L’« Engrish » français

Auparavant, je vous ai mentionné l’« Engrish » sans vraiment l’expliquer. Ce n’est pas le mot le plus gentil, mais l’idée est bien connue. En japonais, il n’y a aucune distinction entre « r » et « l ». On peut prononcer les lettres comme ら, り, etc. soit comme « ra, ri,… » soit « la, li,… ». Ça leur est égal. (Dans la bouche, ces sons sont très proche — la langue reste dans la même place, et c’est une question de comment l’air circule.) Alors, quand on parle de « Engrish », ça veut dire des choses dites en anglais mais avec les fautes que l’on attend d’un locuteur asiatique natif.

Mais attention, parce que ce n’est pas pour être méchant. Ça ne parle pas des niveaux des gens que l’on rencontre dans le coin. Ce mot est réservé à des textes « décoratifs », des slogans que l’on trouve sur une canne de café, ou des descriptions de produits que l’on trouve sur leurs boîtes. L’« Engrish » n’est donc pas comment les asiatiques (étrangers ; je ne parle pas de ceux qui sont anglophones de naissance) parlent l’anglais aux anglophones — c’est comment ils parlent l’anglais entre eux. Avant de continuer, j’ai pris quelques photos dans mon supermarché japonais local, Mitsuwa ; d’autres exemples se trouvent à Engrish.com. Je mets des explications sous chaque photo ; les erreurs de français sont les meilleures que je puisse faire pour vous donner une idée des problèmes :

« Chef-d’œuvre de sucreries parfum né à Kobe »
« La technologie traditionnelle pour mélanger… est vivante ici »
« Le goût délicieux pour tous gens qui pensent à goûter heureux »
« Pour des amants épicés »

Il y a même un exemple de quelque chose de bien rare en français ; disons qu’il y a 72x fois plus d’exemples de « pâtisseries sucrées » que « douces pâtisseries » sur Google :

Dans le cercle bleu, « Douce pâtisserie » ! Ce sont des choux, alors « Pâtisserie sucrée » serait bon.

Il y a une telle chose qu’existe en France, et je collecte des exemples depuis longtemps. Je ne parle pas du franglais traditionnel, même si ce que vous voulez dire par « jogging » pique les oreilles. Oh nononon ! Commençons avec l’exemple qui m’a lancé dans cet article, un clip que j’ai récemment trouvé avec Gilbert Montagné et une chanson de mon deuxième film français moins préféré (juste derrière son prédécesseur) :

Je sais que critiquer les deux premiers Bronzés provoque souvent des réponses fortes. Mais même si vous ne détestez pas Jean-Claude Dusse autant que moi, cette chanson fait mal à la tête pour un anglophone. J’avoue tout d’abord que certaines versions des paroles en ligne ont probablement tort, mais il y a plein d’erreurs sans ambiguïté. On utiliserait la version trouvé chez Le Monde.

Just because of you
I’m beging on you
You know it’s for you
I’m feeling for you
Good morning my love

« beging » s’écrit « begging », mais laissez tomber — « begging on you » n’a aucun sens. « I’m begging you » est « Je t’en supplie ». « On » en anglais veut dire « sur ».

I’m always say
You come laughing in my life
Night and day, my love, is for you
I love you, I’m beeing a fool by you

Prof. Justin donne un 0/20 à « I’m always say. » Il faut utiliser « -ing » après le verbe « be » (dans I’m). C’est pourtant une erreur hyper-française ; j’écoute « Je dis toujours » dans la tête en lisant cela. Le bon anglais, « I’m always saying » serait plus littéralement « Je suis toujours disant ». C’est de mauvais français, mais cette chanson est censée être en anglais. « I’m being a fool by you » est aussi nul ; ça se traduit littéralement « Je suis en train d’être un fou à côté de toi ».

Come on my love
Let’s going on
I know you know
I’ll never let you go

« Let’s going on » est la pire erreur de la chanson — SI elle est vraiment là. La bonne expression est « What’s going on? » (Que se passe-t-il ?) mais je n’arrive pas à décider laquelle chante soit M. Montagné soit Pierre Bachelet.

Love for evermore
I very feel you
Love for you my love

Et la deuxième pire erreur, qui existe sans doute, est « I very feel you ». « Je te sens très ? » Il est impossible que je devine la pensée originale derrière cette phrase.

Il y en a d’autres. Pour autant qu’Indochine soit la grande passion de ma vie, les fautes d’anglais dans certaines chansons sont horribles.

Dans « Black City Parade », que j’adore, on trouve :

I’ve got a way to see
I’ve got a way to me

Le Monde

Je peux accepter une traduction de la première phrase comme « J’ai une façon de voir ». Mais au-delà de la rime, « I’ve got a way to me » n’a aucun sens. Il faut absolument avoir un verbe, pas un pronom, après « to ».

Dans « Paradize », que je n’aime pas, Nico chante :

So far a wheel

Le Monde

À ce point, une roue ?!?

Je ne veux même pas critiquer leur chanson « Belfast ». Il me faudrait traduire un paragraphe entier de n’importe quoi de la première classe ; pourtant, j’aime bien la chanson. Mais c’est peut-être le meilleur exemple de ce que j’ai dit au début en parlant de texte « décoratif ». C’est là pour la sonorité, peut-être pour une signification hyper-personnelle à l’auteur, mais ce n’est absolument pas là pour communiquer une pensée.

Je ne veux jamais finir un article en critiquant Indochine, alors j’ajouterai que l’anglais sert parfois le même but dans les textes des Rita Mitsouko. (Mais Catherine Ringer parle anglais mieux que Nico, je crois. Aussi, ils travaillaient avec Tony Visconti, un producteur américain, et je ne sais pas quelles contributions sont les siennes.) Il n’y a aucune question de leur pire invention en anglais, « Gripshitrider in Paris« . Ça, c’est un « gripshift » :

Gripshift, Photo par Armchair, CC BY-SA 3.0

J’aurais aimé croire que le manque de la lettre « f » était une faute de frappe. Mais Mme Ringer le chante avec passion, puis les paroles parlent de crottes dans la rue, exactement comme le mot « shit » en anglais. C’est absolument fait exprès, mais c’est un jeu de mots pas du tout aussi malin qu’ils n’en pensent.

Langue de Molière doit vous quitter pour prendre une douche après avoir même pensé à Jean-Claude Dusse.

11 réflexions au sujet de « L’« Engrish » français »

  1. les2olibrius

    Il est notoire que de nombreux Français ne connaissent pas bien la première langue étrangère majoritairement apprise à l’école en France… Et j’en fais vraiment partie malgré tout le temps que j’ai consacré à cette langue qui me plaît tant.
    Mais pour apprécier une œuvre musicale, il me semble qu’il n’est pas nécessaire de tout comprendre. Sans connaître le coréen, j’aime écouter de la K-pop ( et sans doute serais-je déçue ou très choquée ou encore plus charmée si j’avais la capacité de mieux traduire le chant aimé au lieu de me satisfaire des traductions fournies sur Internet dont certaines sont truffées de fautes grossières, donc le fait de personnes qui maîtrisent mal le français).
    Et puis entre en jeux aussi notre… capacité auditive, notre ouïe ! La prononciation de notre langue maternelle par le chanteur crée aussi des problèmes de compréhension ou d’interprétation. ( Du coup certains détestent l’opéra faute de comprendre le texte chanté dans sa langue.) Tu peux chanter pendant des années une version dont tu apprends bien plus tard qu’elle était erronée ! Si comprendre sa langue maternelle est déjà source d’erreurs… Alors traduire une langue étrangère multiplie les versions fautives ! Converser avec quelqu’un produit tant de malentendus provenant du sens que chacun entend… Comprend ou veut comprendre!
    Pour « spicy lovers » le mot « amants » est une impropriété du même genre que le choix de « douce » pour « sucrée ». Le mot « amateurs » est le terme adéquat… Et finalement l’expression « goût épicé » me paraît plus juste.
    (Si mon com. est trop long, tu peux le supprimer… Je me suis pourtant limitée… car les consonnes l,m,n,r sont toutes « des liquides » mais en français « lire » n’est pas souvent « rire »!!!🤣)

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    1. Justin Busch Auteur de l’article

      Ce n’est pas trop long, et tes commentaires sont toujours les bienvenus ici !

      Mais ce n’est pas la même chose qu’écouter de la musique dans une langue que l’on ne parle pas. Moi aussi, j’écoute certaines chansons en japonais ou bien polonais. Et j’ai acheté tous les albums d’Indochine en moins de 6 mois après avoir commencé tout court ! Je n’ai pas tout compris à l’époque ! C’est plutôt comme si j’ai décidé que j’allais écrire des chansons en français. Il y aurait certainement des fautes. J’aimerais croire qu’elles ne seraient pas de n’importe quoi comme « Let’s going on », mais quand je relis certaines choses que j’ai écrit au début du blog, je me demande.

      Mais ce n’est pas pour blâmer les auditeurs. Les fautes décrites ici sont aux compositeurs. Je comprends qu’à l’époque des Bronzés, on voulait une chanson façon BeeGees, mais c’est vraiment déroutant de trouver une telle chanson en tant qu’étranger. Surtout si on écoute un album comme ceux de Claude François ou Véronique Sanson en anglais, où on ne trouve pas de si grandes fautes.

      Quant au paquet de ramen, ils auraient dû écrit « For spice lovers » en anglais. En ce cas, je serais d’accord qu’amateur serait le bon mot français, pas amant. Mais « spicy », au-delà de son sens culinaire, est largement réservé aux livres genre Harlequin, et c’est comment un anglophone va l’apercevoir !

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  2. Agatheb2k

    Un bon professeur en classe de 6ème (je ne savais rien de sa formation pour ce poste) et une autre (anglaise de naissance) en terminale, entre les deux cinq ans de désert, aucun séjour linguistique… j’ai de très grosses lacunes. Ils ont peut être les mêmes problèmes d’enseignement avec des professeurs qui font à la fois du français, du latin, de l’histoire et géographie, de la musique et de l’anglais, peut-on réellement être compétent dans tous les domaines ?

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    1. les2olibrius

      A part les prof d’Histoire-Géo-EMC, ceux de Physique-chimie et ceux de lettres classiques… Quels enseignants du second degré ont-ils de telles polyvalences ? ( Des établissements d’enseignement technique ou des établissements privés font intervenir des profs dans plusieurs matières mais ce n’est pas une majorité… à ma connaissance).

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      1. Agatheb2k

        Ne me demande pas, je ne sais pas tout… la polyvalente m’enseignait l’anglais en 5ème au collège, je n’ai jamais progressé c’est certain… pour le détail du reste il faudrait que je ré-ouvre mon livret scolaire parce que je n’ai pas gardé un souvenir précis de tous les intervenants… 😉

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  3. Le Grimoire de Lilith

    Les français sont la risée des pays frontaliers dans le domaine des langues étrangères. Je ne connais réellement personne qui ait appris l’anglais dans le système scolaire d’ailleurs. En général, c’est à Paris que la population maitrise le mieux les langues (au minimum l’anglais), parce que cette ville est touristique. Je ne suis pas la première à avoir commencé à parler l’anglais parce que mon job d’étudiante ne connaissait plus le français : serveuse en terrasse avec vue sur la tour Eiffel.
    Après, j’ai bossé dans une banque pour faire le change des devises.
    Mais de retour en province, ce n’est déjà pas facile de comprendre le dialecte (français) local, alors ne parlons pas d’anglais 😉

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    1. les2olibrius

      Ah je confirme ! Pour avoir vécu dans 5 régions de France, les mots n’ont pas toujours le même sens ici ou là ! La  » garce » pour la « fille » de quelqu’un ( puisque c’est le féminin de « garçon ») à La Rochelle m’avait vraiment choquée !

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  4. juliette

    Hi ! hi! je ne connaissais pas ce  » Gripshitrider »  » des Rita, en tout cas ce titre n’a pas du être un tube !

    Au fait as tu lu ça Justin ? c’est un peu hors sujet …
    Fabio Rampelli, membre du parti Fratelli d’Italia de la Première ministre Giorgia Meloni et vice-président de la Chambre des députés, a présenté un projet de loi sanctionnant de 5 000 à 100 000 euros d’amende l’usage de l’anglais et des mots étrangers par les administrations publiques.

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    1. Justin Busch Auteur de l’article

      Non, je n’ai pas lu cette nouvelle, mais vu que j’appelle ma diffusion hebdomadaire une « balado », d’après les québécois, pour éviter l’anglicisme de « podcast », je ne suis pas trop offensé. (J’aurais même adopté « fin de semaine » au lieu de « week-end », mais assez de Français m’ont dit que c’est trop.) L’idée d’une si grosse amende est ridicule, mais je comprends le sentiment de ne pas vouloir perdre la langue sous une inondation d’anglicismes.

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