D’abord, je dois vous dire que cet article existe seulement grâce à l’aide de Light & Smell. Après sa critique de ce livre, qui m’a donné envie de le lire, elle a entendu parler que je ne pouvais pas l’acheter sur Kindle aux États-Unis, et m’a dit qu’elle allait régler le problème. Je n’arrive plus à trouver la bonne conversation, mais je me souviens qu’elle a enfin parlé à l’éditeur. Quelques semaines plus tard, voilà ! J’en ai besoin parce que ça me permet de chercher rapidement des mots dans un dictionnaire. De toute façon, je l’ai acheté le 11 novembre, et je viens de lire les 50 dernières pages en une nuit après mon examen mercredi !

Il y a à peu près 35 ans, j’ai lu l’un des livres les plus importants de ma vie, The Phantom Tollbooth (Le Péage fantôme). En anglais, naturellement, où c’est un classique de la littérature de jeunesse. Dans ce livre-là, un enfant, Milo, voyage à travers un monde où les maths et les langues sont bien réels, où on déclame son dîner, puis on mange littéralement ses mots.
Prospérine Virgule-Point me rappelle — tout heureusement — mon ancien livre. Tout d’abord, ce livre commence avec une des phrases les plus drôles que j’ai lues :
À l’époque, ce mariage avait fait scandale, car il n’était pas courant pour deux clans aussi importants que les Point et les Virgule de se mélanger et d’oser lier leurs noms par un vilain trait d’union.
Chapitre 1
Un vilain trait d’union ! L’idée elle-même est ridicule ! Pourtant, ça annonce exactement quel genre de livre on va lire. Au cas où ce serait pas clair, quelques pages plus tard, on lit :
Mme Virgule-Point n’appelait jamais son époux autrement que par son grade. Il y avait à ce formalisme une explication très simple : le maréchal avait perdu son prénom durant la guerre contre les Trémas. Cette blessure sur le champ de bataille lui avait d’ailleurs valu les honneurs militaires.
Chapitre 1
Est-ce assez clair ? Un autre exemple : un type plutôt désagréable, un certain Honoré Point-Virgule, parle avec un accent Où Tout Ce Qu’il Dit Commence Par Des Majuscules. (Plus tard, nous rencontrons sa fiancée. Elle Est Encore Pire. Au Moins Honoré s’arrête Parfois.) Où a-t-il appris ça ? À la Capitale, naturellement. Le truc dingue, c’est que je n’arrive même pas à imaginer le son dans les têtes des personnages, mais j’ai fortement l’idée qu’il sonne exactement comme la famille royale britannique, ou La Chenille d’Alice au pays des merveilles (au moins en VO). Le style de l’autrice se prête bien à l’imagination du lecteur, peu importe si on ne peut pas vraiment expérimenter son monde fictif.
Est-ce que je dois vous dire quelle monnaie s’utilise dans ce monde ? L’euro ? Bien sûr que non. Le franc ? Pas non plus. C’est le Livre, naturellement.
Au fait, pour mieux comprendre le monde du roman, les personnages du livre savent qu’ils doivent leur existence à la littérature française (et appellent notre monde le monde réel), mais ne sont pas français eux-mêmes, ni des personnages de la littérature non plus. Ça peut être un peu déroutant, et je me demandais à plusieurs fois s’ils étaient tous faits d’encre, mais c’est apparemment pas le cas. Disons que l’on peut se rendre fou en trop pensant aux règles qui gouvernent le monde de Prospérine. Il vaut mieux d’en profiter.
Il y a un tueur à gages, un certain M. A-N-O-N-Y-M-E, qui se dévoile comme antagoniste important. Je ne veux pas jouer le divulgâcheur, mais dans Chapitre 7 (de 22), son chef lui dit quelque chose qui m’a étonné :
Quant à vos Point et vos Virgule, je vais envoyer une Mary-Sue les surveiller.
Chapitre 7
Au moment de le lire, je me suis devenu fou en me demandant « On parle de la même idée d’un personnage avec trop de compétences et sans défauts qu’on entend par ce nom en anglais ? Je rêve, sûrement ! » Mais oui, c’est bel et bien elle, tirée originalement (lien en français !) des magazines de fans de Star Trek. Il me rend bien heureux de partager cette idée sans devoir l’expliquer.
Et je dois ajouter que pour autant que ce monde apparaisse mignon, pour autant que certaines choses soient difficiles à imaginer, quand M. A-N-O-N-Y-M-E font ses crimes, c’est horrifiant. L’autrice a un talent indéniable pour faire croire le lecteur à la gravité de ce monde. Tout ce parler d’encre et de ponctuation n’empêche pas l’immersion dans cette réalité et j’ai fini par détester M. A-N-O-N-Y-M-E (parmi d’autres) autant que n’importe quel meurtrier quotidien.
Mais c’est une chose de parler du monde que l’autrice a créé. Comment est-ce en tant qu’histoire ? Étonnant. Je me suis trompé sur tout dès le départ — je croyais au début que « la phrase sans fin » serait quelque chose comme « L’Histoire sans fin », qui se renouvelle éternellement. Mais en fait, c’est plutôt littéralement une phrase qui n’est pas terminée (on l’apprend vite), et ça a des conséquences graves. Sauf pour notre héroïne, je me suis trompé du destin de chacun et tous des personnages. Pourtant, il y a des indices pour le lecteur patient (et qui ne galère pas autant avec la langue). La fin est bien logique, et ma seule plainte est qu’elle se déroule plutôt vite dans les 30 dernières pages. Pourtant, je ne dirais jamais qu’il y a même la moindre partie gaspillée — ce monde est un tel délice qu’il vaut bien le coup d’y passer du temps.
J’avoue que je suis plus qu’un peu surpris que ce roman est considéré « de jeunesse ». C’est un roman fantastique, bien sûr, mais en plus de tous les jeux de mots, j’ai du mal à croire qu’un roman aussi complexe, de plus de 300 pages, convienne aux enfants de l’âge collégial.
Pour la troisième fois en trois essais, Mme Light & Smell a recommandé un livre qui valait tous mes efforts de le lire. À mon tour, je vais le recommander dans le groupe privé de l’OCA, car j’espère qu’il gagnera assez d’exemplaires vendus pour que l’édition sorte plus de livres aux États-Unis. J’espère certainement lire plus de livres par l’autrice, Mme Dargelos !
Bravo à toi d’être arrivé au bout du roman 😀 Il n’était vraiment pas évident à lire 🙂
Si tu veux, son roman Les Oubliés d’Astrelune est dispo en format Kindle même si je pense que cela ne sera pas pour tout de suite 😉
Et pour rester dans la littérature jeunesse, je te conseille De Cape et de Mots de Flore Vesco qui aussi disponible en format Kindle (j’ai pris le temps de vérifier 😆)
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Oh, je me souviens que tu as récemment écrit sur Les Oubliés d’Astrelune. Mais d’abord, ça fait déjà un mois que j’ai en attente le prochain livre de Guy-Roger Duvert, et je n’en peux plus — ça commencera dès que je finis mon prochain département !
Je payerai le prochain livre en sang — littéralement. (La Croix Rouge m’a donné une carte Amazon de 10 $ pour les plaquettes, quelque chose qui n’arrive pas pour les dons de sang entier.)
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Tout d’abord, j’ai mis dans mon panier Amazon la version annotée et reliée de The Phantom Tollbooth. Je ne sais pas quand je le validerai mais ce sera fait 🙂
Ensuite, je suis aux anges que tu aies aimé ce roman et te félicite de t’être lancé dans une telle aventure ! Il y a tellement de jeux de mots que la lecture a dû être aussi intense qu’enrichissante.
M. A-N-O-N-Y-M-E, c’est un personnage que j’ai adoré détester. Ton avis va d’ailleurs me permettre de répondre à un thème proposé par Ludivine. Je me permets de te conseiller de consulter son blog et de participer à son article collaboratif : elle propose un thème, chacun y répond par commentaire et plus tard, elle publie un article reprenant les réponses de chacun. Lien si tu es intéressé : https://vingtetunepages.com/2023/01/22/raconte-ton-livre-8/
Quant à la classification, je n’y prête guère attention mais tu as raison, la richesse du texte risque d’être difficile à comprendre pour un jeune public, tout en offrant en classe un merveilleux objet d’étude.
Enfin, pour l’accent de Honoré appris à la Capitale, je pense que c’est un petit clin d’œil au fait qu’on a tendance à penser que les Parisiens sont un brin hautains et que cela se ressent, entre autres, dans leur prononciation 😉
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Je viens de jeter un coup d’œil chez Ludivine, et j’y écrirai quelque chose ce week-end.
Je comprends exactement ce que tu veux dire quant à M. A-N-O-N-Y-M-E. Il m’a bien fait peur, mais je voulais quand même le revoir !
Merci encore pour l’aide. Tu as toujours du bon goût, et même quand je galère avec ces textes, ils valent toujours la peine !
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Exactement pour M. A-N-O-N-Y-M-E. 🙂
C’est l’une des plus belles choses qu’on peut me dire. Le blog est assez chronophage, alors savoir que parfois mes avis peuvent permettre à d’autres de faire de belles lectures me touche beaucoup ❤
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