Les impondérables

Quand j’apprenais l’espagnol au lycée, ma chère prof Señora Mouser avait un dicton. Les élèves se plaindraient d’un point de grammaire, puis elle leur répondait « Qu’est-ce que tu en penses ? Qu’il y a 500 ans, un comité de vieux se sont assis autour d’une table en se disant « Que peut-on faire pour embêter Raul ? » C’est ça ? » (N’oubliez pas que nous avions dû adopter des prénoms espagnols ; moi, je tourne toujours la tête si on dit « Diego ».)

Elle voulait être ironique, bien sûr, mais je me demande parfois si c’était seulement parce que la Real Academia Española n’a été fondée que jusqu’en 1713. C’est parce que de plus en plus, je me demande si l’Académie française existe pour exactement cette raison.

Tout ça a été provoqué quand je me suis rendu compte d’une erreur stupide dans ma critique de Prospérine Virgule-Point. Vous êtes apparemment tous trop gentils pour me parler d’une telle chose :

Une monnaie appelée « livre » n’est pas « le », mais plutôt « la ». Tout ce que je peux dire pour me défendre, c’est qu’il n’y a aucun article qui apparaît avec le mot dans le livre :

Toutes les mentions sont des quantités comme ici. Ce qui m’a enfin rendu au courant, c’était un article sur Quora qui a mentionné des exemples de mots qui ont des significations différentes selon leur genre, dont celles-ci. Je connaissais déjà la différence entre un manche :

et une manche :

Mais il y en a beaucoup plus : la politique est ce qui se passe à l’Assemblée Nationale, alors que le politique est la personne qui veut y être. La règle est soit un truc qu’on utilise pour mesurer la longueur des choses soit ce qui est produit par la politique. Cependant, j’ai peur de décrire l’état d’affaires où ce tas de trucs m’appartient :

Des règles et d’autres choses, Photo par Kmtextor, CC BY-SA 4.0

C’est curieux, cette façon d’interdire d’avoir plus qu’une règle à la fois au moyen d’un sale tour linguistique.

Au fait, ce sera le sujet de la prochaine blague de la semaine.

Mais j’ai une autre plainte sur ce thème. Ça concerne les noms de nos états en français. D’abord, je trouve vos habitudes en ce qui concerne les noms étrangers incompréhensibles. Parfois vous insistez pour traduire les noms propres de leurs langues maternelles, au moins de leurs formes en anglais. Par exemple, Kuwait est la version anglaise du nom arabe kuwayt ; en français, on écrit plutôt le Koweït. Par contre, on écrit le Costa Rica bien qu’il y ait une traduction exacte de l’espagnol, la Côte Riche.

Alors on trouve qu’aux États-Unis, New Mexico devient le Nouveau-Mexique et Hawaii devient Hawaï (sans article). Mais le New York n’est pas « Nouveau-York », le New Jersey n’est pas « Nouveau-Jersey », et Massachusetts est juste le Massachusetts bien que ça doive faire mal à la langue pour vous tous. Et croyez-moi, c’est franchement pas facile pour nous non plus ! C’est impossible de comprendre pourquoi vous traduisez certains, mais pas d’autres.

Encore pire, vous faites des exceptions aux règles ! Habituellement, si je vous dis que je suis dans ma ville, je dis « Je suis à Elbe-en-Irvine ». Dans mon comté, « dans le comté d’Orange ». Dans un état, ça suit les règles pour des départements selon le féminin ou le masculin : « en Californie », « dans le New Jersey ». Mais il y a deux exceptions : « au Texas » et « au Nouveau-Mexique ». Personne ne m’a jamais dit la raison, mais peut-être que ça a quelque chose à voir avec les deux ayant les noms d’autres pays. Après tout, il y avait une République de Texas avant qu’elle ne fasse partie des États-Unis. Pourtant, le Nouveau-Mexique n’était jamais son propre pays. Mais plus important :

Pourquoi est-ce que vous avez des avis forts sur ce sujet ?

Et franchement, je soupçonne depuis longtemps que l’on dit « au Québec » au lieu de « dans le Québec » pour être un peu coquin. Mon explication pour le Texas et le Nouveau-Mexique ne s’applique pas au Québec, parce qu’il était toujours soit une colonie soit une province, jamais un pays indépendant.

Tout ça, c’est-à-dire que dans une langue souvent très logique, quand vous faites des exceptions, elles ne sont jamais petites. Elles confondent. Mais peut-être que c’est pour s’assurer que les élèves font attention. Cela, ce serait l’explication la plus française de toutes !

26 réflexions au sujet de « Les impondérables »

  1. les2olibrius

    Le meilleur prof de français reste et doit rester le dictionnaire de la langue française réalisé par l’Académie française ( que l’on trouve numérisé en tapant CNRTL après le mot dont on recherche la définition). Les autres dictionnaires ou les avis de n’importe quel Français n’ont pas d’autorité en la matière. Combien de fois ai-je entendu un élève, un ado, me demander « c’est français, ce que vous dites? » ( Et même en commettant une double incorrection) parce que le français qu’il parle au quotidien est incorrect et que son prof a la culture nécessaire ( ayant compulsé nombres de pages de dictionnaire et tant lu) pour lui enseigner le bon terme. Donc en tapant la requête « règle CNRTL ») tu lis « subst. fem. » Signifiant que le genre de ce mot est uniquement le féminin. « le règle » n’existe pas! Tu dois vouloir dire « le règlement ». Donc ta trousse ne contient que des règles au féminin.

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    1. Justin Busch Auteur de l’article

      J’aurais dû fait plus d’attention. La partie sur règle a suivi une discussion de genre, mais l’intention était juste le changement de signification avec le pluriel — « mes règles » ne veut pas (seulement) dire que j’ai plusieurs règles ! Mais mon dictionnaire bilingue Oxford ne mérite pas d’être blâmé — il n’y a pas de règle au masculin au-dedans ! S’il y a confusion, c’est à moi.

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      1. les2olibrius

        Tu vois! Tu t’excuses encore! Bon sang de bonsoir, comment parvenir à t’expliquer un truc sans que tu te sentes repris, disputé. Mais Justin, tu réussis déjà l’exploit de rédiger des articles détaillés, complexes, particulièrement intéressants. Tu parles déjà un très bon français… Par pitié, ne t’excuse plus!

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      1. les2olibrius

        J’avais, comme tous les collègues, un fidèle fan-club mais aussi beaucoup d’aigris à la suite d’un mauvais résultat, de déçus par les adultes en général, de pas intéressés par les études… Les fameux trois tiers habituels. Parfois j’étais fière de mes réussites et parfois je souffrais de mes erreurs… Ni meilleure ni moins bonne que d’autres. Je me suis sentie très honorée par tous ceux qui ont bien voulu m’écouter plus ou moins. C’est du passé maintenant. Me voici en vacances perpétuelles quoique toujours dans mes dictionnaires… Bon weekend !

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      2. Angelique

        L’enseignement est autant une passion, celle de transmettre, qu’un calvaire parfois. Ma fille est professeur des écoles dans un secteur difficile mais finalement, ce sont souvent les adultes qui lui posent problème.
        Je me considère comme très chanceuse de ce côté là. Mes conferences dans les facultés ne nécessite pas une présence obligatoire des Doctorants. Je n’ai donc que ceux qui sont déjà passionnés par le sujet.
        Mais au collège et lycée, je faisais partie du fan club des profs de maths. 😉
        Pourtant, je lisais déjà beaucoup. J’étais une élève dans le genre clown de classe, mais avec de très bons résultats.
        Et puis finalement, avec un mauvais résultat, on ne peut que s’améliorer (pourquoi aigris ?).
        Mais ce qui ressort encore aujourd’hui, c’est que je ne suis réellement dans mon élément que dans la nature sauvage.
        L’homme est un animal « malade » qui veut toujours plus, jamais dans l’instant présent : il m’épuise.
        Bon, aujourd’hui je vais me plonger dans la masse sur le marché, mes producteurs chouchous m’ont réservé du lait de la traite matinale, mon pain au levain traditionnel, mes yaourts châtaignes, ma tomme (ahhh, la tomme en salade) et je prendrai quelques légumes et fruits aussi.
        Petit café avec les habitués avant de retrouver le calme de mes prés (gelés).
        Les indépendants n’auront pas de retraite alors il est bon de faire une activité plaisante 😉 possible jusqu’à notre fin.
        Je te souhaite un très beau weekend en compagnie de papy.
        A bientôt.

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      3. les2olibrius

        Juste un mot pour te remercier d’avoir continué la conversation. Oui, ce sont seulement les enfants aigris par une note qui me posaient problème et non tous ceux qui reconnaissaient devoir améliorer leur travail. Et même, le plus souvent, effectivement, le problème vient des parents qui se sentent méjugés à travers leurs enfants, particulièrement lorsqu’ils leur avaient apporté une aide bien mal payée, faute d’avoir assisté au cours ou mieux écouté les explications de leur petit ( e ). Moi-même j’ai ressenti cette piqûre d’amour propre et le suis conduite bêtement une fois ou deux.. Et j’ai causé des soucis à l’enseignant que l’on prie de fournir une explication supplémentaire ! Il n’y a pas pire parent, qu’un parent enseignant ! 😆

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      4. Angelique

        J’aime nos conversations enrichissantes et instructives aussi.
        Quelle maman sera ma fille enseignante ? 🤔 Affaire à suivre.
        Je reste admirative cependant, je n’ai pas cette patience avec les parents. Et les enseignants de la vieille école ont beaucoup à transmettre, même en vacances à perpétuité.
        Je te souhaite un bon weekend

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    2. Bernard Bel

      @les2olibrius : Juste un détail : le dictionnaire diffusé par le CNRTL (avec qui j’ai longtemps travaillé) est le « Trésor de la Langue Française » basé sur plusieurs décennies de travail d’une grande équipe. Ce n’est pas celui de l’Académie française. Il expose des « usages » plutôt que des « normes ».

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      1. les2olibrius

        Le CNRTL est néanmoins issu de l’autre, puisque c’est celui de l’Académie qui indique la norme. C’est celui que les inspecteurs nous indiquent comme premier référentiel quand on enseigne le français… c’était du moins ainsi jusqu’à l’an dernier dans mon académie. Vous travailliez pour l’académie de Caen?

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      2. les2olibrius

        Pardon, je voulais dire Nancy… On obtient tous les renseignements sur le CNRTL en cliquant sur son logo et il nous dirige, si nous le souhaitons, vers les dictionnaires de l’A.F. si on désire les consulter… Et s’y perdre!

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      3. Bernard Bel

        @les2olibrius : Le TLF (Trésor de la Langue Française) avait été construit par l’ATILF (http://atilf.atilf.fr/), un laboratoire CNRS de Nancy qui a cessé d’exister au début des années 2000. Mon directeur à l’époque (au LPL d’Aix-en-Provence) avait été chargé de l’audit…
        L’ATILF a été remplacé (dans les mêmes locaux) par le CNRTL avec qui j’ai travaillé sur le programme ORTOLANG. Le CNRTL a informatisé le TLF puis l’a mis en ligne. Ce qui était très compliqué vue la gestion initiale des caractères… On a toujours accès à la version ancienne (exemple http://stella.atilf.fr/Dendien/scripts/tlfiv5/visusel.exe?14;s=3108420420;r=1;nat=;sol=3😉 mais je vois que la nouvelle est maintenant au standard Unicode (exemple https://www.cnrtl.fr/definition/cour).
        Dans les deux cas, c’est une image figée des usages de la langue française en 1994, puisqu’il n’est pas (et ne sera probablement pas) mis à jour.

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      4. Bernard Bel

        En fait je me suis mélangé les pinceaux : c’est un autre labo (dont j’ai oublié le sigle) qui a été remplacé par l’ATILF en 2001, et auquel a été par la suite adossé le CNRTL. L’histoire est embrouillée et à vrai dire ne m’a jamais intéressé ! 😉

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      5. les2olibrius

        M. Bel, au si joli patronyme… Euh… Pour revenir a l’origine de toutes ces précisions… Vous corrigiez donc ma formulation selon laquelle le CNRTL était une numérisation du dictionnaire de l’A.F…. je veux bien reconnaître m’être mal exprimée sur ce point précis… Mes explications issues du CNRTL concernant les points soulevés par Justin vous ont-elles paru fausses? Et en quoi précisément?

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      6. les2olibrius

        Correction de la correction de mes propos après développement de la correction effectuée par autrui et des précisions concernant ce fameux CNRTL qui donne à tous un renseignement immédiat concernant le vocabulaire et les occurrences d’emploi d’un mot français (emploi de 1994 seulement???)🥴😆🥴🥴🥴… il manque un accent sur mon « à »!!! Ah ah! ( Que les enseignants sont bavards!)

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      7. Bernard Bel

        Bon, la mémoire me revient lentement : l’organisme qui a créé le TLF — avec du sang et des larmes ! — s’appelait INaLF et a été remplacé par l’ATILF après sa dissolution (https://www.atilf.fr/ressources/dictionnaires-de-lacademie-francaise/). Ce que voulais dire, dans mon premier commentaire, est que le TLF (effectivement, datant de 1994 et non révisé) est distinct du dictionnaire de l’Académie.
        À présent, l’ATILF (via le CNRTL, c’est compliqué !) diffuse à la fois le TLF et les dictionnaires de l’Académie.
        J’espère que ces précisions, cette fois, sont correctes et ne m’attireront pas les foudres de mes anciens collègues ! 😉

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  2. les2olibrius

    Quant à la distinction entre les prépositions « à » et « dans » tu l’as donnée toi-même. « à/au » désigne un point, une localisation ponctuelle et « dans » s’emploie pour un espace. Donc si tu considères une ville comme un point, tu vas « à Arles » et si tu la considères comme un pays tu te rends « en Avignon » ( qui fut cité des Papes à une époque donnée). Du coup… Des Français s’écharpent encore, verbalement s’entend, pour une tournure fausse qui perdure, ayant été adoptée par imitation ( « aller en Avignon » = ) « aller en Arles »!
    On ne peut pas se mettre à corriger des « fautes » que tu commets parce que d’abord c’est là ton charme americain et point n’est besoin d’écouter ta voix pour l’entendre… Par pitié, ne le perds pas ! Ensuite on ne veut pas qu’aussitôt tu t’excuses, te sentant repris, grondé alors qu’on voulait t’aider. Je l’ai fait deux fois et tes réactions m’ont attristée parce que soudain tu te rabaissais inutilement. Tu parles vraiment très très bien MALGRÉ les fautes commises. C’est fort, ce que tu accomplis.
    Je connais des profs de français qui disent avec obstination « un espèce de… » alors que le dictionnaire indique le genre féminin « une espèce de » comme « une sorte de… » ( Et non comme « un genre de . ») Nous avons tous nos fautes, nos démons… Et déjà fort à faire à nous corriger nous-mêmes, le 👃 dans le dico ! Passe un excellent vendredi!

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  3. Angelique

    Bonjour Justin. Je ne suis pas assez compétente pour te répondre. Mais ton français est tout de même compréhensible et tes podcasts m’ont impressionnée.
    Tu peux être fier et avec la pratique, en général, on s’améliore 😉.
    Courage et bon weekend.

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  4. Light And Smell

    Si ça peut te rassurer, je n’ai jamais non plus rien compris au fait qu’on traduise certaines choses ou pas. Quant aux exceptions, elles traduisent souvent un point historique et j’aime alors à croire qu’elles font partie du charme de notre langue 🙂
    Quant à Prospérine, pour moi (et je peux me tromper), tu n’as pas commis de faute. On parle de la livre pour l’unité de masse et la monnaie au Royaume-Uni mais dans Prospérine, royaume des livres, je pense que l’autrice faisait référence à ces objets que j’aime tellement 🙂

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  5. Ping : Épisode 47 — du tri et ses résultats | Un Coup de Foudre

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