceaux de cet album.

Tout change radicalement plus tard en 1967 quand il sort encore un autre album. Cette fois, il a coupé les cheveux — quoi ? — porte désormais une moustache, et chante des choses qui pourraient venir d’un roman satirique de Douglas Adams. Ça commence avec une autre chanson éponyme, « Madame Laure Messenger, Claude, Jérémie, et l’Existence de Dieu », où deux poissons rouges se disputent sur ce dernier sujet :

J’ai eu du mal d’en trouver plus sur YouTube, mais Internet Archive a tout l’album disponible gratuitement. Il y a plus d’une diversité de styles — « L’anniversaire de Beethoven » ne sonne comme rien d’autre jusqu’à ce point — et si « Je partirai bientôt » a un peu le même air de « Je m’en fous et je quitte », cette fois, c’est plus… joyeux ? Je doute que c’était une réussite vu la difficulté de retrouver l’album, mais il semble s’en profiter plus.

Je saute plusieurs albums difficiles à trouver, mais en 1970, il sort Ra Ta Ta, un autre album où la chanson éponyme est étonnante vu son début. Il mène le public en applaudissant, et les paroles ne semblent pas lourdes du tout :

Encore une fois difficile de trouver d’autres chansons de l’album, mais j’ai trouvé un autre clip avec « J’aime le bon vin » ainsi que Ra Ta Ta. Cette fois, c’est un conte de son goût pour boire le vin de Communion. Je l’ai mis au bon moment dans ce lien.

En 1971, il sort un autre album, Larraldia, dont j’ai trouvé au moins le single ‘Scusez-moi, m’sieur Antoine, en duo avec Danièle Gilbert, inconnue pour moi avant. C’est assez charmant ; les paroles sont des questions peu importantes avec des réponses marrantes :

En 1974, il part en voyage autour du monde pendant 6 ans, en voilier. Apparemment, il enregistrait pendant ce temps ; j’ai trouvé tout son album de 1976, Corcovado, complet dans une seule vidéo sur YouTube. Mais c’est ici où j’arrête. Sa musique est largement difficile à trouver, avec presque aucune info disponible sur ses classements et son accueil par le public. Le fait qu’il y a des clips de l’INA ici me dit qu’il continuait de trouver un rapport avec son public en live, mais c’est assez évident que sa carrière à partir de « Madame Laure Messenger » est largement une réaction contre son image originale. Et ses voyages, qui continuaient après son retour en 1980, me disent qu’il voulait vraiment juste tout plaquer. Je compatis énormément.

Que penser d’Antoine ? Il me semble qu’il était plus qu’un coup étonnant, mais que le renommé n’était pas à son goût. Et ça va ; la vie des stars est souvent moins heureuse que nous ne le pensons. Mais entre le fait que sa musique après les deux premiers albums reste largement cachée, et son manque d’intérêt à régler la situation, je n’ai franchement pas envie d’en creuser plus. Il faut ajouter, cependant, que le sale caractère personnel de ses premiers albums se révèle une fausse image pour la publicité vu ce qui s’est passé après.

Ma note : Je ne change pas de chaîne, mais je ne le suis pas plus loin.

Habemus americanam

Malgré toutes les églises à apparaître dans ces pages, en général j’évite les sujets religieux. Mais vu les nouvelles d’hier et la certitude que Le Canard enchaîné aura un gros-titre qui se moque desdites nouvelles, il me semble que je ne peux pas laisser ce moment passer sans commentaire. Après tout, je ne croyais pas que La Fille verrait un Pape américain pendant sa vie, peu importe moi. Cependant, même si je me compte parmi les fidèles, je vous promets un billet bien Coup de Foudre.

Avant de me lancer dans les réactions américaines, puis-je mentionner ce que j’ai trouvé inattendu sur Twitter en français ? J’aurais cru que j’avais appris l’italien après tout avec ce niveau d’intêrét. Voici une capture d’écran :

Ça dit "Ce qui se passe", et comprend les tendances les plus populaires. Au moment de la capture, les trois étaient le hashtag HabemusPapam, le nom Léon XIV, et l'expression fumée blanche.
Capture d’écran

Si M. Jours d’humeur lisait jamais Twitter… hihihi, je ne peux même pas finir cette pensée ! Mais pour lui, je dirai, revenons à nos moutons, ou plutôt leur berger :

Nous n’avons même pas atteint la fin de son « Urbi et Orbi », la bénédiction offerte uniquement par les Papes, et pour chacun, pour conclure sa première apparition en public, quand les blagues ont commencé. Par exemple, ce traitement par logiciel de la célèbre fumée blanche pour la donner des couleurs plus américaines, ainsi que remplacer les mouettes par des aigles chauves :

La célèbre cheminée du Vatican, avec de la fumée tricolore -- rouge, blanc et bleu -- ainsi que deux aigles chauves.
Source

Le Babylon Bee (L’Abeille de Babylone), un journal satirique chrétien — pas comme le Canard, tous ses articles sont des blagues — a publié un article avec un gros-titre hilarant en anglais. Il me faudra l’expliquer :

Gros-titre en anglais avec une photo du cardinal Prevost avant son élection.
Capture d’écran

Le gros-titre dit « Les catholiques recherchent désespérément le nouveau Pape sur Google pour voir s’il est catholique ». Je sais, vous vous dites « Ben, c’est évident ». Mais en fait, ça fait partie d’une famille d’expressions en anglais américain — je ne suis pas prêt à dire si un britannique les reconnaîtrait — pour dire que quelque chose est évident. « Est-ce que les ours chient dans les bois ? » est un exemple. « Est-ce que le Pape est catholique ? » est un autre. Parfois, nous pratiquons un genre de contrepèterie en les mélangeant — « Est-ce qu’un ours est catholique ? » Et oui, dans l’autre sens, mais vous êtes sur le mauvais blog pour lire ça écrit par son auteur.

Plus tard, le même site a publié un article avec une blague peut-être plus européen sur le même sujet :

Photo de la cheminée avec un aigle chauve avec un fusil dans ses griffes.
Capture d’écran

Ça dit « Aigle tirant un fusil AR-15 sort du Vatican pour indiquer qu’un Pape américain a été choisi ». C’est bien nous, les fusils et les aigles.

Et je suis sûr que vous profiterez tous d’une blague que j’ai vue une centaine de fois hier, de nombreuses sources. Celle-ci n’est qu’une d’entre eux :

Capture d'écran d'un tweet par la commentatrice Kate Hyde
Capture d’écran

Ça dit « Un autre indice que les droits de douane de Trump fonctionnent… même le Pape est désormais fabriqué aux États-Unis. »

Je vous promets, c’est du second degré. Enfin, je pense.

Mais il vient en particulier de Chicago, une ville connue pour avoir deux équipes de baseball, une équipe de football américain avec des fans hyper-passionnés mais aucune réussite en 40 ans, le gouvernement local le plus corrompu du pays, et son propre genre de pizza. On parle de ça aussi :

Capture d'écran d'un tweet par le commentateur Stephen Miller
Capture d’écran

Ça dit « La première directive du Pape sera de canoniser Mike Ditka. » M. Ditka était le entraîneur de la dernière équipe de Chicago à gagner le Super Bowl, en 1985. Je ne plaisantais pas !

Blagues à part, le cardinal Prevost n’était pas bien connu aux États-Unis, ayant passé presque toute sa carrière de prêtre à l’étranger. Alors personne ici ne sait à quoi s’attendre. Mais tout comme les Jeux Olympiques tous les 4 ans, quand le pays entier devient tout à coup expert en des sports que personne ne suit et a des avis forts sur des athlètes dont personne n’a jamais entendu parler, il n’y a pas de question que seulement les plus grincheux ne sont pas fiers de ce moment. Naturellement, d’ici la semaine prochaine, la moitié du pays aura du mal à se souvenir de son nom de naissance. Mais pour l’instant, nous disons (presque) tous, U-S-A ! U-S-A !

Premier chapitre

Voici une surprise. Le livre fait maintenant 261 pages, en partie parce qu’une amie m’a rappelé qu’en fait, il faut utiliser une taille A4 plutôt que la taille ordinaire américaine (plus large, moins longue). De cela, je dirais que 200 pages sont bel et bin prêtes. Mais je me bloque de les envoyer aux bénévoles, en partie parce que j’ai toujours peur de mon grammaire, mais aussi parce que je me sens comme si le début est « trop Justin », trop ringard. Je le mets donc dans toutes vos mains, et je serai curieux des retours. Ne soyez pas gentils ; soyez honnêtes. Dans le brouillon, ce qui suit s’intitule « Du Québec au Confinement ».

Dessin d’un homme assis à un secrétaire, du livre South by East: Notes of Travel in Southern Europe par G.F. Rodwell, Photo prise par Grufo, GNU GPL

Voici un livre sur la France. Naturellement, cela veut dire que notre histoire commence au Québec, et avant cela, sur Internet. On est 2019, où je naviguais sur YouTube quand il me recommanda une vidéo par une pianiste dont je n’entendis jamais parler. Elle s’appellait Laurence Manning, et elle était spécialiste en musique des jeux vidéo. Mais pas comme beaucoup de « youtubeurs », elle jouait à un très haut niveau car elle avait un doctorat de l’Université de Montréal. Or, je ne le savais toujours pas ; je savais juste que je n’entendis jamais personne qui jouait la musique de la série de jeux vidéo Castlevania comme cela. En effet, j’étais assez captivé par sa musique que je passai les trois heures suivantes en écoutant tout et n’importe quoi qu’elle avait sorti sur Internet.

Le lendemain, je commandai son album récemment sorti, « Game Music Piano Album ». À l’époque, Laurence se débrouillait de toutes ses affaires toute seule ; elle gérait donc chaque commande personnellement. Je reçus un courriel d’elle, me remerciant (en anglais) pour avoir acheté son album. C’était très gentil de sa part, mais la première coïncidence qui changerait ma vie était sur le point d’arriver. Quelques jours après ma commande, elle sortit une nouvelle vidéo de mon morceau préféré de la série Castlevania, « The Silence of the Daylight » (La silence de la lumière du jour). C’était magique. Je sortis tout de suite ma carte de crédit, et quelques minutes plus tard, je devins abonné.

Avec cet abonnement, Laurence m’invita à rejoindre son groupe privé de fans sur Facebook. Elle étant québécoise, ce groupe était à moitié plein de personnes qui la connaissaient au Québec. Laurence vit selon les meilleures idéales du Québec – toutes ses publications sont pleinement bilingues – mais le groupe parlait grosso modo en anglais. Je fis donc la connaissance de nombreuses personnes avec de tels prénoms que Yannick, Sébastien, et Yohan, mais ils écrivaient tous en anglais. Sur Facebook, quand même. Puis, le virus arriva.

Laurence commença à donner des concerts en ligne sur des services de streaming, tels que YouTube et Twitch. Et pendant qu’elle jouait, nous les fans pouvions nous parler les uns aux autres. C’est par là que je découvris que je ne pouvais pas complètement m’intégrer dans ce groupe après tout. Beaucoup de québécois se parlaient en français, et à Laurence aussi (elle lisait les commentaires pendant ses pauses). Je ne me fâchais pas à cause d’être exclu ; je voulais juste faire partie du club !

En même temps, un ami, un ancien copain de classe au lycée, avait commencé à apprendre d’autres langues avec Duolingo. Je me dis qu’avec tout ce temps, je pouvais aussi me lancer en français avec le hibou vert et son appli. Le 29 mars – ce que j’appelle mon anniversaire français — je suivis ma première leçon. Et c’est ici où notre histoire tourne vers la France.

Je suis linguiste et j’appris vite avec Duolingo, en y passant plusieurs heures par jour. Un mois après le début, je pouvais déjà suivre les conversations sur Twitch – mais pour être clair, ce n’était pas du tout difficile ! Ce genre de parler emploie un vocabulaire très limité, souvent répété, et poivré de plein d’émojis qui rendent la tâche facile. J’aurais pu arrêter à ce point, satisfait que j’avais réussi mon but de comprendre ce qui se passait pendant les concerts de Laurence. Mais j’avais de plus grands rêves.

Jeune, j’avais voulu apprendre le français. Cependant, je grandis à 50 km de la frontière mexicaine, et selon l’avis de mes parents, c’était l’espagnol qui me servirait dans la vie. J’ai de nombreux heureux souvenirs de mes profs d’espagnol et je ne veux pas du tout suggérer qu’ils étaient tous moins qu’excellents. Mais je me sentis pendant toute ma vie comme si j’avais raté ce que je voulais le plus, parler le français. En tant que linguiste, je croyais que j’avais raté la meilleure opportunité, en ne pas avoir commencé avant « l’âge critique » (disons environ 13 ans ; c’est un sujet plein de désaccord). Mais en 2020, moi voilà, apprenant le plus vite possible. Je demandai donc à mes amis québécois : qu’est-ce que je peux faire pour m’améliorer au-delà de Duolingo ?

L’un d’entre eux, Yohan, me suggéra de trouver un groupe francophone en ligne qui parlait des mêmes choses que j’aimais déjà. Et complètement par hasard – un autre heureux hasard ! – cette semaine-même, dans un groupe de fans de jeux vidéo, je vis une publicité pour une page de Facebook, Génération 80s. Ce jour-là, je m’abonnai à leur page et rejoignis leur groupe privé. Ce moment changea ma vie.

Génération 80s est un groupe de nostalgiques des années 80s. Ils parlent de beaucoup de choses que l’on connaît mutuellement, mais peut-être sous des noms différents. Je dis « Airwolf », vous dites « Supercopter ». Je dis « Spaceballs », vous dites « La folle histoire de l’espace ». Avec un peu d’effort, on peut se comprendre très bien en parlant de ces sujets. Mais ils parlaient aussi de nombreuses choses que je ne connaissais guère, ou pas du tout : Club Dorothée, Casimir, des acteurs appelés Louis de Funès et Bourvil, les biscuits LU.

Je passai les trois prochaines semaines presque complètement silencieux, de peur que je dise quelque chose de gênant. C’est l’une de mes compétences dans n’importe quelle langue ! Mais pendant ce temps-là, un autre heureux hasard : je trouvai une boîte de biscuits Chamonix dans une boulangerie locale. En les goûtant pour la première fois de ma vie, je me dis « Je comprends maintenant exactement de quoi ils parlent, et c’est enfin le temps de me présenter. » (D’accord, en anglais, je n’étais toujours pas prêt à dire tout cela en français – mais plus proche que vous ne l’imaginez.) J’écrivis un petit post, plein d’erreurs, et plusieurs heures plus tard, les admins appuyèrent sur le bouton qui me transformerait pour toujours.

Personne ne connut jamais un accueil aussi chaleureux dans la vie. Je ne sais toujours pas s’il y avait d’autres anglophones de naissance dans le groupe, mais tout le monde fut étonné d’y découvrir un américain. Je reçus des centaines de commentaires gentils, et pendant les prochains mois, des douzaines de demandes de parler sur Messenger. Après la toute première journée, je le sus : il me fallut 43 ans afin de rentrer pour la première fois de ma vie. C’était le début du Coup de Foudre.

Portrait de Molière par Nicolas Mignard

Les dieux-rois et les rois-dieux

La dernière fois, je vous ai promis « le problème d’un roi que les Français ne réussiront jamais à décapiter ». Plusieurs tels rois, en fait. Vous voyez, cette fois on parle des rois qui sont aussi des dieux.

Ne vous inquiétez pas, il n’y aura pas de sermon ici. Notre histoire commence plutôt dans l’une de mes nombreuses idées fixes, les jeux vidéo, en particulier, mon obsession entre 2010 et 2013, Infinity Blade, connu en France sous le même nom.

Infinity Blade avait une idée simple, mais de génie. Le joueur joue dans la peau d’un chevalier sans nom, et tout ce que l’on savait de lui, c’était qu’il est venu pour « venger son père », ce qu’il annonce dans une brève scène avant d’attaquer le château du méchant. Quand il atteint la salle du méchant, il perd. Puis son enfant arrive 20 ans plus tard pour venger son père, le personnage du joueur pendant le premier tour — mais il garde tout l’argent et les équipements gagnés par son prédécesseur. Ça répète jusqu’à ce qu’une génération arrive qui est assez fort pour vaincre le méchant. Le méchant reste le même à chaque fois, car il est « Deathless », traduit en VF comme Éternel, mais littéralement « Sans-mort ». M. Robespierre pouvait le guillotiner autant que souhaité, et ce méchant renaîtrait simplement dans l’un de ses clones.

« Mais Justin », vous me dites, « c’est Langue de Molière aujourd’hui, pas Langue d’Infinity Blade. Ça va quelque part ? » Ah oui. J’évitais jusqu’à ce point mentionner le nom du méchant. En anglais, il s’appelle le « God-King », ce qui se traduit littéralement par « Dieu-Roi ». Je m’attendais à ce que l’ordre soit inversé, parce que ça arrive tout le temps en passant de l’anglais au français. Mais non, selon l’article de Wikipédia lié ci-dessus, c’est en fait le Dieu-Roi. Pourtant, nous en parlons pour une raison.

Le Dieu-Roi, connu aussi sous le nom Raidriar, dans son armure, assis sur un trône rouge
Le Dieu-Roi sur son trône, Capture d’écran par Infinity Blade Wiki, CC-BY-SA 3.0

Il y a aussi un livre de la série Dune, intitulé « God-Emperor of Dune » en anglais. On penserait selon notre premier exemple que le personnage nommé, le « God-Emperor », serait donc le Dieu-Empereur. Cependant, le titre en français est plutôt « L’Empereur-Dieu de Dune ». C’est donc quoi la règle ?

Curieux, j’ai recherché « Roi-Dieu » pour voir ce qui arriverait, parce qu’il y a d’autres personnages fictifs en anglais portant ces noms. Par exemple, il y a un roman qui se déroule dans l’univers du jeu de rôle Warhammer, intitulé God-King. Sa traduction officielle ? Le Roi-Dieu. Au moins une philosophe français fait référence à Sauron du Seigneur des Anneaux comme un roi-dieu. J’ai même trouvé un jeu vidéo développé en France, Dofus, avec un personnage original, aussi dit le Roi-Dieu. (Voici une vidéo sur Dofus par mon sosie, un Justin Buisson. Je meurs de rire !) Et j’ai également trouvé pour Victor von Fatalis, personnage de l’univers Marvel, qu’il s’appelle le Dieu-Empereur dans au moins une version de l’histoire.

Cependant, j’ai fait une trouvaille intéressante, qui n’éclaircit pas exactement la situation, mais suggère qu’il était une fois, ces expressions n’était pas des synonymes exactes. C’est un article d’un journal académique de 1956, intitulé Le Roi-Dieu et le Dieu-Roi dans l’Égypte ancienne. La première page suggère peut-être que le nom qui prend la première place est un peu la catégorie basique, disant « Quelques passages décrivent le dieu Amon- Ree comme roi et d’autres mentionnent le pharaon comme dieu ». Pourtant, rien n’est établi avec certitude.

J’en conclus qu’il n’y a pas de règle grammaticale derrière ces choix. Ce qui doit être le résultat le moins français de toutes mes recherches sous cette rubrique !

Langue de Molière vous reverra la semaine prochaine pour faire du camping.

Les croissants de La Fille

Dire que je ne m’attendais pas à ce post est loin de la hauteur de mon niveau de surprise. Mais après son examen AP de biologie hier, elle m’a écrit un texto, et on a eu la conversation suivante. Oui, en français ; veuillez excuser ses fautes.

Capture d'écran entre moi et ma fille, avec ses erreurs. Elle « Je suis fini avec mon examen. » Moi « Oui tu as dit ça à moi et ta mère » Elle « Oui, mais je suis très contente maintenant. » Moi « Ah oui ? » Elle « Je crois que j'ai fais un bon travail » Moi « Tu as réussi un zéro parfait ? Et c'est j'ai fait » Elle « Vous êtes mort »

Mais après ça, elle m’a dit qu’elle voulait faire quelque chose pour fêter l’événement. Si possible, faire des croissants. Je l’ai prévenue que ça prenait du temps, mais dites-donc : qui n’a plus rien à faire dans son cours de biologie ? Alors, suivant la même recette de Cook&Record vu ici pour les pains au chocolat, voici ses premiers croissants. Elle ne manque pas d’ambition !

Assiette de croissants en gros-plan, avec un croissant très proche de l'objectif

Dans ce cas, j’ai fait exactement une étape, l’aider à étaler la pâte pour la dernière fois, afin de les découper. Le reste, c’est à elle sous ma surveillance. Allons apprendre !

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Saison 4, Épisode 7 — La carne asada en douce

Notre gros-titre cette semaine tire son inspiration de mon gros-titre préféré de tous les temps en français, paru dans Sud-Ouest, « Landes : il tente de faire passer en douce des magrets de canard en prison ». À mon avis, c’est le truc le plus français jamais écrit. Ne vous inquiétez pas, il a aussi tenté de faire passer en douce des armes blanches. Mais c’est les magrets qui ont attiré l’attention de l’auteur.

Pour ce qu’il vaut, le seul gros-titre que j’aime mieux est paru il y a des décennies dans le New York Post, « Headless Body in Topless Bar » — c’est à dire « Cadavre décapité trouvé dans un bar topless ». En anglais, le rythme des mots est parfait. Impossible d’écrire mieux que ça, même si le sujet est un peu dramatisé.

L’épisode est plutôt court cette semaine. J’ai passé tout dimanche en aidant La Fille à pratiquer pour l’examen AP Biologie. Je sais qu’elle est prête, mais c’est exactement son attitude de ne jamais arrêter qui montre pourquoi elle le réussira. Alors je n’avais pas de temps pour chercher de Bonnes Nouvelles. Il faut avoir une certaine connaissance culturelle pour apprécier la blague, alors j’ai mis un lien en bas où je mentionne le sujet.

J’ai les résultats de mon expérience sur Instagram, et ils sont dégueus. Photo de macarons qualité Ladurée fait maison ? 82 vues en 2 semaines, seulement 4 parmi les non-abonnés. Photo de blondies ? Exactement pareil. Reel du cookie ? Plus de 1 300 vues en un jour, dont plus de 780 par les non-abonnés. La photo de la carne asada va encore pire que les autres à ce point ! Péla vient de m’envoyer des astuces officielles de Meta pour améliorer la situation, mais c’est évident qu’ils préfèrent de loin les vidéos.

Pour fêter l’anniversaire de La Fille avec un jour de retard, nous sommes allés dans l’un de ses restos préférés, le Cheesecake Factory ; c’est-à-dire, l’Usine à cheesecakes. Voici une photo de leur vitrine ainsi que celui qu’elle a commandé :

En quelque sorte, je me suis échappé avec un taux de glycémie de 181 mg/dL, ce qui est étonnant vu les calories à go-go chez eux.

Puis-je ajouter à quel point je vous apprécie pour tous les messages reçus pour son anniversaire ? Je les ai partagés avec elle, et à un moment où elle se sentait moins qu’aimée, c’était un soulagement. Vous êtes vraiment les meilleurs.

Notre blague se traite des Amish. Nos articles sont :

Les gros-titres sont Champignon et Vin. Il n’y a à pas de Bonnes Nouvelles pour manque de temps.

Sur le blog, il y a aussi J’ai honte, épisode 96578 de mes regrets en tant que père célibataire, C’est le 1er, version mai 2025, ma revue mensuelle de mes blogs préférés, La vie sous les droits de douane, une note sur comment l’actualité tombe dans la vie quotidienne, et La carne asada et les frijoles de la olla, notre dernière entrée dans les plats mexicains du blog.

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La carne asada et les frijoles de la olla

Il n’y a pas de Dimanche avec Marcel cette semaine parce que le 5 mai tombe lundi, ce qui est aussi le jour de la balado. Et chaque année, je vous propose un dîner mexicain pour Cinco de Mayo, ou comme disait M. le président Obama, Cinco de Cuatro. Nos autres plats : tacos de poulet à l’achiote, la birria, le chili colorado. Cette année, je vous présente la carne asada (littéralement « viande grillée ») et les frijoles de la olla (« haricots de la casserole ») :

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J’ai faim ; allons les préparer !

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La vie sous les droits de douane

Aujourd’hui est l’anniversaire de La Fille, ce qu’elle passera chez sa mère, car c’est de son tour. Ce n’est pas mon sujet, mais je ne veux pas le laisser tomber.

Cette semaine marque les « 100 jours » du nouveau mandat présidentiel ici, et à partir du 20 janvier, je pensais à écrire quelque chose sur le sujet, comme fait beaucoup de notre presse. J’avais largement décidé de ne pas faire ça, et je ne le fais pas ici, sauf pour une chose, parce qu’elle m’a frappé il y a deux jours.

Boîte de Metformin
Metformin, Photo par Ash, Domaine public

Non, non, je ne pars pas pour les camps. ([Mais c’est ce qu’ils lui feraient dire. — M. Descarottes]) (Au fait, et sérieusement, il n’y en a pas, et il ferait du bien si tout le monde arrêtait de faire semblant que c’est l’Allemagne de 1941 ici.) C’est plutôt ce qui m’est arrivé à la pharmacie, un changement de coûts comme jamais de la vie — sauf pour les œufs l’année dernière.

Je prends plus de cachets que je n’aimerais l’avouer. Parmi les plus importants, c’est le Metformin, pour le diabète. Jusqu’en avril, je payais toujours 10 $ les 3 mois, comme dans le texto suivant de janvier :

Texto avec une notification que je payerai 10 $ pour mon ordonnance.

C’était 10 $ pour 180 cachets de 1000 mg. Mais malgré le fait que mon ordonnance n’a pas changé, voici le nouveau prix :

Texto avec une notification que le prix de mon ordonnance est désormais 24 $.

Ouaip, 24 $ pour la même quantité, la même dose. Qu’est-ce qui a changé pour hausser le prix par 140 % ?

Ah oui, on a haussé les droits de douane contre la Chine jusqu’à 140 % (lien en anglais), et ces cachets viennent d’exactement ce pays. « Mais Justin », vous me dites, « selon votre lien les nouveaux droits de douane ne s’appliquent pas aux cachets ! » C’est vrai, les amis, c’est vrai. Mais toutes les chaînes de pharmacies ont haussé le prix de Metformin par au moins ce taux ce mois, et ça n’a rien à voir avec l’assurance. Bien sûr, je suis le bienvenu de payer 30 $ chez CVS, notre plus grande chaîne de pharmacies, si je suis mécontent de 24 $ chez Walmart. (Tout est toujours plus cher là.) Le problème, c’est que tout le monde croit que les exonérations ne dureront pas, et c’est pour ça que les prix de tout venant de Chine commencent à monter en flèche ici en ce moment. C’était comme ça que tous les supermarchés ont imposé l’impôt californien sur les sacs en plastique le lendemain de notre élection en 2016, où cette loi a été adopté, malgré le fait que la loi n’entrait pas en vigueur jusqu’en 2017.

J’ai l’impression que je vais vraiment profiter de la vie quotidienne pendant les mois à venir.

Portrait de Molière par Nicolas Mignard

Et tu verras

Désolé pour la familiarité, mais je ne pouvais pas trouver une meilleure parole pour intituler Langue de Molière cette semaine. Naturellement, ça vient de ma chanson préféré depuis presque 5 ans déjà, Un Jour Dans Notre Vie. Mais pourquoi l’évoquer quand on n’est pas le 29 mars, comme d’hab ? Et pour cela, il faut examiner ce clip de l’humoriste Paul Taylo. C’est de son spectacle bilingue, et il parle à moitié en anglais, mais c’est sous-titré :

Dans ce clip, M. Taylor commence par dire «Ô, les Français, vous aimez bien les blind tests à la fin de la soirée. » Ici, mes oreilles se sont dressées — je n’avais aucune idée de quoi il parlait, mais tout comme « jogging » et « pressing », ce que cette expression voulait dire en français devait être tout autre chose que ce à quoi je pensais.

Il continue : « Chez nous, un blind test, c’est vraiment un test pour un aveugle. » Ce n’est pas exactement correct, mais sur un plateau, je le laisserais passer. En fait, on parle de deux genres de tel test, « single-blind » et « double-blind », mais les deux n’ont rien à voir avec l’ophtalmologie. Ce sont plutôt des expériences scientifiques, souvent liés à la médecine. Mon dictionnaire bilingue les rend comme « en single/double aveugle » — c’est-à-dire des expériences où soit le sujet uniquement soit le sujet et le chercheur également ne savent pas si le traitement que le sujet reçoit est réel ou un placebo.

On reprend : « En plus, avec cette définition, ça ne marche pas parce que si tu fermes tes yeux pendant le jeu, ça ne change rien ! » Je mourrais de curiosité à ce point — c’était quoi le jeu en question ?

Finalement, on a la réponse « Nous, on appelle ça « Nomme Cette Chanson » ». Non, mais sérieusement ? J’avoue, je ne le croyais pas complètement sur parole, alors je l’ai recherché — et j’ai tout de suite découvert une entreprise parisienne, ThisIsBlindTest, qui « vous enfermer dans une salle bien isolée, et d’affronter votre famille, vos amis ou vos collègues, seul ou en équipe, sur diverses thématiques musicales ».

Nous avons donc encore une fois un emprunt qui ne l’est pas du tout. C’est plus logique qu’à la one again, mais moins qu’un pressing, qui est au moins l’endroit où le verbe anglais « press » a lieu. J’ai en savoir plus sur comment vous avez adopté cet anglicisme bizarre, et je crois que j’ai la réponse.

Il me semble que les premiers jeux de ce format, sous ce nom, avaient lieu sur l’émission Tout le monde en parle, diffusée sur France 2 entre 1998 et 2006, et animée par Thierry Ardisson, qui je connais seulement par nom. Pourtant, selon Wikipédia, ce n’était pas directement à lui :

Mais c’est toujours Béatrice Ardisson, à l’origine de cette idée, qui sélectionnait les titres, étant ainsi, à elle seule, à l’origine de 130 blind tests thématiques que Philippe Corti, et par la suite les DJ, passaient en plateau.

Tout le monde en parle, Wikipédia

C’est donc apparemment à Mme Ardisson de choisir cette expression. Tout ce que je peux dire de ça, c’est qu’elle avait mal compris l’anglais. Ou peut-être qu’il lui semblait mieux qu’une expression plus longue en français. « Nommez cette chanson », ça aurait vraiment dérangé ? Je trouve ces faux anglicismes souvent mystérieux.

De toute façon, INA a une collection plutôt impressionnante sur YouTube, avec la moitié de ces diffusions. Voici un exemple, avec qui d’autre mais « Nicola Indochine », comme dit la légende sur l’écran :

Nico se révèle plus fort que moi, pas vraiment surprenant vu que je n’ai même jamais entendu les morceaux de Noir Désir ni de The Cure qu’il identifie pendant 3-4 secondes.

Il y a un chapitre dans le livre qui parle d’exactement ma perplexité face à ce genre d’expression d’un côté, et de l’autre côté, la perplexité des Français quand je sors des expressions québécoises dans le but de les éviter. « Plus royaliste que le roi », on disait de moi à cet égard, un titre que je porte avec fierté.

Langue de Molière vous reverra la semaine prochaine avec le problème d’un roi que les Français ne réussiront jamais à décapiter.