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Faites de la place !

On a presque terminé la semaine de la « théorie du blog ». Ma dernière réflexion sur ce sujet traite de quelque chose dont je parle souvent. Parce qu’il n’y a pas de coïncidences sur ce blog, il y a deux jours, un ami du blog m’a envoyé exactement le bon article pour aborder le thème de l’intégration dans la société. Mais personne ne va me détourner de la référence du gros-titre pour commencer !

Connaissez-vous le film « Soleil vert » ? J’ai toujours regretté la traduction française du titre car elle rate quelque chose d’important. Le titre original, « Soylent Green », contient un mot inventé, « soylent », qui est une combinaison de deux légumes, « soy » (soja) et « lentil » (lentille). Vu que le film a 50 ans déjà, ce n’est pas un divulgâcheur de dire que la nourriture « soylent » dans le film est un escroc, qu’elle est fabriquée à base de cadavres humains, tout au nom de réduire le problème de surpopulation. De son tour, le film est tiré d’un roman dit originalement « Make Room! Make Room! » — c’est-à-dire, « faites de la place ».

Bien sûr, je ne m’attendais pas à manger quelqu’un afin de trouver une place parmi vous — pour autant que vous sachiez — mais la question de faire de la place, comment m’intégrer, est mon sujet le plus vieux. En 2022, en me plaignant de l’anglais pendant mes voyages, j’ai écrit :

Tout ça, c’est-à-dire que l’on n’est pas obligé de s’intégrer aux États-Unis. Si on veut rester hispanophone monolingue, on peut vivre dans certains quartiers à Santa Ana, près de chez moi, où beaucoup d’endroits au milieu de l’état. Si on ne veut parler qu’en chinois, déménager à San Gabriel réussira ce but. Ses opportunités seront limitées, et on ne deviendra citoyen de cette façon. mais c’est au moins possible.

Faut pas emmerder les Justin

Tout ce paragraphe était au service d’expliquer comment on peut être colon au lieu d’immigré aux États-Unis. On n’a pas besoin de chercher très loin ici pour reconnaître deux choses : 1) je ne suis pas fan de cette attitude, et 2) je ne suis pas hypocrite non plus.

Ça nous amène à l’article que l’ami du blog Anagrys m’a envoyé il y a deux jours. Il vient de CNN, et traite de deux expatriés américains qui reviennent aux État-Unis après environ un an à Nîmes (lien en anglais). Heureusement pour vous, même pas un jour plus tard, Agathe m’a donné un lien vers la même histoire en français, publiée dans La Dépêche. Et je dois vous dire, cet article a commencé de faire le tour des groupes anglophones consacrés à la France. Qu’est-ce qu’il y a ?

Menu en anglais chez Le Procope​
Menu en anglais chez Le Procope

Bref, ces deux septuagénaires — riches, vu leurs intitulés du post, malgré leurs protestations au contraire — se sont installés dans le Gard sans savoir parler un mot de français. Selon La Dépêche, qui donne une traduction gentille :

Sur le plan gastronomique, leur déception est aussi palpable : malgré leur passion initiale pour les plats emblématiques français, Joanna avoue ne pas avoir apprécié la nourriture au quotidien.

En anglais, elle avait plutôt dit que la qualité des fruits et des légumes aux supermarchés était pénible. Ils se sont aussi plaints des difficultés à trouver un médecin et à importer leur voiture.

Ce sont exactement les gens qui vous donnent une mauvaise impression des américains, ceux qui n’auraient dû jamais quitter Paris. Les Emily.

Le Tour représente mon effort de m’éloigner au maximum de ces gens. Je vous ai parlé dans le même article lié en haut d’avoir exigé une carte en français chez Le Procope. Ailleurs, je vous ai dit :

Je fais le maximum pour m’intégrer, mais comme toutes les relations amoureuses, je ne peux pas vous forcer à accepter le cadeau.

Et les Français parlent anglais

Je crois ça plus que jamais. Le couple qui a fait son rien pour s’intégrer, je ne sais pas à quoi ils s’attendaient. Mais au-delà de la voiture, nous sommes opposés. La langue ? Ouais. La nourriture ? Ouais. Ai-je déjà fait un rendez-vous médical en France ? DEUX FOIS. (Doctolib pour des tests covid, rien de grave.) Cependant, plus que tout ça, ce fameux couple ne savait vraiment rien de Nîmes avant d’y déménager. Par hasard, mon ingrédient préféré au monde entier — le riz de Camargue — vient de ce coin de France. Il me semble que j’aurais été plus prêt qu’eux à y vivre !

Il ne me reste qu’à tester tout ça, et l’attente est l’épreuve la plus dure au monde.

Chambre chinoise

Étant linguiste, les choses qui m’empêchent de dormir la nuit — au-delà de la douleur sans cesse dans ma colonne vertébrale — sont plutôt bizarres par rapport à celles des êtres humains. Et depuis le début du blog, ma plus grande peur, c’est d’être une chambre chinoise.

Tout le monde sauf Bernard pense « Justin, vous avez vraiment perdu la tête en ce moment ». Oui, absolument, mais pas pour cette raison. J’explique.

La chambre chinoise est une idée qui vient du philosophe américain John Searle. C’est un argument très bien connu dans la philosophie de l’esprit et du langage. Bref, M. Searle a proposé une expérience de pensée comme ça :

Imaginez qu’il y a un homme enfermé dans une chambre. À l’extérieur, il y a une autre personne qui parle couramment le chinois. Les deux peuvent communiquer seulement en passant des bouts de papier par une ouverture dans un mur, plutôt comme on reçoit le courrier. Mais en fait, l’homme dans la chambre ne parle pas un mot de chinois. Les murs sont recouverts de papier peint qui lui explique en anglais, « Tu vois ce symbole, tu réponds avec cet autre symbole ». Il y en a assez pour répondre à n’importe quelle question de la personne à l’extérieur.

Photo de calligraphie chinoise
Calligraphie chinoise par Wang Xianzhi, Domaine public

Il faut que j’ajoute que « chambre chinoise » est la traduction que j’ai trouvée sur Wikipédia en français. Dans mes notes pour ce mois, on trouve plutôt « pièce », avec un mot pour me rappeler : « Le type n’y dort pas, connard ! » Disons que la dernière fois où j’ai dit chambre pour pièce m’a traumatisé ([Ne croyez pas la « drama queen », les amis — M. Descarottes]). Mais revenons à compter nos moutons.

Selon M. Searle, on peut donc dire que du côté de la personne à l’extérieur, son interlocuteur est sinophone. Mais selon nous, qui savent la vérité, est-ce que l’homme à l’intérieur parle chinois ? La réponse de M. Searle est « absolument pas ».

Vous pouvez tout à coup voir comment cette situation s’applique quand on se lance dans un projet où on compte sur Google Traduction pour l’aider, ou cherche des recettes pour suivre au pied de la lettre ! Je ne vérifie plus mes articles avec Google sauf une phrase ici et là pour l’usage de à et de, et ça, rarement. ([C’est vrai, les amis. Google ne ferait jamais autant d’autres erreurs. — M. Descarottes]) Cependant, la peur de ressembler à un copier-coller géant de Wikipédia, des sites de tourisme, et de Marmiton, ça reste réel.

Ai-je réussi à l’éviter ? Une mesure facile, à ne pas dire suffisante, de la complexité d’un texte est sa longueur, et ça a bien haussé au fil des années :

Table qui montre une hausse de 215 à 760 mots par jour

Je considère ma limite d’être 800 mots quotidiennement, la longueur d’un billet d’opinion dans un journal américain. Bien sûr, il y a des différences entre les langues qui rendent ce cible un peu épineux. On dit en anglais « the cathedral’s windows » et en français « les vitraux de la cathédrale » — la perte de certaines économies ne signifie pas plus de complexité. Mais je considère que la tendance ici montre une amélioration du niveau.

Et oui, à mon avis, une moyenne de 700 serait mieux. Je fais des efforts ([Genre Les Habits neufs de l’empereur — M. Descarottes]) pour limiter la croissance.

Mais c’est pour lutter cette tendance que j’essaie depuis longtemps d’inclure des pépites hyper-personnelles au fil du Tour. Personne ici ne se souvient de notre visite en Charente, mais je vous ai raconté sa connexion avec les X-Files. Dans les Landes, on a parlé de Greg Lemond et Supercopter. Dans le Tarn, on a parlé de l’admiration de ma grand-mère pour l’artiste Toulouse-Lautrec. Peut-être qu’il y a eu des fois où c’était trop obscur, mais j’espère qu’à chaque fois, les anecdotes personnelles ont servi un but plus utile que d’allonger les articles. Si vous en avez profité, peut-être que je ne suis pas une chambre chinoise après tout.

Je m’attendais à quoi exactement ?

Le Tour m’a apporté tout genre de connaissances que je n’aurais jamais imaginées tout seul. Le Festival des Menteurs dans le Lot-et-Garonne, la Fête des Lumières dans le Rhône, même que le Château d’If, la seule prison qui me faisait autant peur qu’Alcatraz, existait vraiment dans les Bouches-de-Rhône. Cependant, il y a une question dont je n’ai jamais réussi à trouver la réponse pendant le Tour, notre gros-titre du jour : je m’attendais à quoi exactement ?

J’ai raconté assez souvent les racines québécoises du blog, que tout ça est parti d’un problème technique de vouloir participer au groupe de fans de Laurence Manning. (Ne cliquez pas le lien à moins que vous vouliez vous faire piquer les yeux.) Mais ça ne suffit pas pour expliquer des centaines d’heures de recherches. Et oui, je me sentais comme si j’avais raté une opportunité importante en ne pas ayant appris la langue au lycée. Mais je serais menteur si je disais que je connaissais tous les trésors le long du chemin. C’est évidemment faux.

Alors, qu’est-ce que je cherchais ? La meilleure réponse, peut-être la seule, que j’ai trouvée à ce point, ne se trouve pas dans un bâtiment, ni dans une œuvre d’art, ni sur une assiette, même pas dans un café de Pierre Hermé.

C’est vous tous.

J’avais un certain plan pour apprendre la langue, mais au-delà de Duolingo, il s’agissait largement de lire autant que possible, de hausser mon niveau en inhalant tout le texte que je pouvais trouver. Mais je n’avais pas la moindre idée de ce qui était le but, et l’idée d’écrire le Tour ne m’est pas venue dans l’esprit, jusqu’au moment d’un malentendu.

Je dis souvent que mon 2020 était meilleur que le vôtre, et si c’était le cas, c’était certainement à cause de l’accueil que j’ai reçu d’autant d’inconnus. Sans une relation ou un boulot pour me motiver, la seule raison de continuer à un rythme de folie — parfois 7 heures la nuit au lieu de dormir ! — c’était pour en savoir plus sur le genre de peuple qui avaient tellement hâte de m’ouvrir leurs portes, même si seulement en ligne. Peut-être que je croyais qu’il devait y avoir un secret quelque part, mais s’il y en a un, je ne le connais toujours pas.

Pourtant, il ne m’est plus important. Le reste de cette semaine est consacré à d’autres pensées sur mes plans. Les deux semaines suivantes sont plutôt sur ce que j’ai appris pendant le Tour. Et la leçon la plus importante, c’est sans doute que la blague suivante est fausse. Ça dit « Raisons pour aimer la France », et la légende indique que les trois couleurs représentent la cuisine, les gens, et le vin. Il ne me fallait pas trouver le bâtiment magique ou le bon nougat afin de savoir ce que j’estime le plus en France.

Source

(Mais ne vous trompez pas, le nougat a sa place !)

Je rêvais d’un autre monde

On continue la Grande Fête du Tour avec des pensées sur les avenirs ratés.

Peut-être que vous connaissez la théorie des mondes multiples. C’est l’idée due à la mécanique quantique qui suggère que l’univers se divise sans limites à chaque fois où on observe les actions quantiques. Par exemple, si vous connaissez l’exemple du chat de Schrödinger, on dit que le chat est en même temps vivant et mort jusqu’à ce que l’on ouvre la boîte. Mais selon la théorie des mondes multiples, en fait il y a désormais deux mondes, presqu’identiques, un où le chat reste encore vivant, et l’autre où on se lance dans les funérailles.

Le chat de Schrödinger dans des mondes multiples. Dessin de Christian Schirm, Domaine public

En philosophie de langue, il y a une idée très liée à cette théorie, le réalisme modal, selon laquelle :

[T]ous les mondes possibles sont des mondes existants et il y a ainsi une infinité de mondes alternatifs. Notre monde, ce monde-là, n’est que l’un parmi une infinité d’autres.

Réalisme modal, Wikipédia

Je ne sais pas à quel point je crois en ces idées. Je ne suis pas assez fort en physique pour comprendre d’où vient toute l’énergie pour copier tous ces mondes sans cesse, ou pourquoi ce n’est pas un problème. Et le réalisme modal est une solution pour un problème que je ne suis pas sûr existe vraiment — que nous ne pouvons pas imaginer d’autres états d’affaires sans qu’ils n’existent. Je comprends bien les maths derrière ce dernier, c’est extrêmement malin, mais est-ce réel ?

J’espère que oui.

Je pense souvent aux autres mondes, les avenirs qui auraient pu avoir lieu, mais pour autant que je sache, ne sont jamais arrivés. Au moins, pas dans notre réalité. Cependant, il y avait au moins deux autres futurs auxquels je pensais sérieusement. Pour des raisons différents, ils n’arriveront pas, et dans l’un des deux cas, je l’assume. L’autre… je ne regrette pas qu’il n’arrivera jamais, mais bien compris, je l’aurais aimé.

Je suis allé en Italie 2 fois, en 2005 et en 2008. Pour autant que j’aime la France, il y a une ville en Italie que j’aime autant que n’importe où en France, Florence. Malheureusement, je ne peux rien partager de mes visites là — en 2010, j’ai tout abandonné de ma vie d’avant, pour les mêmes raisons que Hernán Cortés a brûlé ses navires une fois arrivé au Mexique — soit on avance, soit on meurt, mais pas de retour. (Je garde néanmoins deux souvenirs de mes voyages avec cette personne, des cadeaux pour ma grand-mère, et vous en ai montré un.) À mon avis, Florence est le site du plus grand patrimoine de l’humanité : la cathédrale Santa Maria del Fiore, la galerie des Offices, et la Galleria dell’Accademia (parmi une centaine). Mon premier voyage en France m’a certainement ouvert les yeux, et la visite à Bayeux aussi, mais même après avoir fini le Tour, mon avis n’a pas changé.

Santa Maria del Fiore, Photo par Teo Pollastrini, CC BY-SA 4.0

Alors, ce dont je rêvais le plus entre 2010 et 2020, c’était de déménager à Florence et devenir bénévole à la cathédrale. Je n’ai jamais appris l’italien, car il me semblait que c’était un rêve peu probable, et en plus, je l’ai vu comme une punition — une pénitence où je vivrais comme un moine sans prendre les vœux, mais au moins je ferais quelque chose d’utile. Pourtant, c’est l’idée que j’aurais aimée.

Plus jeune, je rêvais de l’Angleterre. J’adore leur accent beaucoup plus que n’importe quel accent de chez moi (la plupart d’Américains vous dira la même chose — on est fous des britanniques, mais surtout les anglais). J’aime leur nourriture presqu’autant que le français, et je suis complètement sérieux, peu importe la réputation.

Mais j’ai appris quelque chose pendant ces 4 dernières années. Je suis honnête avec vous quand je suis vraiment mécontent de telle ou telle chose en France — les xénophobes, l’anglais partout, etc. Je me sentais au début comme si je devais cacher ces observations, mais vous savez tous que ça vient d’un ami. Chez les britanniques, je regrette de vous dire, ils ne partagent pas nos sentiments à l’envers. Je suis allé dans le Royaume-Uni 4 fois de la vie, et je l’ai aimé à chaque fois, mais le venin que je vois de chez eux en ligne, ça fait mal au cœur. Je me sens fortement que je peux aller n’importe où en France et recevoir un accueil chaleureux. J’ai partagé un petit peu de ce qu’ils disent avec vous, mais je sais maintenant que je n’aimerais être que touriste là. « Yankee go home » tombe plus mal dans les oreilles quand ça vient d’un autre anglophone.

Il y a un autre avenir que j’aurais aimé connaître, où je n’aurais jamais appris le français — mais je l’échangerais pour l’actualité sans hésitation, car c’est mon plus grand regret. En 1998, j’ai rejeté une offre d’aller à l’Université du Michigan pour un doctorat en linguistique, car j’aurais perdu ma copine, plus tard la mère de La Fille ainsi que mon ex. Tout le malheur de ma vie part de cette décision, et je n’ai jamais eu mon doctorat. D’autre part, La Fille n’existerait pas non plus, et je me sens énormément coupable quand je me permets cette pensée. Mais j’espère qu’en quelque sorte, il y a un autre monde où je connais cette vie, et que c’est ce que je voulais, car le prix de vous connaître sur ce chemin, c’était en effet très cher.

Lettre à une amie

Aujourd’hui, on commence la première semaine de la Grande Fête du Tour, un mois entier consacré au plus grand projet de ma vie — un tour virtuel de toute la France. J’ai organisé notre novembre en quatre semaines, chacune avec son propre thème. Cette première semaine est consacrée à mon plan original — cependant, pour détourner une citation d’un Voisin bien connu, « Aucune écriture ne peut se planifier avec certitude au-delà de la première confrontation avec le sujet. » (Le lien l’attribut au mauvais von Moltke.) Voici l’histoire de la planification du blog, mais surtout le Tour.

Poste aérienne, Dessiné par Paul-Albert Laurens, Domaine public

J’avais un plan très particulier au début. On peut lire mes premières catégories dans le tout premier post, ainsi que mes « règles » de moins en moins respectées :

Mais ce que je n’ai pas dit là, c’était que comme tout écrivain, j’avais pensé à qui serait mon public. Après tout, on écrit pour être lu (sauf le mec qui a écrit le manuscrit de Voynich), et là, j’imaginais qu’un type qui ne savait dire que « n’est-ce pas » et « lèse-majesté » au début de la même année allait devenir écrivain ?

Pas si vite, Kowalski, comme dit la chute de la blague du 5/6/23. (Si vous n’avez jamais lu cette page, vous ratez l’un des atouts du blog — et de plus en plus, une star de Google. Mais il vaut mieux les écouter sur Spotify. 😉) Cependant, j’avais — j’ai toujours — le meilleur atout que je puisse imaginer pour le blog. Avec mes catégories pour me guider, le blog serait une sorte de longue lettre écrit à exactement une personne — mon amie F.

Si vous cliquez ce lien-là, vous pouvez lire la plupart des louanges que j’ai à offrir à son égard. Mais dans ce cas, ce à quoi je pensais, c’était nos conversations à l’époque. En anglais, les parents ont pas mal de blagues sur leurs ados quand ils découvrent des choses bien connues, genre « OMD, j’écoutais la radio et j’ai entendu ce groupe tout inconnu pour la première fois — Led Zeppelin. As-tu en entendu parler ? » (En France, les ados le font à l’envers — c’est qui, Brian ?) Je suis bien au courant que c’était absolument le moi de 2020, mais je n’hésitais jamais quand même de l’envoyer de telles pépites. Alors, dans la tête, je me suis dit, « Vous allez lui écrire 2-300 mots tous les jours sur l’un de vos sujets. » Pour sa part, elle est L’abonnée originale, et les jours où elle laisse un commentaire ici ou une mention j’aime sur Instagram restent les meilleurs.

Bien sûr, le blog est maintenant une conversation avec des centaines de personnes. Peut-être que vous avez remarqué que je laisse des pépites pour faire plaisir à tel ou tel lecteur régulier. Par exemple, chaque fois où j’appelle Ralphs mon « pas super-marché » est un clin d’œil pour Agathe et le rhum Clément était sur notre chemin martiniquais pour Marie-Luce. Mais il n’y avait qu’une personne pour qui je gardais un fichier dit « Expressions pour faire rire F ». (Début 2023, j’ai arrêté de le mettre à jour, pas par manque d’intérêt, mais parce qu’avec une centaine, il n’était plus facile d’en trouver de nouvelles.) Mon idée du public était hyper-ciblée, mais vous aurez remarqué que c’était assez pour me lancer.

Je dois aussi vous dire qu’en tant qu’homme avec l’intelligence émotionnelle d’un concombre (c’est-à-dire, la moyenne), j’apprécie infiniment qu’elle soit toujours là. Je vous donnerai un exemple de pourquoi, mais pas le seul. Peut-être que vous vous souvenez de mon tour de Beverly Hills, écrit particulièrement pour F. J’étais là pour l’exposition sur l’histoire du ciné français, et elle m’avait dit que LA lui faisait rêver. Avec mon attitude…euh, bien connue… sur mon état, j’ai dit quelque chose comme « Ici ? Impossible ! » Je suis parfois très irréfléchi. Mais s’il y avait quelqu’un qui devrait comprendre une telle pensée, c’était un type qui a planifié une visite chez Carrefour plusieurs semaines à l’avance. J’offre mes excuses en public car j’ai souvent du mal à le faire en privé, et je veux terminer ce Tour sans regrets. (C’est pas chez Édith Piaf ici.)

Alors le Tour finit exactement là où il a débuté. Avec une lettre à F.

Le bilan du dernier quart

Je fais ici une rupture avec les traditions du blog. Chaque bilan d’un quart du Tour jusqu’ici a repris le Tour entier ainsi que son propre quart. J’ai décidé que pour un travail de 4 ans, ça ne suffit pas. Ce billet couvre juste les départements de la Seine-et-Marne jusqu’à Mayotte. Le Grand Bilan du Tour sera son propre article, la fin de la Grande Fête du Tour.

Photos de cuisine, ©️Justin Busch, Hortillonnages d’Amiens, Photo par PIERRE ANDRE LECLERCQ, CC BY-SA 4.0, Pont suspendu, Photo par Guillaumereunion974, CC BY-SA 4.0

Où visiter : Je vais tricher plus qu’un peu cette fois. J’ai déjà visité Versailles — deux fois ! — alors pour autant que les Yvelines seraient en tête d’affiche si je n’avais jamais visité la France, je ne me sens plus obligé de les choisir. Mais en plus, j’ai envie de visiter la Somme, le Var et la Vendée autant pour mes amis qui habitent dans chacun que pour les sites de la Première Guerre mondiale, Saint-Tropez et le Puy du Fou.

Où habiter : Dans la tête, il me semble que j’ai une idée que mes endroits préférés à cet égard sont ceux où un trajet en train à Paris prendrait environ 1 heure, que ce soit un train ordinaire soit un TGV. Amiens, dans la Somme, est donc presqu’idéal. Pour les mêmes raisons que le Calvados ou le Loiret — l’Histoire en majuscule — la Vendée serait aussi bonne.

Je pause ici pour dire nope, je ne donne pas de divulgâcheurs, mais le gagnant du Tour doit être le secret le moins bien gardé du blog.

Meilleure soupe : Avez-vous remarqué que le dernier quart a vu une hausse du pourcentage des soupes et d’autres plats moins chers ? Ce n’est pas par hasard — le Tour aurait été « 101 façons de préparer les Saint-Jacques » si le prix n’avait pas monté en flèche. (J’adore cette idée — si le livre est une réussite, peut-être la suite ? Au fait, le prix de Saint-Jacques a enfin baissé ici.) Mais le choix est facile, la soupe au pistou du Var, une soupe très liée à mon héritage culinaire italien.

Meilleure viande : Si vous pouviez voir tout ce que je commandais pendant toute ma vie, vous penseriez qu’il n’y ait qu’un choix possible : le steak frites et sauce au poivre. Mais à mon avis, ce n’était pas mon meilleur travail, même si largement à cause du mauvais choix de steak. Et franchement, ça raterait l’esprit du Coup de Foudre, découvrir la France inconnue aux États-Unis. Mon choix est donc la carbonade flamande, le cadeau de mon très cher ami dans la Somme. Je considère que cette catégorie comprend le poulet, et il y avait beaucoup de poulet pendant le dernier quart, alors je dois mentionner le bokit, parce que le poulet parfumé de poudre de colombo, c’est un trésor.

Meilleur poisson : C’est un peu gênant, ici. J’essaie d’équilibrer les cartes du Tour afin qu’il y ait quelque chose pour chaque catégorie, et pour tous les goûts. Mais il n’y avait aucun poisson frais utilisé pendant cette partie du Tour, juste du saumon fumé et du thon en boîte. En revanche, ce saumon fumé faisait partie de mon dîner icaunais, et je considère que les gougères au saumon fumé et au fromage de chèvre sont une entrée (pas vraiment un plat principal) que je servirais avec plaisir à n’importe qui.

Meilleur fruit-de-mer : Il y avait un seul plat avec des Saint-Jacques pour ce quart, mon dîner deux-sévrien. Cependant, au dernier moment, j’ai cuisiné un plat que je préfère non pas seulement à celui-là, mais aussi à beaucoup des autres. C’est mon dîner réunionnais, le cari crevettes. Le cari est une préparation qui marche aussi avec d’autres poissons et fruits-de-mer, et je le recommande avec enthousiasme.

Meilleur dessert : Je dis depuis longtemps que je voulais que la cuisine du blog soit celle des mamies. Mais quand on parle des desserts, c’est là mon côté parisien, la partie qui est tombée amoureux du CAP Pâtissier dès que j’ai entendu le nom. J’ai vraiment profité du poumpet, mon dessert tarnais, et c’était un vrai plaisir de transmettre la recette du gâteau normand de la mère Olhats. Ce sont des desserts bien paysans et traditionnels. Mais je ne peux pas mentir. La tarte aux figues de Claire Heitzler et la tarte tropézienne de Yann Couvreur, ces deux répondent à mon plus grand besoin — faire tomber les bras. Je n’ose pas faire de telles choses sans avoir d’autres personnes pour les manger, alors c’est un grand plaisir de les apporter aux événements.

Meilleur film : Il n’y avait pas beaucoup depuis la dernière fois, mais l’un des meilleurs est arrivé juste avant la fin des 100 films. Razzia sur la chnouf est tout ce que j’aime dans un film français — Gabin et Ventura, des dialogues d’Audiard, une histoire de truands. Il faut aussi mentionner Le Roman d’un tricheur comme un incontournable.

Meilleure chanson : Cette partie des bilans était toujours pour les chansons que j’ai enregistrées moi-même. Pourtant, après une rénovation non-désirée de mon appartement, il est devenu trop résonant pour enregistrer. Alors, ma chanson de Noël, Entre le bœuf et l’âne gris, gagne par défaut, car c’était la seule et unique, mais je ne suis pas satisfait de la qualité de l’enregistrement.

Meilleur moment : Cette fois est la seule des quatre bilans où je n’ai pas visité la France (ce qui reste impossible dans ma tête). Ça rend le choix difficile. Je choisis donc une décision que j’ai prise en février, de commencer à utiliser de la musique locale avec mes posts sur Instagram. C’est comment j’ai découvert Nicolas Moro, Sandrine Mallick et Red Cardell (dont on n’a toujours pas parlé). Découvrir des artistes régionaux, c’est devenu une passion.

Meilleure surprise : Cette catégorie est habituellement pour les départements dont j’ai vraiment profité sans les avoir connus à l’avance. Et le choix est aussi facile que surprenant — La Réunion. Avez-vous remarqué le niveau de détail dans ce billet ? Je croyais, et j’ai essayé de vous le signaler, que j’allais avoir du mal à écrire sur l’Outre-mer. Mais j’ai fini par vraiment profiter de cette recherche, malgré le manque de bâtiments patrimoniaux qui font la majorité de mon écriture. Guadeloupe était aussi la bienvenue à cet égard.

Cependant, la dernière fois, j’ai choisi l’article du Journal du Centre sur moi, et je mets voir Sebastian Marx dans la même catégorie. Mes souvenirs de 2020 sont plus heureux que les vôtres — au-delà de regarder mon pays se brûler et perdre tout espoir, petit détail soit-il — et M. Marx et Paul Taylor gardent une place d’honneur pour toujours. Je ne m’attendais pas à cette opportunité !

Pire surprise : Depuis la dernière fois, j’ai perdu deux personnes qui étaient parmi les plus grands fans du Tour pendant ses trois premières années. Je vous ai parlé de Pascale, mon amie qui est décédée il y a deux semaines. Mais un autre cher ami, Amaury, a quitté toutes ses connaissances en ligne sans explication à la fin de l’année dernière (on en avait plusieurs en commun). Il lisait tous les billets et me rappelait sans cesse de le reprendre quand trop de temps est passé. Des gens viennent et partent tout au long de la vie, mais j’ai le cœur brisé surtout pour ces pertes.

Ce que j’attends le plus : Avec ça, on achève la liste de départements. Il ne reste que la Grande Fête du Tour, un novembre qui ne sera que des palmarès et des souvenirs, dont le Grand Bilan du Tour. Mais je vous ai promis encore et encore que la fin du Tour ne sera pas la fin du blog, et après mes responsabilités en tant que père, c’est la promesse à laquelle je tiens la plus.

La tarte normande

Je vous ai écouté, et franchement, en lisant l’article où je vous ai présenté mon dîner calvadosien, il m’était évident que j’avais planifié un dessert de plus, sans savoir lequel. Mais que choisir ? Il a avoir des pommes, et probablement de la liqueur Calvados en plus. Nous voilà ; voici la tarte normande.

Haute résolution en cliquant

Heureusement pour moi, octobre contient 31 jours et non pas 30, ou j’aurais des problèmes. Allons le faire !

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Mon dîner mahorais

Ça y est, le dernier dîner du Tour. On finit comme on a commencé, avec un dîner simple et bien paysan. Je vous présente les cuisses de poulet rôties aux épices et bananes frites, et le koloda :

Allons les préparer !

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Je découvre Mayotte

On finit maintenant le Tour avec le 976, Mayotte. C’est le département le vingt-deuxième moins peuplé, et les habitants se nomment mahorais. C’est notre cinquième et dernier séjour dans l’Outre-mer et notre cent-et-unième et dernier séjour en France.

Avant de continuer, je dois remercier Mayotte Tourisme, sans lequel cet article ne serait pas possible. Tout comme en Guyane, le Guide Vert ne couvre pas Mayotte. Le site de tourisme divise les deux îles en 5 parties, alors je suis ses conseils plutôt qu’essayer de planifier la route la plus efficace. Autre chose ; au moment d’écriture, il n’y a que 2 000 résultats sur Wikimedia Commons pour « Mayotte », d’où je tire toutes les photos que je n’ai pas prises personnellement. Ça limite un peu ce que je peux vous montrer.

Comment est-ce que Mayotte est devenue une partie de la France ? Des fouilles archéologiques établissent que les îles sont habitées depuis le VIIIe siècle par des cultures bantoues. Vers le XIIIe siècle, les îles sont conquises par des musulmanes, et du XVe au XIXe siècle, il y a des sultans malgaches qui règnent sur l’Île. En 1841, le dernier sultan, Andriantsoly, décide qu’il ne peut plus protéger l’île, et la vend à la France. En 1886, l’île s’intègre au protectorat des Comores, mais après l’indépendance des ces îles-là, les mahorais luttent jusqu’en 2009 pour le droit de se rattacher définitivement à la France.

On commence à l’île dite Petite-Terre, car c’est où se trouve l’aéroport. Le Lac Dziani nous attend au cœur d’un cratère volcanique. On peut faire une balade autour du lac en une heure, mais défense d’y baigner — les minéraux dissous dans les eaux sont corrosives. Pour soigner notre déception de ne pas plonger dans l’eau le plus vite possible, on part pour la plage de Moya, pas loin, et le début de notre aventure dans l’océan Indien.

On prend la barge à Dembéni-Mamoudzou sur la Grande-Terre, où on passera le reste de notre séjour. On va d’abord visiter le marché couvert, pour faire la connaissance de notre régime du voyage, ainsi que des tissus et des bijoux locaux. D’ici, on peut prendre des tours à partir du ponton de plaisance, surtout pour regarder des baleines.

D’ici, on passe vers le Nord, territoire forestière où se trouve des mangroves pleine de palétuviers. On visite les communes de Hamjago et Mtsamboro pour voir leur production d’agrumes. L’îlot Chissioua dans la baie de Mtsamboro est inhabité mais il fait l’arrière-plan parfait pour encore une autre plage exceptionnelle.

Nous sommes déjà sur la côte ouest de Grande-Terre, alors on continue vers le Centre-Ouest. À M’Tsangamouji, on peut visiter l’ancienne sucrerie de Soulou, avec des bâtiments qui datent du XIXe siècle, de nos jours classée monument historique. À Combani, on visite le Jardin d’Imany, où se cultive l’ylang-ylang — on peut passer toute la journée à sa découverte. Quelque part, une méchante de légende sourit.

Nos derniers arrêts se trouvent au Sud de l’île, dit « la partie la plus touristique » par l’office de tourisme lui-même. Sur la plage de N’Gouja, recouverte de sable noir, de baobabs, et de bambous, on est à la recherche des makis — un genre de petit singe — et des tortues marines. On finit notre tour de Mayotte, donc de toute la France, en grimpant le Mont Choungui (à peu près 600 mètres de hauteur) pour une vue panoramique sur la pointe Kani-Kéli. Mon amie Pascale m’a dit au moment de mon arrivée en France pour la première fois de ma vie, « Bienvenue dans le plus beau pays du monde », et je le crois, plus fort que jamais.

Qui sont les personnages les plus connus de Mayotte ? Géniale Attoumani, journaliste de France TV, est née à Mamoudzou. La parolière Anne Segalen, qui a écrit les textes de L’Opportuniste et Fais pas ci, fais pas ça pour Thomas Dutronc, est née à Dzaoudzi. Mansour Kamardine, avocat qui a mené l’abolition de la polygamie sur Mayotte, est né à Sada, ainsi que Thani Mohamed Soilihi, premier mahorais à entrer dans un gouvernement français (en tant que secrétaire d’État à la Francophonie sous le gouvernement Barnier).

Que manger à Mayotte ? Je dois la moitié de cette partie à une blogueuse mahoraise, Matavy. Les légumes et fruits de l’île — le manioc, le fruit à pain, les bilimbis, le jaquier — ne se trouvent pas dans les Carrefour et les Ralph’s du monde. Les poissons locaux comprennent des espèces familières, telles que l’espadon et le thon, mais aussi des barracudas ! Le plat phare de Mayotte est un genre de brochette, le cornet buck, « des petits cônes de patte briochée fourrés à la viande et patates douces souvent accompagnés de coriandre ». Pour manque d’une recette, je n’en préparerai un. Les « mamas brochettis » sont partout, des vendeuses de brochettes de viande cuites en plein air. On se contentera de plats principaux plus faciles à cuisiner dans l’Hexagone, la souris d’agneau aux pois chiches et carottes ou le poulet frit au piment. En dessert, il y a le Koloda, de la noix de coco râpée cuite dans un caramel, et des salades de fruits locaux. Pour boire, il y a le trembo vurga, un vin de palme, et le ti-punch, trouvé partout dans l’Outre-mer, ainsi que de nombreux jus de fruits.

Mon dîner réunionnais

Je me suis fait une promesse : après trois dîners de suite à base de poulet, celui-ci n’en aurait pas ! Heureusement, on est sur une île, et à chaque fois où ça arrive, il y a des poissons et des fruits de mer sur la carte. Alors, je vous présente le cari crevettes et le gâteau patate :

Je sais, il y a du jamais vu sur l’assiette. Je l’expliquerai. Allons les préparer !

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