On reprend maintenant « À l’ombre de jeunes filles en fleur ». Cette fois, j’ai avancé de 24 pages. Et avez-vous remarqué quelque chose de nouveau ? Oui, de nouvelles madeleines — cette fois, à l’orange et au chocolat, une combinaison très populaire chez les britanniques en particulier. Je ne savais pas jusqu’à maintenant : ce chocolat britannique appartient de nos jours à Carambat. De toute façon…

Pour vous rappeler, toute citation du texte vient de Wikisource.
La dernière fois, notre narrateur allait rencontrer un certain M. de Norpois, ancien ambassadeur français, qui allait peut-être l’aider avec sa carrière littéraire. Il est un personnage très différent de moi :
Comme les étrangers de passage qui lui étaient présentés, au temps où il représentait la France, étaient plus ou moins — jusqu’aux chanteurs connus — des personnes de marque et dont il savait alors qu’il pourrait dire plus tard, quand on prononcerait leur nom à Paris ou à Pétersbourg, qu’il se rappelait parfaitement la soirée qu’il avait passée avec eux à Munich ou à Sofia, il avait pris l’habitude de leur marquer par son affabilité la satisfaction qu’il avait de les connaître.
Je rencontre fréquemment des personnes dont leurs enfants étaient des copains de classe de La Fille, qui me disent bonjour, et je n’ai aucune idée de leurs noms où ce que l’on a fait ensemble.
Le narrateur croit que tout va très mal :
Mais les termes mêmes dont il se servait me montraient la Littérature comme trop différente de l’image que je m’en étais faite à Combray, et je compris que j’avais eu doublement raison de renoncer à elle.
6 tomes disent que ce n’est pas comment finit l’histoire. Mais on n’a qu’à attendre jusqu’à 2 pages plus tard, quand Norpois lui dit à qui il devrait parler pour plus de conseils :
après un instant d’hésitation pendant lequel il sembla calculer les conséquences de son acte, il me dit, en me tendant sa carte : « Allez donc le voir de ma part, il pourra vous donner d’utiles conseils »
Il s’avère que Norpois est peut-être moins malin qu’il se pense ; le père du narrateur lui parle d’investissements, et il recommande :
le 4% Russe. « Avec ces valeurs de tout premier ordre, dit M. de Norpois, si le revenu n’est pas très élevé, vous êtes du moins assuré de ne jamais voir fléchir le capital. »
Ce livre a été écrit après la Révolution russe en 1917 ; je ne suis pas sûr en quelle année nous sommes, mais ce conseil va échouer de façon spectaculaire. Puis la conversation tourne vers la Berma, l’actrice que le narrateur avait vue au théâtre la dernière fois, et Norpois se révèle sans jugement d’autre façon, disant :
Bien qu’elle ait fait de fréquentes et fructueuses tournées en Angleterre et en Amérique, la vulgarité je ne dirai pas de John Bull, ce qui serait injuste, au moins pour l’Angleterre de l’ère Victorienne, mais de l’oncle Sam n’a pas déteint sur elle.
Allez-vous-en, Norpois !
Je note que la traduction ne fait pas confiance aux connaissances du lecteur. Pendant le dîner qui suit, Norpois dit « Je serais curieux de juger votre Vatel maintenant sur un mets tout différent » — l’anglais remplace Vatel par chef. Quoi, comme si le lecteur n’a pas écrit « Je découvre l’Oise » et ne sait pas qu’il est réputé d’avoir inventé la crème Chantilly, et de s’être suicidé quand il n’y avait pas assez de poisson pour les invités ?
Il suit des pages sur les relations avec un certain roi Théodose, ainsi que l’empereur d’Allemagne, de qui Norpois râle :
D’abord, c’est un acte d’ingratitude. C’est plus qu’un crime, c’est une faute et d’une sottise que je qualifierai de pyramidale !
Voleur ! Ces mots appartiennent à Antoine de la Meurthe en parlant de l‘exécution du duc d’Enghien. Quelle coïncidence vu que nous venons de parler de Chantilly, le château dudit duc.
Norpois est presque certainement un commentaire par Proust sur son avis des compétences du gouvernement français avant la Première Guerre mondiale. Pauvre Proust — ne savait-il pas que les fonctionnaires du monde étaient, et restent, tous comme ça ?
Tout ça se relie enfin avec le dernier tome quand Norpois mentionne qu’il vient de dîner chez Mme Swann. Il dit de la maison :
Mon Dieu… c’est une maison où il me semble que vont surtout… des messieurs. Il y avait quelques hommes mariés, mais leurs femmes étaient souffrantes ce soir-là et n’étaient pas venues, répondit l’Ambassadeur avec une finesse voilée de bonhomie et en jetant autour de lui des regards dont la douceur et la discrétion faisaient mine de tempérer et exagéraient habilement la malice.
Il élabore sur son mauvais avis de madame :
Il y a eu, il est vrai, dans les années qui précédèrent le mariage, d’assez vilaines manœuvres de chantage de la part de la femme ; elle privait Swann de sa fille chaque fois qu’il lui refusait quelque chose.
Avec ça, Proust a appuyé sur mon bouton le plus sensible, et j’ai dû arrêter. Il me semble que nous sommes loin de finis avec ce conte sordide, et nous le reprendrons la semaine prochaine.




















